Jadis dotées de noms poétiques, puisés dans ce que la nature peut offrir de plus beau, les cités d'habitations sont désormais baptisées du nombre de logements dont elles se composent, un numéro de matricule aussi froid que doit l'être le cadre de vie qui les accompagne. Alors que les Lauriers roses, les Mimosas, les Amandiers ou les Planteurs fleurissaient un peu partout dans une ville d'Oran qui respirait encore la douceur de vivre, les cités 1.377 et 1.063 logements AADL, 2.000 logements à El Akid Lotfi, 700 logements de Haï Yasmine, 50 logements à Gdyel, 790 à l'USTO et d'autres encore témoignent du peu d'imagination ou de la paresse des pouvoirs publics pour lesquels la personnalisation d'un lieu reste un souci secondaire dans l'urgence des constructions. Résultat, outre le dommage esthétique, Oran a tendance aujourd'hui à devenir un grimoire à déchiffrer, selon le bon mot de Abderrahmane Moussaoui : «( ) Dans ce foisonnement d'idéogrammes (les moyens de transport, les bâtiments et les maisons son également numérotés, Ndlr) l'habitant se perd et son réflexe de mémorisation, héritage de son oralité, lui est souvent insuffisant pour se repérer», estime ainsi l'anthropologue dans son essai Entre langue administrante et désignation ordinaire : nommer et catégoriser les lieux urbains en Algérie. Y compris pour le professionnel du transport, le chauffeur de taxi, censé connaître la ville sur le bout des doigts et qui doit, parfois, demander de l'aide pour pouvoir s'orienter dans ce labyrinthe sans noms et sans repères : «Beaucoup de cités ont été construites et d'autres sont en phase de réalisation et la plupart portent presque le même nom et ne comportent aucune indication. C'est pour cela que j'ai parfois besoin de demander ma route ou de déposer le client à l'entrée de la cité», admet l'un d'eux. En l'absence d'un plan ou un schéma pour se repérer, rien de mieux donc que l'oralité pour espérer se repérer dans l'enchevêtrement urbain. Et là aussi, le nom de la cité - si l'on arrive quand même à s'en souvenir - peut se révéler inutile, le citoyen lambda s'orientant plutôt grâce à d'autres repères : un café, une station-service, une mosquée, une école ou un quelconque établissement d'utilité publique. Qui peut dire où se trouve la cité 2.000 logements AADL ? Sans doute personne hormis les habitants concernés, et quelques chauffeurs de taxi. En revanche, tout le monde connaît la cité AADL de la pépinière, en référence à la jardinerie se trouvant à proximité. De la même manière, seuls quelques initiés sauraient dire où se situe la cité des 1.063 logements AADL de l'USTO alors que tout le monde sait où se trouve l'EHU d'Oran : «Les services concernés devraient penser à des appellations plus intelligentes et à établir un abécédaire pour que les gens puissent s'orienter. Les nouvelles cités naissent rapidement et beaucoup de monde n'arrive pas à suivre», juge le même chauffeur de taxi en reconnaissant éprouver de grandes difficultés avec ces dénominations. Jeudi dernier, le président de la République a posé la première pierre du projet de réalisation de 18.522 logements de type logements publics locatifs à Belgaïd, commune de la daïra de Bir El Djir. A moins que des noms soient pensés par les concepteurs et promoteurs du projet, il y a fort à parier que les cités qui en surgiront seront également immatriculées et que les Oranais ne les reconnaîtront que grâce à leur proximité du pôle universitaire.