L'Egypte post-Moubarak semble hésiter et chercher son chemin. Le nouveau pouvoir a vite fait de se mettre à dos l'opposition et une partie de la population dans ce pays qui compte plus de 82,5 millions d'habitants. Le président Morsi, de la puissante confrérie des Frères musulmans, s'est en fait aliéner une partie de la classe politique et une partie de la population pour s'être pratiquement donné des pouvoirs 'inviolables'' par la justice de son pays. Depuis presque deux semaines, le pays est plongé dans une autre protesta, et la fameuse place Tahrir a repris du service en accueillant des centaines de manifestants qui demandent à M. Morsi de revoir le décret qui lui confère des pouvoirs absolus, sinon qui interdit tout recours en justice contre ses propres décisions et contre la commission constituante. Cette levée de boucliers contre M. Morsi et, par delà sa personne, contre les islamistes par l'opposition de gauche et laïque, ainsi que par les Eglises chrétiennes en Egypte, prélude à une guerre de tranchées qui peut mener le pays, une fois encore, vers une autre profonde crise politique. Le spectre à ce niveau pour les Egyptiens est que ce bras de fer entre la gauche, laïque, soutenue par l'Eglise orthodoxe, et les partis islamistes, proches ou sympathisants, ne conduise à un autre embrasement du pays sur une base confessionnelle. Ce qui serait autrement plus dangereux pour la stabilité d'un pays qui fait office de soupape de sécurité entre Israël et les pays arabes. Le danger d'une déflagration en Egypte est palpable, même si pour le moment la bataille se situe sur un terrain encore favorable à un retour à une situation politiquement gérable. Mais, déjà, la tension est là, et Morsi est mis dos au mur par les magistrats et juges qui ont décidé de lever le pied et de protester contre son décret du 22 novembre dernier. Et, ce qui complique davantage la situation et rend les choses difficiles pour l'équipe du président Morsi, les 19 juges de la Cour constitutionnelle d'Egypte ont décidé de faire grève et, du coup, mettent sous le boisseau le référendum sur la Constitution, prévu le 15 décembre prochain. Une épreuve de force de plus pour le président Morsi, qui doit dès lors ramer à contre-courant, autant contre l'opposition de gauche, fermement décidée à le faire revenir en arrière, et les juges qui constituent en Egypte un lobby très influent, politiquement et économiquement. L'Egypte est-elle pour autant menacée d'éclatement et de basculer vers une épreuve de force aux contours de guerre civile ? Pas évident, selon des analystes qui estiment que pour le moment la confrontation met aux prises l'équipe au pouvoir, symbolisée par M. Morsi, et l'opposition de gauche, qui a trouvé dans le système judiciaire égyptien un allié de poids: les juges et magistrats qui composent autant le Conseil constitutionnel, chargé de valider par référendum les pouvoirs du président que la justice dans un pays où elle est pratiquement vénérée. En face, M. Morsi, fort du soutien de son parti et de ses alliés politiques, ne veut pas faire machine arrière, au risque de mener le pays vers un blocage politique synonyme de chaos dans une région pas encore guérie de tous les effets du Printemps arabe. L'Egypte, avec toute la fragilité de ses institutions actuelles, même décriées par l'opposition de gauche, reste pour autant un pays encore bien solide sur ses structures sociales et, surtout, militaires. L'issue du bras de fer entre islamistes et opposition de gauche, qui ne constitue pas la majorité politique dans le pays, dépendra de la marge de manoeuvre qu'aura M. Morsi pour trouver un deal avec les nationalistes, qui, eux, ont su garder leur pouvoir intact, notamment dans les milieux d'affaires, industriels et... de la justice.