A peine désigné médiateur dans le conflit syrien, en remplacement de Kofi Annan, l'ancien chef de la diplomatie algérienne, Lakhdar Brahimi, a essuyé une vive attaque du Conseil national syrien (opposition, installée en Turquie) qui lui reproche de ne pas avoir exigé, de manière explicite, le départ de Bachar Al-Assad. De son côté Damas lui reproche d'utiliser l'expression « guerre civile ». Probablement instruit par des puissances étrangères qui ne veulent pas se prononcer trop vite, après avoir bruyamment salué la désignation de Lakhdar Brahimi, le Conseil national syrien (CNS) s'est chargé d'essayer de « baliser » la mission de l'ancien chef de la diplomatie algérienne. Il l'a fait de manière très agressive en exigeant de lui des « excuses ». Le prétexte ? Une déclaration rapportée par «Reuters » en réponse à une question sur le départ de Bachar Al Assad. « Il est bien trop tôt pour que je puisse prendre position sur ce sujet. Je n'en sais pas assez sur ce qu'il se passe», aurait dit Lakhdar Brahimi. Ce qui relève d'une prudente banalité diplomatique pour quelqu'un qui est officiellement chargé d'une médiation. Pourtant, le Conseil national syrien (CNS), a feint l'indignation, s'est dit « choqué » et a réclamé des « excuses ». Le CNS, très lié aux pays du Golfe et aux Occidentaux, a même sorti l'artillerie lourde, en accusant Lakhdar Brahimi de faire preuve de «mépris envers le sang versé par le peuple syrien et son droit à l'autodétermination Donner à Bachar al Assad le temps dont il a besoin pour détruire les fondements de la société syrienne est contraire à l'humanité et à la paix ( ) Nous exigeons que l'émissaire, qui n'a pas consulté de Syriens à propos de sa mission, présente des excuses à notre peuple», indique le CNS dans son communiqué. AFFAIBLIR LE MEDIATEUR, TUER LA MEDIATION On imagine la crédibilité d'un médiateur dans un conflit dur qui entamerait sa mission par des « excuses » à l'une des parties au conflit ! Discréditer le médiateur et empêcher la médiation est visiblement l'objectif du CNS et de ses soutiens extérieurs. La sortie du CNS a d'ailleurs agacé Lakhdar Brahimi. Face à une journaliste d'Al Jazira, très « offensive », Lakhdar Brahimi a apporté un correctif alambiqué à l'article de « Reuters » en indiquant que sur la question de savoir si « M. Assad va partir ou pas, je n'ai pas dit que ce n'était pas le moment pour lui de partir». C'est de la litote. Il aurait pu tout aussi bien dire qu'il n'a pas dit, non plus, que c'était le moment pour lui de partir. Le diplomate algérien qui n'est pas né de la dernière pluie savait qu'au-delà du CNS, ce sont des Etats, d'Occident et du Golfe, qui le testent sur le « préalable Bachar ». Il a estimé qu'il n'avait pas d'excuses à faire et que c'est au CNS de s'excuser « car ils pouvaient m'appeler et me poser la question». Le fait qu'un membre du CNS l'ait contacté, samedi, pour faire état de reproches est, en tout cas, le signe qu'une «instruction » a été donnée pour réagir sur le vif à la dépêche de « Reuters ». Finalement, l'ancien chef de la diplomatie algérienne a l'air d'avoir compris que le plus grand piège serait d'accomplir sa mission sous les lumières d'«Al Jazira » et des médias internationaux, la plupart en guerre contre le régime de Damas. «Cette affaire est très importante, trop importante pour que j'en parle sur « Al-Jazeera » ou sur d'autres médias» a-t-il déclaré sur la chaîne qatarie.» Je suis actuellement en route pour New York afin de rencontrer les responsables des Nations unies (...). Après cela, je réfléchirai à ce sujet et à d'autres questions», a-t-il encore dit. En tout cas, il a fixé au moins une règle pour son action : « je suis là et tout le monde peut venir (me parler) mais je ne m'adresse pas aux gens à travers les médias (...). Qu'ils m'appellent et nous parlerons de la Syrie comme ils veulent». DAMAS DANS LE DENI DE LA «GUERRE CIVILE» La virulente attaque du CNS est, en tout cas, révélatrice de l'extrême difficulté de la mission de Lakhdar Brahimi. Il est clair qu'aucune médiation n'est possible si l'on exige le départ de Bachar Al Assad, comme un préalable. En faire un préalable, c'est tout simplement rendre impossible la médiation. Ce qui n'exclut pas que ce départ, inévitable, fasse partie de la solution politique. Lakhdar Brahimi l'évoque bien en indiquant que « le changement est inévitable, un changement sérieux, un changement fondamental, pas cosmétique (...). Il faut que les aspirations du peuple syrien soient satisfaites». Il reste que préalable Bachar a, dans cette affaire, une fonction : empêcher ou retarder au maximum l'issue politique. C'est d'autant plus dramatique et cruel que Lakhdar Brahimi a rappelé qu'il ne s'agit pas, en Syrie, « d'éviter » la guerre civile, mais de l'arrêter. « Une guerre civile, c'est la forme de conflit la plus cruelle, quand un voisin tue son voisin et parfois son frère, c'est le pire des conflits», a-t-il déclaré. «Il y a beaucoup de gens qui disent qu'il faut éviter la guerre civile en Syrie, moi je crois que nous y sommes depuis déjà pas mal de temps. Ce qu'il faut, c'est arrêter la guerre civile et ça ne va pas être simple». A Damas, où le régime fait dans le déni, c'est le qualificatif de « guerre civile » utilisé par Lakhdar Brahimi qui suscite des réprimandes. Le ministère syrien des Affaires étrangères a affirmé que « parler de guerre civile en Syrie est contraire à la réalité et (c'est un terme qui) se trouve uniquement dans la tête des comploteurs. Ce qui se passe sur le terrain, ce sont des crimes terroristes qui visent le peuple syrien et qui sont perpétrés par des bandes salafistes armées, soutenues par des pays connus », a indiqué un communiqué du ministère, en mettant en relief un aspect, réel, mais partiel de la réalité. Ce ne sera effectivement « pas simple » de mener cette mission. Lakhdar Brahimi est tout comme l'a été Kofi Annan avant lui en charge d'une mission rendue « impossible » par les interférences extérieures qui cherchent à pousser le processus de décomposition de la Syrie jusqu'à la dislocation finale.