Ahmed Ouyahia bat le rappel de ses troupes, aujourd'hui à Zéralda, pour tenir le conseil national de son parti dont les rangs risquent une sérieuse implosion. Qu'ils soient pro ou contre leur secrétaire général, les militants du Rassemblement national démocratique (RND) affûtent leurs armes, chaque partie de son côté, pour tenter de retourner les choses, chacune en sa faveur. La tenue aujourd'hui du conseil national du parti leur donne l'occasion de se positionner chaque membre selon ses convictions, ses aspirations et ses intérêts. Il est d'ores et déjà dit que dans les rangs de ce parti, beaucoup de réactions contre Ahmed Ouyahia pourraient ne pas se déclarer au grand jour en raison de «l'opportunisme qui régule les relations militants-responsables, et qui laisse espérer un partage du gâteau après les élections législatives, en prévision du changement de gouvernement et aussi des élections locales prévues en novembre prochain». Mais tout est dans ce partage d'un gâteau qui «ne prend plus» depuis quelques années. Il faut reconnaître à Nouria Hafsi d'avoir ouvert, au grand jour, les hostilités contre Ahmed Ouyahia dont les points d'ancrage au sein du pouvoir laissent croire à des capacités de nuisance qui feraient taire les plus téméraires de ses militants. Il a été certes reproché à la secrétaire générale de l'UNFA d'avoir agi contre Ouyahia parce qu'il n'a pas accepté sa candidature pour les élections législatives du 10 mai dernier. Hafsi reconnaît que sa candidature a été rejetée par le SG du RND mais réfute qu'elle en soit la cause de sa dissidence. «Ce n'est pas la première fois qu'Ouyahia rejette ma candidature, il l'avait fait déjà en 2002 et en 2007, et tout le monde sait qu'il l'a fait parce que j'ai toujours dénoncé franchement ce qui ne va pas au sein du parti, mais il n'a jamais écouté personne», nous a-t-elle dit hier avant la réunion que les dissidents comptaient tenir. LES DISSIDENTS SE RASSEMBLENT Aujourd'hui, Nouria Hafsi n'est plus seule à dénoncer publiquement le profil «dictatorial» de Ouyahia. Le P/APC d'Alger, Taïeb Zitouni, présent hier, a aussi rejoint la dissidence depuis quelques jours. Il précise que «je n'ai pas été demandeur de siège de député pour qu'on m'accuse d'opportunisme ou de vouloir me venger, je crois en cette dissidence et je compte bien aller jusqu'au bout pour réhabiliter le parti et lui donner l'assise démocratique pour laquelle il a été créé». Détenteur d'un mandat de P/APC pour la troisième fois, il rappelle qu'il a été quatre fois DEC et vice-DEC et qu'il a même été blessé par des terroristes lorsqu'il dirigeait l'APC de Oued Koriche. «Une fois qu'il a été créé, le RND m'a trouvé dans mon bureau de DEC, ce n'est pas lui qui m'a fait, au contraire, j'ai servi ce parti, je suis un de ses membres fondateurs», nous a-t-il dit hier. Il note surtout que «c'est mon dernier mandat, je ne me présenterai plus à aucune élection, ceci pour des raisons personnelles, je suis ingénieur d'Etat en urbanisme et je soutiendrai ma thèse de magister la fin du mois de juin. Donc, on ne pourra pas me reprocher de vouloir partager un quelconque gâteau». Le P/APC d'Alger note qu'il a été dans ce sens, cosignataire avec d'autres membres du RND d'un communiqué rendu public il y a de cela une dizaine de jours. Les initiateurs de ce qui est appelé «Mouvement de sauvegarde du RND» ont rappelé les années de gloire du parti, mais veulent aussi informer de sa déchéance. «15 ans après la fondation du RND, les chiffres parlent et rendent compte d'une intolérable descente aux enfers, d'une inadmissible dégringolade», a-t-il été noté dans le communiqué sous l'intitulé «Initiative pour rendre le RND à ses militants». LE P/APC D'ALGER PERSISTE ET SIGNE Il est ainsi affirmé que «nous avons perdu 50% de sièges de députés, 75% de sièges de sénateurs, 70% des APC et 60% de nos APW». Les signataires déclarent alors que «les prochaines élections locales s'annoncent déjà comme devant être très mauvaises pour notre parti». C'est en raison de ce «recul incontestable du parti sur la scène politique provoqué par Ouyahia», que la dissidence en son sein est déclarée grande ouverte. Zitouni la qualifie d'«appel politique sérieux pour mettre un terme à la dictature qui régente le parti». Dans le communiqué, les dissidents soulignent à ce sujet «( ) la gestion chaotique et hasardeuse