Les Egyptiens ne semblaient pas faire preuve, hier, de grande ardeur, pour le dernier jour de vote du second tour de l'élection présidentielle qui oppose le général Ahmed Chafiq, dernier premier ministre de Hosni Moubarak à l'islamiste, Frère Musulman, Mohamed Morsi. Et comme pour signifier le caractère très relatif du résultat, les militaires s'apprêtaient, après la dissolution formelle du Parlement, à annoncer qu'il prenait en main le pouvoir législatif et les finances publiques. Une Déclaration constitutionnelle complémentaire devait entériner ce que d'aucuns qualifient de «coup d'Etat pré-électoral». Des sources militaires égyptiennes ont annoncé la couleur à l'avance en indiquant que le Conseil suprême des forces armées (CSFA) allait s'attribuer de facto «le pouvoir législatif et le contrôle des budgets de l'Etat». Le futur président, dont les prérogatives ne sont pas définies, l'ancienne constitution ayant été abrogée, va se retrouver face à des militaires qui disposent de l'ensemble des pouvoirs. Outre celui de la force et des appareils de sécurité, ils ont la main sur le pouvoir législatif et de l'affectation des ressources budgétaires. C'est donc l'armée qui va définir les prérogatives du futur président dans le cadre d'un vide constitutionnel à l'évidence savamment préparé. UNE «AGRESSION CONTRE LA REVOLUTION» Du point de vue juridique, le futur président n'a pas d'institution devant qui prêter serment, à moins de le faire devant les militaires, ce qui est un message des plus fâcheux. Ce contexte équivoque et tendu explique sans doute la participation «moyenne» des électeurs égyptiens. Les bureaux de vote ouverts depuis samedi, devaient fermer à 21H00 locales, soit une heure plus tard que prévu, afin de favoriser la participation. Les égyptiens, désabusés en général et impuissants devant ce que certains qualifient de coup d'Etat larvé, sauront officiellement le 21 juin prochain le nom du futur président. Mais l'on s'attend à ce qu'il soit connu bien avant cette date. Il est difficile de prévoir les réactions en cas de victoire d'Ahmed Chafiq, qui passe pour le candidat de l'armée et du système. Les Frères Musulmans qui ont une longue histoire de confrontation avec les militaires se retrouvent à nouveau face à eux dans une partie complexe. Ils ont déjà dénoncé une «volonté du Conseil militaire de s'emparer de tous les pouvoirs » et considérer que la dissolution du parlement était « une agression flagrante contre la révolution ». Ils restent néanmoins flous sur leur attitude future alors que l'armée s'est donnée tous les pouvoirs avec un rétablissement de facto des pouvoirs répressifs permis par l'état d'urgence, officiellement abrogés. LA TRANSITION N'EST PAS FINIE Il est clair que les militaires préfèrent l'élection d'Ahmed Chafiq qui a fait campagne sur des thèmes de retour à l'ordre et à la stabilité. Il peut escompter rafler les suffrages de ceux qui craignent l'arrivée d'un islamiste à la tête de l'Etat. A l'opposé, Mohamed Morsi, a tout fait pour se présenter, non pas comme un islamiste, mais comme celui qui peut empêcher la «contre-révolution» de se réaliser. Il n'est pas certain que son élection entrainera la fin de l'emprise des militaires sur la vie politique égyptienne. Toutes les mesures «préventives» qui ont été prises, un quasi-coup d'Etat, ont permis une prise de tous les pouvoirs par les militaires. L'élection d'un islamiste, «civil», risque d'être sans effet dans l'immédiat, mais elle créera une situation difficile pour les militaires. La bataille pour le pouvoir restera ouverte entre les militaires et les islamistes quel que soit le résultat de la présidentielle. La victoire de Chafiq ne pourra pas calmer «Place Tahrir» même si les réactions à la manœuvre des militaires restent modérées. Une victoire de Mohamed Morsi entrainera une bataille de pouvoir au sein de l'Etat. La transition n'est pas finie en Egypte.