Alors qu'une partie de l'Egypte était, dans la soirée de dimanche, soulagée et en liesse d'avoir échappé au candidat de l'armée, le nouveau président élu de l'Egypte, l'islamiste Mohamed Morsi, était déjà dans les soucis d'une gouvernance qui a peu de chance d'être tranquille à l'ombre des militaires. Sa première allocution a eu pour but de rassurer ceux qui n'ont pas voté pour lui et d'envoyer des signaux «apaisants» à l'extérieur. Il se veut le «président de tous les Egyptiens sans exceptions», sans oublier de rendre hommage aux «martyrs de la révolution» qui ont remis du mouvement en bousculant l'autocratie. Pour l'extérieur, le message est pragmatique avec l'engagement de respecter les traités internationaux -donc le traité de Camp David-. Le message vaut aussi pour l'armée égyptienne qui perçoit une aide financière annuelle américaine importante conditionnée au respect de ces accords. Il s'agit d'une aide de 2,1 milliards de dollars dont 1,3 milliard d'aide militaire. Cela n'a pas affaibli l'enthousiasme des Palestiniens de Ghaza et notamment du Hamas, qui entrevoit dans la victoire de Morsi une brèche dans le mur égyptien érigé par le régime de Moubarak. Après des semaines de tensions qui ont atteint un pic avec la dissolution du Parlement et la prise du pouvoir législatif par l'armée, le nouveau chef de l'Etat paraît en quête d'un nouveau consensus national. «L'unité nationale est le seul moyen de sortir de ces temps difficiles», a-t-il déclaré. Ainsi même si les rapports avec les militaires ont été orageux, il a tenu à leur rendre hommage. C'est le temps, sans doute court, de l'apaisement. UNE TRANSITION REMISE A ZERO Les grands problèmes d'une transition politique remise pratiquement à zéro par le Conseil suprême des forces armées (CSFA) ne vont pas attendre. Le CSFA, qui dispose désormais à la suite d'un ukase des pouvoirs législatif et budgétaire et d'un droit de veto sur le projet de Constitution, a décidé de relancer un conseil de défense nationale de 17 membres dont 11 généraux. On ne peut mieux réaffirmer au nouveau président les limites qu'il ne pourra dépasser. Mohamed Morsi était engagé, hier, dans ses premières actions en tant que président à pouvoirs limités en s'attelant à la formation d'un gouvernement. Il a visité le palais présidentiel avant de se rendre au ministère de la Défense pour s'entretenir avec le chef de la junte, le maréchal Hussein Tantaoui et le Premier ministre sortant Kamal Ganzouri. Morsi a déjà annoncé que le futur gouvernement sera largement ouvert aux autres forces politiques et que les Frères musulmans n'auraient pas plus du tiers des postes ministériels. Le poste de Premier ministre aussi ne sera pas dévolu à un «FM» et selon des informations, l'ancien chef de l'AIEA, Mohamed El-Baradei, aurait été sollicité. Morsi pourrait également nommer trois vice-présidents qui seront un copte, une femme et un jeune révolutionnaire. Mais ces aspects pourraient n'être que symboliques tant que la question, fondamentale, de la détermination des pouvoirs du nouveau président n'est pas réglée. Pour l'instant, ces pouvoirs sont pris en main de facto par les militaires avec qui des discussions auraient été déjà entamées. «Le président Morsi et son équipe sont en pourparlers avec le Conseil suprême des forces armées pour rétablir le Parlement élu, ainsi que sur d'autres questions», a déclaré hier Essam Haddad, haut responsable des Frères. Les Frères musulmans tentent d'obtenir le rétablissement, au moins en partie, du Parlement. DES REACTIONS D'ATTENTE DANS LE MONDE Dans le monde, les réactions paraissent aussi pragmatiques que l'a été Mohamed Morsi dans ses propos. Avec enthousiasme facilement compréhensible à Ghaza où Mahmoud Zahar, haut responsable du Hamas, a parlé d'une «nouvelle ère» et de «revers pour le programme de normalisation et la coopération sécuritaire avec l'ennemi». Il s'agit d'Israël qui s'est dit prêt à poursuive la coopération avec l'Egypte «sur la base du traité de paix» signé en 1979 entre les deux pays, saluant «le processus démocratique». Les Etats-Unis ont salué «une étape importante dans la transition vers la démocratie» en Egypte qui, la précision-injonction n'a rien d'anodin, doit «rester un pilier de la paix dans la région». «Nous croyons important que le président-élu Morsi prenne, en ce moment historique, des mesures pour parfaire l'unité de la nation en consultant tous les partis et tous les secteurs de la société en vue de former un nouveau gouvernement», a indiqué le porte-parole de la Maison Blanche. L'Union européenne, à travers la voix de Catherine Ashton, a qualifié d'»historique» l'élection de Morsi «pour le pays et la région». Elle s'est déclarée disposée à «travailler avec le président Morsi» et l'a appelé à «tendre la main à tous les autres groupes politiques et sociaux». Le président Abdelaziz Bouteflika a félicité Mohamed Morsi en lui souhaitant du «succès» et en priant «Dieu le Tout-Puissant d'accorder au grand peuple égyptien davantage de progrès et de prospérité sous votre direction éclairée».