Un pays riche qui a de l'argent à placer et un pays en crise aux actifs sous-évalués et donc bon marché… C'est un peu, en résumé, l'histoire de la relation actuelle entre le Qatar et la France. Lundi 19 mars, on a ainsi appris que le fonds d'investissement Qatar Holding LLC (QH) détient désormais 12,83% du capital et 10,05% des droits de vote du groupe français Lagardère. Déjà, en janvier dernier, le fonds qatari avait annoncé avoir dépassé la barre symbolique des 10% du capital. Il s'agit donc d'investissements récurrents avec pour objectif évident l'ambition de devenir un actionnaire de référence de Lagardère. UN INVESTISSEMENT STRATEGIQUE Pour le Qatar, l'attrait de Lagardère se situe dans le fait que l'un de ses actifs principaux est le constructeur EADS présent notamment dans l'aérien civil (Airbus) mais aussi dans l'armement. Avoir son mot à dire dans les décisions stratégiques concernant EADS est donc l'objectif réel pour le Qatar sachant à quel point les secteurs de l'aérien et de la défense sont jugés vitaux et attractif par l'émirat et ses voisins du Golfe. Pour autant, cela n'empêche pas le Qatar de mettre de l'argent dans d'autres secteurs. Pour mémoire, Qatar Holding a récemment pris des parts dans le capital de LVMH (1%), numéro un mondial du luxe, ainsi que dans celui du groupe pétrolier français Total (2%) ce qui s'additionne à ses participations plus anciennes de 5,6% dans Vinci et de 5% dans Véolia. Si l'on rajoute dans cette liste ses différents investissements dans l'immobilier de luxe aux quatre coins de l'Hexagone, sa prise de contrôle du club de football du Paris-Saint-Germain, on peut, à juste titre en conclure que le Qatar est un acheteur omniprésent en France. Pour autant, l'investissement dans Lagardère est différent des autres car Qatar Holding y est désormais le premier actionnaire devant Arnaud Lagardère lequel détient 9,62% du capital mais 14,01% des droits de vote. Certes, le Qatar ne peut espérer prendre le contrôle du groupe car sa structure en commandite conforte le pouvoir d'Arnaud Lagardère même si ce dernier contrôle une part de capital inférieure à celle des Qataris. De même, Lagardère étant présent dans les médias (Europe 1, Gulli), une loi française datant de 1986 empêchera le Qatar de contrôler plus de 20% de son capital. Pour autant, il faut s'attendre à ce que Qatar Holding continue à investir dans le titre cela d'autant qu'il réclame un siège au conseil de surveillance du groupe (une exigence dont on connaîtra le résultat le 3 mai prochain). Déjà, des informations de presses annoncent qu'en réalité QH contrôle de manière directe et indirecte plus de 20% du capital de Lagardère. Bien que démenties, ces informations ont jeté le trouble et semblent sérieusement agacer les autorités françaises. Comme l'explique un spécialiste des marchés boursiers, le fait que Lagardère soit à la fois présent dans l'aérien et la défense n'en fait pas un actif comme les autres. Même s'il considère le Qatar comme un allié et que des liens personnels existent entre l'émir Hamad Bin Khalifa et Nicolas Sarkozy (mais aussi la famille Lagardère), le caractère stratégique du groupe risque de constituer un motif de tension entre les deux parties. INVESTISSEUR DORMANT OU ACTIF ? En tout état de cause, le Qatar veut avoir son mot à dire dans la gestion de Lagardère. Cette attitude rompt avec des décennies d'investissements prudents où les pays du Golfe avaient pour obsession de ne pas effaroucher les gouvernements occidentaux en se contentant d'investir sans réclamer un rôle actif. C'était encore le cas en 2008 quand le fonds souverain d'Abou Dhabi avait pris des participations dans divers groupes financiers anglo-saxons tout en assurant qu'il ne demanderait pas de siéger au conseil de surveillance ou d'administration. Cette fois, Qatar Holding n'entend pas jouer le rôle de potiche fortunée. A cet égard, la réaction des autorités françaises dans les prochaines semaines ne manquera pas d'intérêt.