La proposition russe de placer l'arsenal chimique syrien, sous contrôle international, rapidement approuvée par Damas, change la donne. Et perturbe les va-t-en-guerre. A Washington, comme à Paris, où les appels à la guerre contre la Syrie sont rejetés par la majorité des opinions, la proposition russe est accueillie, dans une sorte de soulagement désarçonné. A Paris, surtout ! Car il semble que l'idée d'une mise sous contrôle international les entrepôts d'armes chimiques a été évoquée à Saint Petersburg, dans un aparté de 20 minutes entre Vladmir Poutine et Barack Obama. Le président américain n'est pas tout à fait surpris et n'a pas rejeté une initiative qui lui ménage une voie de sortie dans un projet guerrier, peu soutenu par l'opinion américaine et qui aurait quelques difficultés à passer au Congrès. En tout cas, en lançant cette initiative et en annonçant qu'elle travaillait avec Damas à l'élaboration d'un « plan réalisable, précis, concret », pour la mise sous contrôle international des entrepôts chimiques, la Russie a, très largement, repris l'initiative politique. «Nous comptons présenter ce plan dans les plus brefs délais, et nous serons prêts à travailler dessus avec le secrétaire général de l'ONU, les membres du Conseil de sécurité de l'ONU, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques», a déclaré Sergeï Lavrov. OBAMA : UN DEVELOPPEMENT POTENTIELLEMENT «POSITIF» Moscou semble avoir saisi au vol des propos publics de John Kerry qui avait déclaré que les frappes contre la Syrie pouvaient être évitées si Damas agissait dans ce sens. La Russie lance, ainsi, une sorte de défi à Washington d'aller jusqu'au bout de l'idée lancée, publiquement, par le secrétaire d'Etat américain. Alexeï Pouchkov, président de la commission des Affaires étrangères, de la chambre basse du parlement russe a lancé, sur Twitter, que l'initiative russe « désarçonne Obama dans ses projets de frappes militaires». Elle lui offre, également, une voie de sortie dans une affaire mal engagée, au sein de l'opinion américaine et le Congrès. Elle permet aussi de sauver la face en déclarant que si Moscou a mis la pression sur Damas, cela tient à la « fermeté » des Etats-Unis. Le président américain a qualifié la proposition russe de développement «potentiellement positif» et a promis de la prendre au « sérieux ». « Il s'agit d'un développement potentiellement positif. Je dois dire qu'il aurait été improbable de parvenir à ce point (...) sans une menace militaire digne de foi pour traiter la question du recours à des armes chimiques en Syrie », a indiqué le président américain qui a, littéralement, envahi les grandes chaînes de télévision américaines. En tout cas, la proposition russe a entraîné le report du vote prévu, aujourd'hui, au Sénat américain, sur l'approbation des frappes. «Je ne pense pas que nous ayons besoin» de voter rapidement, a annoncé le chef de la majorité démocrate du Sénat, Harry Reid, quelques heures après avoir programmé le vote à mercredi. «Nous devons faire en sorte que le président ait l'opportunité de parler à tous les 100 sénateurs et aux 300 millions d'Américains, avant que nous ne fassions cela». LES PIQUES DE MELENCHON A HOLLANDE Paris qui fait figure de va-t-en-guerre solitaire avec les Américains a été surpris par la proposition. Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius a pris acte de cette nouvelle donne en la mettant au compte de la « fermeté » face au régime syrien. Pour ne pas paraître en déphasage dans une affaire où elle joue les seconds rôles face aux Américains, la France a décidé de présenter un projet de résolution contraignant qui prévoit le «contrôle et le démantèlement» des armes chimiques syriennes. «La France proposera, aujourd'hui, à ses partenaires du Conseil de sécurité, un projet de résolution, sous chapitre 7, autorisant un recours à la force, en cas de manquement aux obligations, a déclaré M. Fabius. Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche), a relevé que la proposition russe offrait une porte de sortie à Barack Obama et au «petit Hollande». «Tout le monde s'en sort la tête haute et il n'y aura pas de frappes», a-t-il ironisé. «Si les Russes nous aident à faire en sorte que les Syriens n'aient plus de stocks d'armes chimiques, il faut que les Américains en fassent autant avec l'Egypte et Israël.» MEME LA LIGUE ARABE APPROUVE ! La Russie qui offre une voie de sortie aux va-t-en-guerre peut compter sur le soutien de nombreux pays dont l'Algérie qui a salué une initiative de « nature à contribuer à l'émergence d'une nouvelle dynamique visant à résoudre la crise en Syrie». Amar Belani, porte-parole des Affaires étrangères a souligné que « l'option militaire n'est pas la solution» et que «la solution durable ne peut être que politique et elle passe par la relance de la conférence de Genève ». Le secrétaire général de la Ligue arabe Nabil al-Arabi, traditionnellement suiviste des monarchies, exprime clairement le changement de donne. «La Ligue arabe annoncera, prochainement, dans un communiqué officiel, son soutien à cette initiative», a-t-il déclaré. Pour la Chine, l'initiative de Moscou est « porteuse d'un allègement de la tension en Syrie » et va dans le sens « d'une résolution politique de la crise syrienne, en maintenant la paix et la stabilité en Syrie et dans la région, la communauté internationale doit y accorder du crédit». Du côté des pays occidentaux, l'Allemagne a qualifié la proposition russe « d'intéressante », tandis que la Grande-Bretagne où le parlement s'est opposé aux velléités guerrières de David Cameron, a dit qu'elle est «bienvenue ». Il en est de même pour le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon qui compte saisir le Conseil de Sécurité, en ce sens. Il a également demandé à la Syrie d'adhérer à la Convention sur les armes chimiques. La Coalition de l'opposition syrienne qui semblait attendre que les frappes créent un changement significatif de la situation sur le terrain a dénoncé, dans l'initiative russe, une «manœuvre politique» et a réclamé «une riposte internationale appropriée» contre le régime syrien.