C'est donnant, donnant. Dès que le Régime sent que le peuple a besoin de lui, il l'écrase et l'essore et l'accule et le cerne et le fait plier et l'oblige à faire des déclarations d'amour à l'ENTV. Il n'y a qu'à voir comme les nouveaux logés remercient les « autorités, le wali, le Président », les quelques premières minutes après la remise des clefs, des sachets, des primes ou des cartables. Le contraire est donc aussi vrai : dès que le bon peuple sent que le régime a besoin de lui, il fait de même. Hier, à Alger, des centaines de chômeurs du pré-emploi ont menacé de ne pas voter le 10 si on ne leur répond pas, immédiatement. « La réintégration ou l'abstention » ont-ils posé en ultimatum après l'appel de Bouteflika à voter en masse. Le bon peuple sait que le Pouvoir a besoin de lui pour valider les élections devant l'opinion occidentale et pour meubler les chiffres prépayés. Donc autant en profiter. Chacun le fait depuis l'indépendance. D'ailleurs le régime faiblit rarement et quand cela arrive, autant lui faire les poches, lui enlever ses dents en or, lui voler ses chaussures et l'obliger à payer même sa respiration. C'est ainsi, la guerre de libération était une histoire d'amour, l'indépendance est une histoire de divorce avec des millions d'enfants que l'on se rejette, que l'on ne veut pas voir ou revoir, que l'on croit aimer parce qu'on dit les avoir habillés. Le bon peuple sait ce que pense le régime de lui, comment il le considère avec les yeux plissés et ce qu'il vaut aux yeux de ce féodal qui ne veut pas mourir. Donc autant le prendre à la gorge quand il est à genoux. Voter ? Ok, mais le bon peuple veut se faire payer, lui aussi et pas seulement les encadreurs des centres de vote. Le régime a donné trop de signes d'abois et cela a mis la puce à l'oreille : il est de nouveau faible et a besoin de quelque chose. Le commerce est hallal dans une alimentation générale. Donc je veux un logement sinon je ne vote pas, je veux ma part sinon je ne vote pas, je veux un hassi à Hassi Messaoud sinon je ne vote pas. C'est une saison de biens vacants qui s'annonce et autant régler ce qui est en attente depuis longtemps. Un ami, homme d'affaires, a bien résumé la situation au chroniqueur : «C'est Algérie 62 et celui qui n'en profite pas maintenant est un idiot». C'est donc le message retenu par le bon peuple : on obtient mieux avant le vote qu'avec le vote. Donc on le fait et ce que l'opposition ne peut pas monnayer, le bon peuple peut le faire : son nombre et son poids brut. C'est tout ce qu'il a. Et c'est là où l'ambassadeur US se trompe quand il déclare à TSA que :«si les gens ne participent pas aux prochaines législatives, ils n'auront aucune possibilité d'influencer les décisions». Ici, on pèse sur la décision avant le vote, les quelques jours qui précèdent. Sinon, dès qu'on vote, c'est comme dès qu'on épouse : l'obligation de séduction est finie, la dot n'est plus à réévaluer et les fleurs deviennent des souvenirs. C'est avant le vote qu'un peuple est important, pas après. Après, il est remplacé par le chiffre et la conférence de presse d'un ministre de l'Intérieur, grand reste, un grand moment d'infidélité dans les républiques arabes.