du parti, menée selon un mode tout à fait privatif». Gestion et gouvernance qu'ils désignent alors de «non statutaires, antidémocratiques et hypercentralisées», causant, selon eux, «des résultats catastrophiques». Ils accusent ainsi Ouyahia et dénoncent son «arrogance, son mépris, son autoritarisme déplacé et ses injonctions intempestives». L'on note qu'il «gère le parti de façon clientéliste entouré de certains de ses courtisans zélés ( ), s'organisant comme un groupe d'intrigants de bas étage ( )». Ouyahia est devenu à leurs yeux «véritable chef de bande, prédateur politique, féroce et étiqueté, à l'appétit insatiable et avec une violence gratuite car injustifiée». A la veille du conseil national, Taïeb Zitouni rebondit donc et nous explique que «l'élite du parti est en dehors de ses structures, les membres du conseil national et du bureau national n'ont jamais été élus, ce sont des gens à Ouyahia qu'il a sélectionnés lui-même». Le P/APC d'Alger affirme encore qu'«il n'y a jamais eu d'élection au sein du parti, ni des congressistes ni des coordonnateurs». Les deux derniers congrès ont été tenus, selon lui, sans aucune élection. Il accuse Ouyahia d'avoir «touché aux statuts du parti pour empêcher le dialogue et fermer le débat». Zitouni nous explique que «si nous nous sommes tus depuis plusieurs années, c'est parce que nous pensions qu'il ne restera qu'une période et que les choses allaient changer». Il pense que «c'en est trop, il est allé trop loin et ne veut pas reculer». Il fait savoir que «nous sommes aujourd'hui majoritaires à dénoncer sa gestion, ceux qui ne veulent pas se prononcer publiquement ont peur des représailles». Zitouni, que nombreux de ses compagnons attendaient dans une autre salle pour se réunir et décider de ce qui devra être fait dans le CC d'aujourd'hui, affirme au sujet d'éventuelles représailles qu'«il est craint parce qu'il est le Premier ministre». LA DISSIDENCE CONTRE OUYAHIA S'AMPLIFIE Zitouni dénonce le fait que «c'est Ouyahia qui a confectionné les listes des candidatures pour les dernières législatives, il a mis beaucoup de coordonnateurs parce qu'il se prépare pour 2014». Mais cela, dit-il, «importe peu, aujourd'hui, on parle du parti, il ne peut être fort qu'avec une véritable démocratie, un débat comme c'est le cas au FLN où tout se fait en référence aux statuts, par des débats et par des élections». Le RND, ajoute-t-il, est «un parti fermé où tout se fait sur décision de son SG». Il affirme que «si nous analysons ce qui se passe dans ce parti, la majorité des responsables de ses structures ne peut même pas gérer un bureau !» Il continue sur sa lancée en soulignant que «Ouyahia n'a jamais choisi les compétences qu'il faut pour diriger le parti avec lui, il nous a imposé des pratiques de dictateur pour un résultat minable». Pour le P/APC d'Alger, «on doit passer par l'urne !» Il affirme alors que «nous avons un problème politique et organique, nous devons appeler à un congrès extraordinaire avant la tenue des élections locales parce que si le RND y participe avec à sa tête la même direction, il perdra». Il pense que «la gestion d'Ouyahia risque de laminer le parti et de le faire perdre à la République comme atout politique». Les dissidents comptent aussi mettre en place une commission nationale pour préparer les prochaines locales. «Au cas où Ouyahia nous refuse le congrès extraordinaire et la commission nationale, nous allons nous, en parallèle, installer notre propre commission pour préparer ces élections», nous dit Zitouni. «On ne personnalise pas le problème, on ne règle les comptes à personne, mais on veut ouvrir le parti à la pratique démocratique, resserrer nos rangs, récupérer les cadres militants exclus ou marginalisés et élire de nouvelles instances dirigeantes», précise-t-il. Le P/APC nous fait savoir que le groupe dissident a ouvert des permanences à l'Est, au Centre et à l'Ouest du pays. Si les groupes de Hafsi et de Zitouni ont déjà fait fusion pour mener la dissidence contre le secrétaire général du RND, l'on croit savoir que d'autres membres veulent faire entendre leurs voix à cet effet, aujourd'hui même, pendant la tenue du CC. D'anciens hauts fonctionnaires de l'Etat, d'anciens ministres et d'anciens élus, tous membres du parti, y sont attendus pour qu'ils dénoncent publiquement ce qu'ils appellent «la dictature d'Ouyahia».