Mohammed Brahim Farouk* 3ème parie PERSPECTIVES Les sociétés modernes d'aujourd'hui rangent la santé parmi les quatre valeurs majeures qui les fondent avec l'emploi, la sécurité et le développement durable. C'est pourquoi elles proclament que la protection de la santé de la population constitue une mission régalienne de l'état. Ainsi la question de la définition d'un système de santé est trop importante pour être seulement technique. C'est pourquoi une politique de santé s'inscrit dans le cadre d'un projet de société. Tout Algérien est conscient que les retouches et les replâtrages ponctuels depuis la fin des années 80, n'ont pas évité la déstructuration de notre système de santé. En l'absence d'objectifs clairement affichés, l'on s'est contenté de mots d'ordre populistes entretenant l'illusion : «la santé n'a pas de prix», «la santé de tous les citoyens est une priorité absolue des pouvoirs publics» ou encore «le secteur public est le fer de lance et le socle du système national de santé». Ce discours a entretenu l'illusion, que dans le domaine de la médecine, rien ne s'oppose à disposer de prestations de soins identiques à celles des pays Nantis. Ce est une question qui ne peut être éludée, car les pays aux quels on se réfère consacrent 30 à 100 fois plus de ressources financières à leur dépense de santé par habitant. Au vu de ces remarques, pour quel système de santé doit-on opter ? Vu les traditions de solidarité de notre société, vu l'engagement politique de la proclamation du 01er Novembre 1954, à édifier «un Etat démocratique et social», l'on doit absolument édifier un système de santé garantissant l'équité d'accès pour tous et le même niveau de prestations pour l'ensemble des citoyens. L'OMS recommande un système de santé en rapport avec les ressources financières de chaque pays. Pour l'Algérie l'on se doit d'opter pour «une approche sociétale large dans laquelle les patients et l'utilité pour le système de santé figurent au premier plan» . Pour édifier un système de santé selon cette approche, il est nécessaire et essentiel après évaluation des résultats du système de santé sur la base des 05 indicateurs de l'OMS, entamer un débat national démocratique, dirigé par des experts nationaux et internationaux, qui devra répondre aux questions essentielles : - Quelles missions pour le système? - Quels objectifs pour le système? - Que doit - il offrir en termes de prestations ? - Qui doit les offrir (public / privé)? - Dans quelles conditions doivent-ils les offrir ? - Qui doit en bénéficier et dans quelles conditions ? - Quels ressources et moyens pour les réaliser ? - Comment en garantir l'accès notamment au plus démunis ? - Comment s'assurer de la prise en charge en conformité avec les objectifs retenus ? Les réponses à ces questions vont permettre de dégager les axes de travail essentiels pour l'élaboration d'une politique de santé. Sur le terrain cela va se traduire par une réorganisation et restructuration de notre système de santé, par la hiérarchisation des soins, la définition des programmes de santé, tenant compte des données démographiques et épidémiologiques, mais aussi des possibilités matérielles, humaines et surtout financières pour leur réalisation. Définir la place et le rôle du secteur privé dans la restructuration du système de santé. Enfin si la santé «n'a pas de prix» elle a «coût». Ce qui nous donne l'obligation morale de tenir compte des possibilités financières non seulement actuelles mais surtout en se projetant dans l'avenir. En dernier l'application rationnelle du programme de santé, ne peut se réaliser sans la mise en place d'une carte sanitaire régionalisée. Sur la base de l'analyse qui précède, l'on va faire des propositions pratiques dans la perspective d'un système de santé organisé et structure. LA HIERARCHISATION Les structures publiques de proximités polycliniques, centres de soins, PMI, cabinets généralistes privés) sont en première ligne du dépistage, du diagnostic et des soins primaires. C'est pourquoi elles doivent faire l'objet d'une attention particulière des pouvoirs publics, en les dotant de toutes les commodités pour un accueil humanisé des patients, de tous les équipements médicaux de bases, et des personnels médicaux et paramédicaux en nombre suffisant, en résolvant tous leurs problèmes sociaux-professionnels. Le médecin généraliste est à la base d'un système de santé cohérent. Pour se consacrer à cette tâche, il doit être à l'abri de tous problèmes sociaux professionnels (logements, salaire, statuts), tandis que pour le médecin privé, il serait