Le gouvernement islamiste marocain que dirige Abdelilah Benkirane ne serait plus en odeur de sainteté auprès du Palais. Les procès que lui fait la presse proche du Palais et du Makhzen en sont le signe. La très officielle agence de presse marocaine MAP avait donné le ton récemment en pointant un risque de dérive «populiste» d'Abdelilah Benkirane. Celui-ci a bien eu quelques «écarts» de langage qui ont déplu fortement à la cour royale. Malgré une réforme constitutionnelle accordant en théorie plus de pouvoirs au chef du gouvernement, les «conseillers» du Palais forment un gouvernement «bis» que d'aucuns, au Maroc, qualifient de gouvernement « réel». Les islamistes du PJD - qui sont très loin de revendiquer une monarchie constitutionnelle où le «roi règne mais ne gouverne pas» - pouvaient-ils utiliser la petite marge de pouvoir théorique formellement concédée dans la Constitution pour amener la monarchie à lâcher du lest ? En moins d'une année d'exercice, on peut dire que le pari est déjà perdu. En prenant la charge du gouvernement dans un contexte de détérioration de la situation économique et sociale, le PJD n'a pas reçu de cadeau. Au contraire, pour le roi et les adversaires des islamistes, c'était le «meilleur moment» de donner la charge au PJD, de l'épuiser afin qu'il apporte la preuve de son échec et/ou de son incompétence. Il y a quelques semaines, un journal européen titrait de manière expressive que «Benkirane n'amusait plus le roi». On passe désormais à un autre registre. Le ton de la presse marocaine est désormais que Benkirane «agace royalement le roi». En avril dernier, Benkirane avait osé critiquer ce gouvernement royal de l'ombre en dénonçant l'existence de «bastions de contrôle sous la domination de personnes dépourvues de titre politique». Depuis, le chef du gouvernement a œuvré à battre sa coulpe, allant jusqu'à présenter publiquement des excuses au roi et à ses conseillers. Le Palais a en effet multiplié par différents canaux les rappels à l'ordre sur les pouvoirs intouchables du roi. Le souverain, passant outre le chef du gouvernement, a ainsi convoqué le ministre de l'Intérieur et les patrons de services de sécurité pour exiger des mesures contre des fonctionnaires (police, gendarmerie et douanes) qui auraient racketté des Marocains résidant à l'étranger à leur entrée au pays. Un «coup» spectaculaire qui avait le bon côté de montrer un roi soucieux du bien-être de ses sujets et surtout de rappeler, au gouvernement, qu'il est maître à bord. Et seul maître à bord. Benkirane a avalé la couleuvre royale mais un dirigeant du PJD n'exerçant pas de fonction gouvernementale, Abdelali Hamidine, membre du secrétariat général du PJD, n'a pas hésité à qualifier cet acte royal d'intervention inconstitutionnelle et de grave empiétement sur les prérogatives du chef du gouvernement. Abdelali Hamidine a critiqué dans la foulée la cérémonie d'allégeance au roi dont il a relevé le caractère anachronique. C'est la critique de trop apparemment et le Palais en tient rigueur au chef du gouvernement. Vendredi, une activité de la jeunesse du PJD à laquelle devait participer Benkirane a été interdite par les autorités. Le roi Mohammed VI ne supporte presque plus Benkirane et ne serait pas loin de siffler la fin de partie. Cela permettrait aussi de passer au débit du gouvernement du PJD la panade diplomatique où le Maroc a été mis par la décision de «retrait de confiance» à l'égard de Christopher Ross. Les procès qui se multiplient contre un gouvernement, pourtant très docile, montrent que malgré les «réformes», le roi n'est pas prêt à se délester d'une partie de ses pouvoirs. Même pour un islamiste de sa majesté.