Le gonflement du volume des importations inquiète. La crainte des économistes est de voir les autorités recourir aux vieilles réponses bureaucratiques au lieu de s'attaquer au fond du problème. L'économiste Mouloud souligne dans cet entretien percutant qu'il est absurde de focaliser sur le segment importation alors que le vrai chantier est ailleurs. De quoi recentrer le débat économique de la «rentrée». Le rythme d'évolution des importations au cours des deux dernières années inquiète, un rapport a été commandé par les autorités, il est attendu pour la fin du mois. Quel est l'état des lieux ? Ce qui inquiète, à ce stade, c'est la croissance fulgurante du volume des importations, qui menace les équilibres de la balance des paiements. En extrapolant à partir des résultats du premier semestre, nous devrions terminer l'année autour de 72 milliards de $US d'importations de biens et services (60 Mds pour les marchandises et 12 Mds pour les services) ; même avec la perspective d'une conjoncture très favorable sur le marché international des hydrocarbures, cela signifie que l'important excédent commercial annuel observé tout au long des douze dernières années, est en train d'être siphonné. Ces chiffres doivent être lus comme un signal d'alarme que les autorités devraient regarder avec attention. Il faut attendre les recommandations éventuelles de ce rapport commandé par le gouvernement, en espérant qu'il ne cédera pas à la panique et qu'il ne s'engagera pas, comme ce fut le cas en 2009, dans des mesures irréfléchies et bureaucratiques dont on voit bien, aujourd'hui, qu'elles ont été complètement inefficaces. Pour l'immédiat, les équilibres de notre commerce extérieur sont certes préoccupants, mais la véritable inquiétude est celle qui résulte du gel des réformes structurelles de notre économie .En effet, avec une croissance moyenne de nos importations qui, depuis 2002, dépasse les 12% par an, la croissance du PIB oscille péniblement entre 2 et 3%, très loin derrière la moyenne de l'ensemble des pays africains ; l'investissement productif hors hydrocarbures est largement insuffisant et reste lourdement pénalisé par un environnement des affaires rongé par une bureaucratie plus soucieuse de préserver les rentes du commerce d'importation ; la chaine d'approvisionnement externe plie sous le poids de sa désorganisation et d'une hémorragie structurelle de surcoûts financiers (entre 7 à 8 Mds de $US/an), en raison du déclassement prononcé de nos infrastructures portuairescomme d'une industrie maritime nationale réduite à néant ; plus de 90% de nos balances commerciales sont déficitaires. Dans les conditions actuelles, force est de constater que notre commerce extérieur crée plus d'emplois et de valeur ajoutée chez nos partenaires .Malgré les difficultés et les pressions de lobbies dont chacun peut mesurer la puissance, il faut espérer que c'est ce débat que le gouvernement souhaitera ouvrir. Le Premier ministre a réuni en juillet dernier les PDG des banques publiques sur ce thème pour leur demander de réfléchir aux moyens de diminuer les importations. Quel peut être le rôle des banques ? Vouloir s'appuyer sur les banques publiques (pourquoi seulement les banques publiques ?) pour réguler les importations relève d'une démarche à mon sens peu appropriée. Si le gouvernement souhaite réellement réduire les importations, il n'y a rien de plus simple pour lui. Il lui suffit de réintroduire les licences d'importation. Cela passepar le changement de la loi sur le commerce extérieur (ordonnance 03-04 du 19 juillet 2003) qui, pour l'heure, stipule clairement (article 2) que les opérations d'importation et d'exportation se réalisent librement. Cela passe aussi, il est vrai, par une révision de quelques accords internationaux, et en particulier de l'accord d'association avec l'Union européenne ; ce type d'obstacle, faut-il le souligner, n'a pas pesé bien lourd quand il s'est agi de revoir le régime des IDE dans notre pays. Ce que je veux dire, c'est qu'en matière de politique commerciale extérieure, il faut savoir ce que l'on veut : on ne peut pas, d'un côté, promouvoir la liberté de commerce et d'industrie et de l'autre, s'échiner au quotidien à marquer les entrepreneurs « à la culotte ». Sagissant du rôle des banques, qui sont, elles-mêmes, des sociétés commerciales, au nom de quelle raison devraient-elles se transformer en vecteurs de la censure des échanges de leur clientèle ?Le pire dans tout cela, c'est que tout le monde sait que ces procédés éculés ne marchent pas. D'un autre côté, si les banques sont plus promptes à financer le commerce d'importation que l'investissement ou la production, c'est avant tout parce que l'ensemble du système de régulation, tel qu'il fonctionne actuellement, les y invite. C'est donc bien ce système de régulation qu'il convient de réformer Enfin, plus généralement, il y a quelque chose d'insultant pour l'imagination des algériens à toujours focaliser l'attention sur le seul segment des importations ; c'est l'ensemble de notre commerce extérieur qu'il faut mettre en perspective pour en faire un instrument du développement économique du pays. Au lieu de chercher àdiminuer l'importation, la vision saine devrait, au contraire, se donner les moyens de doubler, voire tripler à terme leur volume, en doublant ou triplant dans le même temps celui de nos exportations. Quelle est cette malédiction qui condamnerait notre pays à n'exporter que du pétrole ou du gaz ? Pourquoi la politique économique s'échinerait-elle à promouvoir des rentiers plutôt que des investisseurs et des producteurs ? Jusqu'à quand allons-nous continuer de censurer des investisseurs étrangers qui souhaitent produire sur notre territoire, là où nous acceptons sans sourciller leurs réseaux commerciaux ? Le manque absolu d'ambition pour notre pays est une lacune politique qui sera cher payée par les générations futures. Quelles sont, selon