Les réactions de rejet enregistrées en Egypte contre le quasi-pronunciamiento décrété par le président Mohamed Morsi sont salutaires. Elles sont le signe que les leçons de décennies d'autoritarisme ont été tirées et que le temps de la naïveté politique est bien révolu. Aucune démocratie n'est irréversible. Même dans les pays développés où les formes de gouvernement démocratique sont la règle depuis longtemps, on ne cesse de soulever la question. Actuellement, l'énorme pouvoir des «marchés financiers» suscite un débat grave sur la dévitalisation de la démocratie et la transformation des gouvernements «élus» en fondés de pouvoir des banques et des détenteurs de fonds. Or, ce pouvoir des marchés échappe à tout contrôle et les pouvoirs politiques, en dépit des déclarations d'intention, n'osent pas aller vers une véritable régulation. Une démocratie où les détenteurs de pouvoir n'ont aucun contre-pouvoir et ne sont pas astreints à une reddition de comptes perd son sens. C'est un combat qui se mène, dans la difficulté, dans les pays développés. Et ce qui est en jeu en Egypte est bien cette notion centrale de contre-pouvoir. Il n'en restait pas beaucoup en raison des manipulations et des incohérences des militaires qui ont pris le contrôle du pays après la chute de Hosni Moubarak. Les pouvoirs qu'ils se sont octroyés pour contrer le changement se sont retrouvés aux mains du président Mohamed Morsi. Le seul contre-pouvoir qui est resté relativement autonome est celui des juges. C'est à ce dernier contre-pouvoir que l'ukase opportuniste du président égyptien - il a été décidé au moment où l'attention était focalisée sur Ghaza - s'est attaqué. Le fait que ces juges soient marqués comme étant fortement sous influence de l'ancien régime n'est peut-être pas infondé. Mais cela ne doit pas servir d'argument pour mettre le président au-dessus de toute loi et hors de tout contrôle. La démocratie est un système de gouvernement qui respecte l'homme. Mais c'est également une philosophie de gouvernement fondée sur une profonde méfiance à l'égard des hommes et de leurs possibles dérives. Elle ne croit pas qu'ils soient infaillibles, ni que les nobles intentions suffisent à prémunir des horreurs et des barbaries. Les exemples des bonnes intentions de gens bien sous tous rapports qui se sont transformées en enfer pour le plus grand nombre ne manquent pas, les livres d'histoire en sont pleins. Les hommes peuvent partir avec des intentions les plus élevées et aboutir à des pratiques les plus basses. C'est pour cela que tout pouvoir absolu est un danger. C'est pour cela que les contre-pouvoirs institutionnels doivent être défendus au-delà des idées et des opinions de ceux qui s'y trouvent. La mobilisation anti-pharaonique de nombreux Egyptiens est d'autant plus méritoire qu'elle fait face à un pouvoir qui joue, de manière ambiguë, sur le thème religieux. L'instrumentalisation de la religion reste encore l'ultime moyen d'entretenir la naïveté civique, celle qui consiste par exemple à exempter le détenteur du pouvoir de toute responsabilité et de mettre en cause, dans le meilleur des cas, son entourage. Ou encore celle des salafistes wahhabites qui qualifient d'hérésie toute contestation du pouvoir et de ses actions. Les Egyptiens ont le sentiment, à juste titre, de défendre des libertés à peine conquises. Leur combat n'est pas qu'égyptien, il concerne l'ensemble des pays arabes où des autocraties sont durablement en place.