A Aïn Defla, pour des raisons sécuritaires, les autorités ont multiplié les «dos-d'âne administratifs» pour l'accès aux engrais. La pénurie créant la demande, des réseaux s'installent pour y répondre sur le marché parallèle et l'administration réplique par une aggravation des procédures. Le fellah doit désormais s'offrir les services d'un huissier de justice et prévoir deux bienveillantes personnes pour témoigner que le champ qu'il cultive est bien sa propriété ! Pour acheter des engrais, il faut présenter un procès-verbal d'un huissier de justice prouvant que vous cultivez effectivement un champ de pomme de terre ! C'est la dernière invention de la bureaucratie à Aïn Defla, entrée en vigueur depuis plusieurs semaines, comme en témoignent de nombreux fellahs contraints à cette extrémité pour entretenir leurs champs de pomme de terre. Au départ, raconte un fellah, il s'agissait de contrôler la vente des engrais pour éviter qu'ils ne se retrouvent entre les mains de terroristes qui les utilisent comme matière de base pour fabriquer des explosifs. Une procédure a été mise en place avec des revendeurs, publics et privés, agréés. Il fallait notamment présenter sa carte d'agriculteur, ce qui a rapidement transformé certaines administrations et institutions, comme la chambre d'agriculture, en centres de pouvoir influents. Mais cela a rapidement créé une pénurie, car les points de vente et les quantités distribuées se sont révélés insuffisants, particulièrement en période de pointe, comme entre la mi-février et la mi-mars, où on utilise abondamment les engrais pour la pomme de terre. Un petit trafic s'est alors mis en place, avec les traditionnels passe-droits et petits pots-de-vin de rigueur. La situation a dégénéré avec le temps, quand de véritables réseaux se sont mis en place. Les services de sécurité ont mis à jour un vaste trafic de documents permettant d'organiser un véritable commerce parallèle d'engrais. Plusieurs personnes ont été arrêtées, dont l'une détenait des dizaines de fausses cartes d'agriculteur, lui permettant d'enlever des quantités importantes d'engrais aux fins de les revendre. MULTIPLIER LES «DOS- D'ANE ADMINISTRATIFS» Pour parer à cette situation, l'administration a estimé que les mesures restrictives étaient insuffisantes. Elle en a donc pris des mesures, introduisant de nouvelles procédures, en espérant que la multiplication des «dos-d'âne administratifs» finirait par réguler le marché. Depuis le début de la récolte en cours, le fellah doit donc recourir à un huissier de justice qui se déplace pour vérifier l'existence d'un champ de pomme de terre. La procédure est facturée 3.000 dinars. Fort de ce document, le fellah doit se rendre à la chambre d'agriculture pour se voir délivrer un document. Mais avant d'acheter des engrais, il doit présenter un autre document, également fourni par l'huissier de justice contre 2.000 dinars, sous la forme d'un témoignage de deux personnes attestant que le champ de pomme de terre en question appartient bien au fellah concerné. Pourquoi cette ultime contrainte? Parce que certains fellahs louent leurs terres, et pourraient être tentés d'utiliser leur carte juste pour acheter des engrais et les revendre, ou les céder à des terroristes ! RETOUR DES INTERDITS Selon les chiffres disponibles, et qui restent approximatifs, la wilaya de Aïn Defla a produit près de 700.000 tonnes de pomme de terre en 2011, en y consacrant un peu moins de 20.000 hectares. Malgré une légère augmentation, cette wilaya n'est plus aussi importante dans l'échiquier national, en raison de l'apparition de nouvelles zones de culture de la pomme de terre, mais aussi en raison de l'épuisement des terres, de l'apparition des maladies, comme le mildiou, qui cause des dégâts considérables, et des difficultés rencontrées par les fellahs. Ceux-ci, traditionnellement peu ou pas organisés, sont totalement dépendants d'un environnement très défavorable. Par ailleurs, des fellahs exploitants des EAC et EAI (exploitation agricole collective ou individuelle) ont reçu des notes, au début de la saison, leur intimant l'ordre de consacrer les terres aux céréales, comme au bon vieux temps des domaines agricoles. A la suite de l'explosion de la facture alimentaire, et en particulier des céréales, le ministère de l'Agriculture a décidé d'encourager, à sa manière, la production de céréales, ce qui a abouti à cette note envoyée aux fellahs, qui se voient interdits de produire de la pomme de terre, qui reste pour eux la meilleure formule. En 2011, la production algérienne des céréales a dépassé à peine les quatre millions de tonnes, en baisse par rapport à 2010 (4,5 millions de tonnes), après un pic de 6.12 millions de tonnes en 2009. Ces résultats ont fait exploser les importations de céréales, qui ont augmenté de près de 130 pour cent.