utile de revoir le prix de la consultation et préconiser des mesures incitatives pour ceux installés dans les zones enclavées. Le médecin généraliste doit pouvoir bénéficier d'une formation continue pour son perfectionnement, l'actualisation de ses connaissances, et l'amélioration de ses prescriptions médicamenteuses qui doivent être rationnelles. La prise en charge de cette formation continue doit être assurée par l'état pour éviter qu'elle ne serve de forum pour la promotion de produits pharmaceutiques. Dans le cadre de cette hiérarchisation, il semble important et vital pour le système de santé, d'introduire la notion du «Médecin généraliste référent» ainsi il sera le seul habilité à orienter le malade vers un spécialiste défini, suivre le traitement et l'évolution par la suite. Cette exigence peut sembler à première vue une atteinte à la liberté du malade, pourtant elle est appliquée dans les pays avancés. A titre d'exemple en France la loi «Douste-Blazy», impose un taux de remboursement différent, selon que le malade s'adresse de sa propre initiative au spécialité ou qu'il ait été adressé par son médecin «référent ou de la famille». L'application sur le terrain de cette mesure nécessite non seulement une loi cadre, mais aussi une moralisation de la profession, et une éducation soutenue de la population. Les missions pour chaque structure publique ou privée doivent être définies avec précision par des textes de lois, et contrôler leur application. la hiérarchisation des structures va permettre une rationalisation et une maitrise des budgets. L'hôpital de Daïra doit être à même d'assurer les soins primaires mais aussi et surtout les urgences médicochirurgicales de bases. L'hôpital de chef-lieu de Wilaya doit pouvoir assurer les soins à froid ou en urgence, des spécialités de bases. Ainsi il ne peut mobiliser une grande partie de son budget pour les soins de haut niveau, qui relèvent essentiellement des CHU. Ceux-ci libérés de contraintes de prise en charge des pathologies traitées ailleurs, grâce à l'organisation du système, pourront se consacrer à leurs missions essentielles de soins de haut niveau, de formation et de recherche. Cette hiérarchisation de soins et des structures nécessite un cahier de charge pour chacune d'elle, mais aussi par service hospitalier. Ce cahier de charge permettra une répartition rationnelle des budgets, et leurs révisions à la baisse ou à la hausse en fonction des résultats. Ce serait alors la base même de la contractualisation. Le secteur privé doit être soumis aux mêmes règles de hiérarchisation, de définition des missions, et de cahier de charge dans un cadre concerté avec les pouvoirs publics. LES MEDICAMENTS Un professeur de médecine d'Alger dans une interview au site «La nation», a exprimé sa crainte de voir les lobbies pharmaceutiques imposer au pays sa politique des médicaments. Crainte justifiée si l'on continue à prendre des décisions conjoncturelles dans ce secteur. Il faut savoir que, de par le monde, les industries et laboratoires pharmaceutiques gèrent les plus grosses fortunes de tous les secteurs. D'après le rapport français DEBRE-EVEN, en 40 ans, ce sont prés de 2000 molécules sous 4500 marques différentes (hors génériques) qui se sont accumulées, alors même que l'OMS Considère que seules 500 molécules sont vraiment nécessaires. Les conclusions du rapport sur l'affaire du Médiator en France, a démontré les connivences des laboratoires avec des hommes politiques, des experts et des prescripteurs. C'est pourquoi les pouvoirs publics français, ont institué ou compléter des lois pour une meilleure transparence, suivant en cela, la reforme du système de santé américain, par Obama, laquelle exige des laboratoires de rendre public le nom des experts et leurs émoluments. Ainsi en Algérie où le citoyen croit dur comme fer, que derrière chaque importateur il y a un homme politique, l'on doit faire preuve, dans l'intérêt du secteur, d'une transparence totale. Pourquoi les citoyens ne connaitraient-ils pas la liste des importateurs et distributeurs, leurs produits importés et l'origine de ceux-ci ? Il est aussi important que les citoyens sachent, la part de la facture d'importation des produits dits essentiels et ceux dits de conforts. Il est important d'inscrire comme priorité dans ce domaine la production réelle et non le conditionnement qu'on appelle pompeusement production. Pour lancer un secteur de production de médicaments au sens réel du terme, cela nécessite une puissance financière et une technicité. C'est pourquoi il faut penser à regrouper