Au Mali, la situation va de Charybde en Scylla, que ce soit à Bamako, capitale d'un pays devenu problématique, ou dans le Nord en rébellion. L'agression dont a été victime le chef d'Etat intérimaire à l'intérieur même du palais présidentiel n'est pas loin de représenter une illustration, plus que symbolique, de l'effondrement de l'Etat malien. Les accords imposés par la CEDEAO à une ex-junte, toujours active, sur la période transitoire sont bien fragiles. La réalité du pouvoir à Bamako se dilue dans un bicéphalisme qui ne dit pas son nom entre le vieux président intérimaire, Dioncouda Traoré, appuyé par un gouvernement sans moyens, et le chef des putschistes, un officier subalterne, le capitaine Sanogo. Les forces politiques maliennes s'enfoncent dans un statu quo paralysant. Dans cette atmosphère délétère, l'objectif de reconquête du Nord relève du vœu pieux. La chétive armée malienne, complètement désorganisée après ses cuisantes défaites face aux rebelles du Nord et par le putsch, est durablement hors d'état d'assumer ses responsabilités et de défendre une souveraineté nationale battue en brèche. Au Nord, dans l'immense région plus ou moins contrôlée par diverses organisations rebelles, la « fusion » entre le MNLA et le mouvement Ançar Eddine semble avoir été annoncée avec une certaine précipitation. Les divergences sur la question de l'instauration de la charia et le refus d'Ançar Eddine d'accepter des ONG occidentales dans la région expliqueraient ce blocage de dernière minute. De fait, l'annonce soudaine de la fusion entre les deux organisations a surpris bon nombre d'observateurs. Qui l'interprètent comme une véritable OPA d'Ançar Eddine sur le MNLA. La réalité du rapport de force semble en tout cas fort différente de la publicité qui faisait du MNLA la principale force au sein de la rébellion targuie. Plus les jours passent et plus on a la confirmation que le MNLA ne pèse pas aussi lourd qu'on l'a dit, tant sur le plan politique que celui militaire. Sur ce registre, il semble clairement supplanté par l'organisation dirigée par Iyad Ag Ghali. Si ces deux organisations semblent dominer sur le terrain, elles ne sont pas les seuls acteurs de la rébellion nordiste. La présence de la nébuleuse AQMI est confirmée, de même que celle de Boko Haram, originaire du Nord Nigéria, et de l'obscur MUJAO dont l'agenda politique est particulièrement flou. Pour compléter ce décor anarchique, il faut tenir compte des jeux de puissances extracontinentales. Avec en plus les influences de certaines pétromonarchies du Golfe, soucieuses de faire prospérer les gains politiques obtenus en Libye. A ce stade de décomposition, il est difficile d'envisager la stabilisation à court terme du pays et sa réunification. Il ne pourra s'agir que d'un processus lent et complexe. En tout état de cause, les tentations interventionnistes évoquées ici ou là laissent perplexes. La CEDEAO n'a évidemment pas les moyens de sa politique. L'organisation régionale pourrait, dans le meilleur des cas, envoyer quelques troupes pour sécuriser Bamako dans l'hypothèse d'une dégradation de la situation dans la capitale malienne. Mais il est difficile d'imaginer un corps expéditionnaire régional, même appuyé par des forces occidentales, se lancer à la reconquête du Nord-Mali. Cette perspective serait davantage compliquée par l'unification de la rébellion touarègue. Combien de milliers de soldats faudrait-il pour occuper efficacement une région aussi immense que radicalement hostile ? Les discours bellicistes se heurtent donc à la réalité géographique et aux conditions politiques qui caractérisent la région. Le désordre malien ne peut être résorbé par la force. La restauration d'un Etat central digne de ce nom passe par la négociation et l'éviction légale des facteurs de déstabilisation. Qu'il s'agisse des soldats mutins de Bamako ou des organisations subversives au nord du pays. L'intervention politique de l'Union africaine, seule structure continentale dotée d'une pleine légitimité, dans un processus de réconciliation nationale soutenu par l'ensemble des voisins du Mali, représente la seule réponse opérationnelle au délitement durable et catastrophique d'un Etat clef du Sahel.