vous, les mesures qui pourraient être annoncées par l'administration dans les prochains mois ? Un retour à une gestion administrée vous parait- il possible ? Parler de gestion administrée du commerce extérieur ne me semble pas très convenable. Dans aucun pays du monde, la gestion du commerce extérieur n'est une affaire administrative. Nombreux sont ceux qui, chez nous, interprètent à tort la libéralisation commerciale externe comme une perte de contrôle politique sur l'orientation du commerce extérieur. Ce que d'aucuns désignent comme la gestion administrée du commerce extérieur n'est, dans les faits, que l'expression d'une politique commerciale externe très peu élaborée, aux contours illisibles et, pour tout dire, d'une faiblesse criarde. Comment expliquer autrement que la puissance publique d'un grand pays comme l'Algérie, dont les partenaires attendent qu'elle affiche avec clarté ses grandes orientations et les grandes règles qu'elle entend imprimer à son commerce, en soit réduite à des circonvolutions administratives ? Il est temps d'ouvrir nos yeux. Ce qui nous tient lieu de politique commerciale externe se résume à utiliser les ressources tirées de notre sous-sol pour aller faire nos emplettes sur les marchés du monde. Notre problème, en Algérie, est simplement que le pouvoir politique est aujourd'hui sous influence de réseaux dont les intérêts sont plus liés à ceux des exportateurs de quelques grands pays partenaires qu'à ceux que préoccupe la promotion de l'investissement et de la production sur notre propre territoire. C'est dramatiqueet humiliant à constater, mais notre commerce extérieur n'est pas, dans son fonctionnement actuel, au service du développement de l'économie nationale. Et ce n'est bien sûr pas l'administration, toute dévouée qu'elle est, qui est en mesure d'apporter les réponses appropriées au problème qui est devant nous. Quels devraient être selon vous les principaux axes d'une réforme d'ensemble ? C'est une question très vaste. Mais, pour aller vite, on peut distinguer les quatre axes suivants : I-) Disons d'abord qu'au-delà du préalablepolitique que suppose une telle réforme d'ensemble, l'urgence absolue est dans la reprise en main des rênes de notre politique commerciale extérieure, pour lui donner un contenu concret. Affirmer le principe de liberté des échanges extérieurs ne suffit pas : les règles régissant notre commerce extérieur devraient avant tout être conçues pour stimuler le développement à l'échelle de tous les secteurs de l'activité économique nationale. Ainsi, il est question d'une politique industrielle qui a été élaborée par le gouvernement et qui serait présentée officiellement au cours des prochaines semaines. Sans préjuger des contours de cette politique, celle-ci ne saurait être viable sans une cohérence assurée entre les projets industriels à promouvoir et les normes souhaitables en termes de concurrence avec les produits étrangers qui inondent aujourd'hui notre marché. De même, le Ministère de l'agriculture a engagé une politique de renouveau agricole à base de soutiens orientés vers le développement de productions locales. En l'absence de normes de protection du marché interne, le projet de développement que le Ministère veut promouvoir sera voué à l'échec. Le même raisonnement peut être tenu dans l'ensemble des secteurs d'activité, y compris ceux des services (à commencer par les grands secteurs comme les transports maritimes ou aériens, le tourisme, les télécommunications, les services portuaires, etc.). Comme on peut facilement le comprendre, la politique commerciale externe n'est ni une affaire de principes théoriques ni une somme de problèmes administratifs. Elle doit avoir un contenu concret et précis et être le prolongement d'une politique de développement économique nationale. II-) En second lieu, il faut rétablir la cohérence entre politique commerciale et politique d'investissement. Il est tout à fait déraisonnable de maintenir des restrictions face aux investisseurs étrangers, sur tous les segments du marché qui resteraient ouverts aux exportateurs des mêmes produits et services sur notre territoire. C'est une règle universelle très simple : les restrictions appliquées au commerce devraient, à l'inverse de la situation présente, être systématiquement plus sévères que celles éventuellement appliquées à l'investissement productif. L'information économique nationale devrait, du reste, afficher en permanence le partage des parts de marché entre production nationale et importation pour aider à orienter les politiques publiques en ce sens. III-) en troisième lieu, il faudra afficher plus clairement, au niveau de l'organisation gouvernementale, l'autorité à laquelle incombe la conduite de la politique commerciale extérieure. Celle-ci est aujourd'hui ballotée entre plusieurs départements ministériels (commerce, finances, industrie, affaires étrangères, etc.), le ministre du commerce qui en a théoriquement la charge n'exerçant dans les faits qu'une autorité toute relative en la matière. Dans un domaine aussi sensible et aussi complexe, l'absence d'une véritable unité de pilotage est une lacune majeure qu'il importe de combler. IV-) enfin, le pays a besoin d'une vision globale de son développement économique à moyen et long terme au cœur de laquelle il pourra tracer un chemin crédible vers la préparation progressive d'une économie de l'après pétrole. Nous avons tous en mémoire la grave crise traversée en 1994 et les conditions humiliantes et catastrophiques du rééchelonnement de la dette extérieure que le pays avait dû subir. Nous étions censés, alors, engager des réformes substantielles pour sortir d'une dépendance excessive et dangereuse vis-à-vis des ressources pétrolières. Vingt années plus tard, les réformes attendent encore et le spectre de la même crise nous guette toujours, au détour des fluctuations imprévisibles qui traversent l'économie mondiale.