Entre cinq et sept millions de dollars ont été versés et 16 membres du groupe Boko Haram ont été libérés en contrepartie de la libération des sept membres de la famille française Moulin-Fournier le 19 avril dernier. Devant l'afflux des informations en provenance du Cameroun -le journal «L'œil du Sahel» citant des services nigérians donne un luxe de détails- relayées par les médias hexagonaux, le chef du gouvernement français, Jean-Marc Ayrault s'est empressé d'affirmer que la France n'avait pas payé de rançon. «On dit toujours ça après une libération. L'important, c'est qu'ils aient été libérés. Bien entendu, on dément », a déclaré Jean-Marc Ayrault en bottant en touche. Car, si la France, en s'accrochant aux formes et à la «doctrine Hollande», n'a pas versé de rançon , une rançon a bien été versée. Et des membres du groupe Boko Haram ont été libérés. Qui a versé la rançon ? Une hypothèse faible -car risquant de mettre le gouvernement français en porte-à-faux vis-à-vis de ses engagements- serait qu'elle ait été versée par le groupe GDF-Suez pour lequel travaille Tanguy Moulin-Fournier, le père de la famille enlevée. Une telle hypothèse paraît improbable car le groupe français n'aurait pas pu payer sans un accord formel du gouvernement français qui a pris l'engagement public de ne plus accepter de verser de rançon. LES REVELATIONS DETAILLEES DE «L'IL DU SAHEL» Mais que la rançon soit versée par un «non-Français», le président camerounais Paul Biya, est l'hypothèse la plus plausible. C'est d'ailleurs la seule évoquée par l'article remarquablement détaillé de «L'œil du Sahel» qui cite abondamment des sources dans les services de renseignements du Nigeria. Avec une précision de taille, le processus s'est fait avec l'assentiment tacite du Nigeria -qui a dégagé la zone où on a relâché les membres de Boko Haram- et de la France. En tout cas, aucun des deux pays n'ignorait les tractations menées par des intermédiaires camerounais avec les ravisseurs. Selon le journal, le versement s'est déroulé en plusieurs étapes et selon des circuits complexes. D'où vient l'argent ? Du côté du Nigeria, on n'a aucun doute. L'argent est venu du Cameroun et le Président Paul Biya peut l'avoir décidé par «humanisme», par «calcul politique» afin d'améliorer ses «bonnes relations avec la France et espérer en tirer des dividendes en termes d'image, de réduction de la dette... Il peut avoir été un simple transporteur de valises et que l'argent a été versé par des tiers...». Le sécuritaire nigérian qui s'exprime avec un réalisme cru a noté que «maintenant que l'affaire s'est bien terminée, le plus difficile commence pour nous: remonter la chaîne depuis les bandits qui ont kidnappé les otages jusqu'à ceux qui ont encaissé l'argent ». Formellement, la France peut démentir avoir versé une rançon, il est beaucoup plus aléatoire de démentir l'existence d'une rançon. Le sécuritaire nigérian le dit clairement, le Cameroun, en aboutissant à cette solution, «montre qu'il est capable de résoudre des questions sécuritaires qui se posent sur son territoire, engrange au passage de gros bénéfices politiques, et permet à la France de dissimuler son rôle pourtant déterminant dans cette affaire ». Les Boko Haram ne sont pas devenus subitement des anges ! Ces informations qui viennent écorner la nouvelle «doctrine de Hollande» de non-versement de rançons -même si formellement la France n'y est pour rien- ne surprennent pas vraiment. Personne ne pouvait en effet imaginer que les ravisseurs ont libéré «pour rien» et «sans contrepartie» les otages français qu'ils ont détenus pendant 60 longs jours. Le groupe Boko Haram réputé brutal et sectaire ne s'est pas transformé subitement en mouvement pacifiste. Il y a bien eu négociations, tractations et contreparties. Les médias français, eux-mêmes, ne pouvaient croire à cette version rose d'une fin heureuse sans que de l'argent ait circulé. Tout le monde attendait le début de révélations et elles tombent désormais, très fortes. Et ce ne sont pas les faibles démentis français qui vont toucher à leur crédibilité. Paris en est en réalité à sauver les apparences. La France n'a pas versé de rançon, c'est probablement vrai. Une rançon a été versée, c'est absolument certain. La France savait, c'est tout aussi certain.