Habitués aux coups et contrecoups d'Etat, les Mauritaniens, dans leur majorité, espèrent que le putsch du 3 août 2005 soit le bon. Le dernier. Ils souhaitent aussi que la transition démocratique s'accomplisse sans heurts. « Moi, j'ai voté car je crois profondément à cette transition et je veux que mon pays retrouve définitivement sa stabilité », lâche Cheikh Sid'Ahmed, docteur en sociologie politique. Pour lui, il n'y a aucun doute que le peuple mauritanien aspire au changement. « Usée par la cherté de la vie et la misère sociale, la population mauritanienne veut une rupture avec l'ancien système. Elle ne sait pas à quoi ressemblerait ce changement, mais elle reste convaincue qu'il ne pourrait pas être pire que ce qu'elle a enduré pendant les vingt dernières années », précise-t-il en fin connaisseur de la population mauritanienne. Beaucoup d'autres Mauritaniens, rencontrés à Nouakchott juste après le premier tour des élections législatives et municipales, sont de l'avis de Cheikh Sid'Ahmed. Ils sont tous pour l'idée du changement. Mais chacun a sa propre perception, suivant ses soucis et ses préoccupations. Mohamed Boubacar, qui tient une épicerie à l'avenue Kennedy, dit avoir voté pour mettre fin à l'anarchie ambiante dans la ville. « Moi, j'ai voté pour que l'on nettoie mon quartier tous les jours. Pour les députés, je ne sais ni comment ils travaillent ni ce qu'ils font. Mais je sais que si mon quartier est propre, le maire a travaillé sinon il n'a rien fait. Pour le maire sortant, je ne suis pas fier de ce qu'il a fait », souligne-t-il. Pour Amadou, un quinquagénaire travaillant dans les télécommunications, les élections du 19 novembre marquent un pas vers l'instauration d'une véritable démocratie en Mauritanie. « Je ne sais pas pourquoi, mais je pense que cette fois-ci, c'est la bonne. Nous allons pouvoir franchir cette étape transitoire avec succès, je suis persuadé », dit-t-il. Amadou a vécu la moitié de sa vie sous l'oppression d'abord coloniale ensuite des différents régimes ayant présidé aux destinées de la Mauritanie depuis son indépendance en 1960. Son vœu est de voir au pouvoir des gens qui tirent leur légitimité du peuple et non pas de la junte militaire. « Des gens honnêtes, intègres qui vont servir le peuple et non pas se servir d'eux », ajoute-t-il. D'autres, à l'image de Mariam K, informaticienne, qui a fréquenté l'université algérienne durant sept ans, disent avoir voté pour dire qu'« il faut changer les choses ». « Vous voyez comment notre capitale est sale, comment nos rues sont dégradées, notre immobilier est lépreux, nos marchés sont désorganisées… Bref, notre ville est défigurée, elle est sans âme. J'ai voté pour dire basta à ce désordre qui règne dans notre vie », tonne-t-elle. D'autres citoyens attendent que ce changement se répercute positivement sur leurs revenus, même si le président du conseil militaire, Ely Ould Mohamed Vall, a décidé, à l'occasion de la fête de l'indépendance, le 28 novembre dernier, d'augmenter les salaires de 50%. Cela reste insuffisant, aux yeux de nombre de citoyens rencontrés dans les rues de Nouakchott. « La vie est excessivement chère chez-nous. Tout est importé. Et le salaire d'un simple fonctionnaire dépasse à peine les 30 000 Ouguiyas (100 euros) », fait remarquer un fonctionnaire de l'Etat. Au-delà de vouloir améliorer leur quotidien, certains citoyens portent un regard plutôt pessimiste sur l'issue de cette transition qui n'est pour eux qu'un coup d'Etat de plus. Othmane Sahayé, cadre au niveau des collectivités locales, n'a pas voté pour la simple raison que, pour lui, il n'y a pas de programmes politiques. « Les partis politiques, dans leur majorité, sont des ensembles d'intérêts, vidés de toute essence politique. Ils ne véhiculent aucune idéologie politique », fait-il remarquer. Othmane dit avoir vu des politiciens changer de formation comme ils changeaient de vestes. « Ils sont toujours avec le plus fort », lance-t-il à la cantonade.