les petits producteurs en grand groupe, par actionnariat avec la participation de l'état, et en coopération avec les pays émergents qui ont acquis une grande maitrise dans la production du générique. Car celui-ci, reste le seul moyen pour diminuer la facture faramineuse d'importation du médicament, qu'on pourra demain ne plus pouvoir honorer. La promotion du générique passe par l'application par la sécurité sociale du «prix référent», augmentant le taux de remboursement de celui-ci, par rapport aux autres. Enfin une campagne d'information active doit être menée pour contrer l'Intox menée auprès des patients dévalorisant le générique. Les différentes commissions de control doivent éviter tout cloisonnement entre elles, leurs rôles doivent être complémentaires, elles se doivent de travailler dans la transparence la plus totale. L'on se doit d'être vigilant pour qu'aucun lien d'intérêt ne lie l'un de ses membres ou secteurs pharmaceutiques. On se doit de rappeler que le médicament est un produit stratégique, assurant la bonne santé des citoyens, c'est pourquoi, l'état doit être vigilant par son implication dans la régulation et le contrôle du marché. LE FINANCEMENT L'Argent, dit-on, est le nerf de la guerre. Aussi l'on ne peut gagner que les batailles pour lesquelles l'on dispose de moyens. Nous avons précédemment relevé les faiblesses du financement de notre système de santé, et particulièrement le manque d'une visibilité. Un exemple que l'on doit méditer : Lors de l'embellie financière des années 70, nos hôpitaux ont été dotés d'équipements sophistiqués de dernière génération, au détriment de ceux de base. Lors de la crise financière du milieu des années 80, tout le parc des structures hospitalières était en panne, sans avoir les moyens financiers pour le remettre en marche. Il faut d'abord savoir que les évolutions technologiques, dans le diagnostic, et les nouvelles molécules dans le traitement, rendent le coût de la santé de plus en plus cher. Aucun pays, même parmi les plus nantis, ne pourront assurer une «couverture médicale universelle» à 100% de leur population. C'est pourquoi est-il nécessaire de trouver de nouvelles sources de financements pour la santé, afin de respecter les recommandations d'institutions internationales. La déclaration il y a 30 ans d'ALMA-ATA, qui recommande à l'ensemble des nations que «promouvoir et protéger la santé est essentielle au bien être humain et au développement économiques et sociale». Puis la déclaration 58-30 de l'Assemblée Mondiale de la santé de 2005 déclarant que «tout individu doit pouvoir accéder aux services de santé sans être confronter à difficultés financières». Pour pouvoir atteindre au moins une partie de ces objectifs, dans la déclaration d'ABUJA en 2001, les chefs d'états africains, recommandent que 15 % du budget global de l'état soit consenti à la santé (Je rappelle que pour 2012, notre pays consomme 11,8%). Notre système de santé est financé à ce jour par des dotations budgétaires de l'état, un forfait «hôpitaux» de la sécurité sociale et une participation de ménages. Or notre économie basée sur la rente pétrolière, peut entrainer une révision à la baisse du budget de l'état. Vu le coût de la prise en charge d'un patient, généré par les technologies de pointes et le prix des nouvelles molécules, la sécurité sociale pourrait se trouver en difficultés, par l'obligation de conventionnement du secteur privé, et le remboursement en rapport avec la réalité des prix, et une baisse de cotisation due au chômage. Enfin la participation toujours plus grande des ménages, va éliminer de l'accès aux soins de larges pans de la société. Selon l'OMS quand la participation des ménages atteint 50 % c'est tout le système de santé qui risque de s'effondrer. Ainsi chaque pays se doit de trouver les moyens financiers pour éviter cela. En élaborant un système où chaque citoyen peut accéder au service de santé sans subir les contraintes financières, tous les gouvernements font face à 03 questions: -Comment un tel système de santé est-il financé ? -Comment peuvent-ils protéger les conséquences financières liées à la maladie et aux paiements des services de santé. -Comment peuvent-ils encourager une utilisation optimale des ressources Ce qui présente un obstacle pour le financement d'un système de santé pour son optimalisation, c'est l'utilisation inefficiente et inéquitable de ressources. Selon l'OMS 20 à 40 % des ressources de santé sont gaspillées et ce en fonction du degré d'organisation du système. A suivre *Professeur de Chirurgie cancerologique.(CHU Oran)