Une manifestation antigouvernementale se déroulait hier à Kasserine, mais le calme était revenu à Sidi Bouzid, ville voisine et berceau de la révolution tunisienne de 2011, théâtre la veille d'affrontements entre policiers et manifestants. A Kasserine (centre-ouest), des dizaines de manifestants ont réussi à atteindre la cour du gouvernorat (préfecture) en criant des slogans antigouvernementaux. Ils se sont dispersés dans le calme à la demande de la police, avant de reprendre leur mouvement dans le centre-ville, certains brûlant des pneus. Ils réclamaient le versement d'indemnités aux proches des victimes de la révolution de 2011 qui a fait chuter le président Zine El Abidine Ben Ali. Kasserine, quelque 70 kilomètres à l'ouest de Sidi Bouzid, avait été la deuxième ville à entrer dans la révolte lancée à Sidi Bouzid. Ces indemnisations, sujet très sensible en Tunisie, ont pris un grand retard en raison de la complexité du dossier, et le gouvernement dominé par les islamistes du parti Ennahda s'est attiré les foudres des familles de victimes en annonçant vouloir indemniser les prisonniers politiques de l'ancien régime, en majorité des islamistes. A Sidi Bouzid en revanche, le calme était revenu après que la police a dispersé jeudi matin puis dans la nuit deux manifestations d'opposition à l'aide de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogène. Au moins cinq personnes avaient été légèrement blessées et cinq autres interpellées, selon les opposants. Le ministère de l'Intérieur n'a dressé aucun bilan officiel. Hier, des représentants syndicaux et de la société civile ont débattu au siège régional de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) à Sidi Bouzid. «C'est une réunion (...) pour examiner et discuter de la situation actuelle, des moyens, des solutions pour dépasser cette crise», a indiqué Ali Zarii, un responsable de l'UGTT, la centrale syndicale historique. Les débats se concentraient sur un éventuel appel à la grève dans la ville le 14 août. Signe d'un mécontentement croissant, le week-end dernier des manifestants protestant contre des coupures d'eau avaient été dispersés sans ménagement toujours dans le centre du pays. Fin juillet des protestataires de Sidi Bouzid avaient déjà fait face à des tirs de sommation. «Nous dénonçons une campagne d'arrestations dans la région», a indiqué à ce sujet M. Zarii, évoquant une quarantaine de personnes placées en détention depuis deux semaines. Sidi Bouzid est située dans une région particulièrement pauvre et marginalisée sous l'ancien régime. Or, selon des analystes, la situation économique et sociale ne s'y est guère améliorée depuis la révolution. Cette ville a une importance hautement symbolique, en tant que berceau de la révolution. Le point de départ avait été la mort, le 17 décembre 2010, de Mohamed Bouazizi, 26 ans, un vendeur ambulant qui s'est immolé par le feu pour protester contre les saisies musclées de la police de ses marchandises. La misère, le chômage, en particulier des jeunes, et la corruption étaient au coeur des raisons de ce soulèvement, et nombreux sont ceux qui estiment que le gouvernement de coalition dominé par Ennahda a échoué. Les troubles à Sidi Bouzid interviennent aussi au moment où les critiques se multiplient contre les islamistes, accusés de dérive autoritaire et conservatrice. Les détracteurs du pouvoir dénoncent une série de projets de loi remettant en cause, selon eux, la liberté d'expression, les droits de la femme et l'indépendance de la justice, des accusations rejetées en bloc par Ennahda.