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Ramadhan : Ce que doit la nuit au jour
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 11 - 07 - 2012

C'est à la fois avec joie et angoisse que nous accueillons Ramadhan. C'est le mois de tous les excès. Et pas seulement ceux de la table.
Le caractère humain subit une véritable mue.
A chaque ramadhan c'est la même atmosphère qui revient : le temps s'allonge, s'étire toute la journée, et il y a comme de l'électricité dans l'air. Les gens ont des mines froissées, des yeux vides et la parole difficile. Puis le soir venu, repus, les gens parlent fort, rient, ont un regard lumineux. Les rues s'animent, la musique fuse de partout, les mosquées sont remplies de bonnes âmes et l'on veille jusque très tard la nuit. La douceur de la nuit contraste vraiment avec la sécheresse et le poids de la journée. Est-il possible que jeûner durant 10 ou 12 heures puisse influer si étrangement sur la vie des gens, d'une cité, d'un pays ? Moi à qui on a appris que le mois de ramadhan est propice à multiplier les actes de charité et de solidarité, de civisme et politesse, de patience, de compassion et de pardon, je suis surpris depuis ma tendre enfance de cet écart de comportement chez les gens le jour et la nuit. D'ailleurs enfant, à l'âge de six ans, les adultes m'expliquaient que les enfants de mon âge jeûnent la nuit en dormant. C'est pour cette raison que les enfants, à l'inverse des adultes, gardent la joie de vivre durant les journées de ramadhan. Si comme ramadhan est, de jour comme de nuit, une fête pour les enfants qui culminent le jour de l'aïd el fitr. Du coup, je me mets à rêver que tous les adultes deviennent, durant ce mois sacré de jeûne, des enfants. Ainsi, il y aura jour et nuit de la joie de vivre. Plus de scène de disputes, plus de regards furieux et rageurs, plus de violence dans l'air. Que ceux parmi les adultes qui ne supportent pas les 10 ou 12 heures de jeûne, dorment la journée. Ils s'éviteront des colères et des excitations nerveuses et éviteront aux autres et aux enfants un climat de guerre. Faut bien travailler diriez-vous. Le travail ? Ah ! Faut y croire et voir ce qui se passe dans les bureaux et chantiers. Surtout dans les bureaux. Un silence pesant enveloppe les couloirs de nos administrations. Les administrations font la sieste. « Désolé, monsieur, mais le chef de service est en réunion » vous réplique l'agent au guichet pour justifier le retard de signature de votre document. C'est une excuse comme une autre. Et si vous insistez, l'agent va vous accuser de provocation et d'irrespect en ce mois sacré de jeûne. Il vous culpabilise, tant vous ne comprenez pas sa difficulté de travailler durant « sidna ramadhan ». Chez les commerçants c'est une autre logique : ils vous jurent sur tous les saints et sur ce mois sacré qu'ils ne gagnent aucun dinar sur le produit qu'ils vous vendent. Ils en font cadeau en ce mois de piété. Et si vous êtes genre à vous rendre chez le marchand de confiseries et sucreries, une ou deux heures avant la rupture du jeûne, vous risquez une fois sur deux d'assister à des échanges verbaux véhéments, voire des pugilas entre jeûneurs. Il y a aussi le bouche à oreille qui vous conseille tel marchand de z'labia et chamia (kalb ellouz), plutôt qu'un autre. « Un tel à 4 kilomètres, près de la pompe à essence à la sortie de la ville est un vrai artiste de Z'labia ». Certains parcourent des kilomètres pour un kilo de z'labia, vraisemblablement exceptionnel. Ce n'est pas tout, puisque il y a la circulation automobile ! Entre conducteurs et avec les piétons c'est sur le fil du rasoir. Il y a ceux qui passent leurs nerfs sur le klaxon ; ceux spécialistes du bras d'honneur et des gros mots ; ceux qui s'arrêtent et improvisent un match de boxe et ceux qui, au paroxysme de la faim, de la soif et du manque de nicotine n'hésitent pas à provoquer… l'accident. Etrangement donc, les journées deviennent un enfer pour les plus sensibles. Le soir, ah ! Le soir. Retour au paradis ! Les bisous aux plus proches, les congratulations et félicitations d'avoir gagné une journée de jeûne en plus et jusqu'à l'autre excès : celui de la bigoterie. Autour d'un thé à la menthe, la cigarette comme un fétiche entre les doigts, les paroles pieuses fusent. Ce n'est que rappel de versets du coran, de hadiths et de contes et légendes d'autrefois. Les plus impliqués dans le jeûne courent à la mosquée pour les prières surérogatoires (taraouih). Ils multiplient les prières, particulièrement lors de la « Nuit du destin », celle qui précède le 27ème jour. Les nuits de Ramadhan sont à la fois joyeuses, pieuses et généreuses. Comme se serait bien que les journées leur ressemblent. Comme ce serait bine que les adultes soient rieurs et généreux comme les enfants. Enfin, comme se serait magnifique que la courbe de la charité et de la générosité envers les plus démunis qui grimpent durant ramadhan, se poursuit le long des onze autres mois de l'année. Ramadhan nous arrivera alors avec ses lumières et sa bonté. Nous serons heureux la nuit et aussi le jour.


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