Par ce début d'automne où les turbulences climatologiques n'ont épargné ni les hommes, ni les récoltes dans les wilayas de Khenchela et Oum El Bouagui, Rachid et Chabane, mes amis de Batna, me proposaient une incursion dans l'Aurès dans son versant sud. Mercredi 4 septembre, le ciel dégagé ne présageait d'aucune perturbation météorologique dévastatrice. Tazoult, rendue célèbre par son pénitencier colonial, constituera la première halte du périple, juste pour un café servi dans un " fendjal " à l'ombre d'un murier. Appendice de Batna la tentaculaire, qui part dans tous les sens, Lambesis l'ancienne cité romaine, semble subir stoïquement les excroissances qui lui sortent des entrailles. Ici, un hangar, là une demeure qui se veut cossue. Les quelques arches encore debout à l'est et au sud de la ville, renseignent un tant soi peu, sur l'emprise territoriale de cette cité antique. Au sortir de Tazoult, la route nationale 31 qui mène vers Arris bifurque à droite, au niveau de la borne kilométrique 25 pour devenir la RN 87 qui va vers Biskra par Menâa. La chaussée, bien asphaltée et matérialisée, serpentant à travers les monticules et les vallons, grimpe pour se stabiliser en faux palier au niveau du Col Erressas à 1240 mètres d'altitude. A droite de la route, c'est l'imposant massif de Mahmel qui culmine à près de 1800 mètres d'altitude. La route longera oued Abdi qui creuse dans la falaise de larges méandres où l'homme, trouve sa subsistance dans les cultures vivrières qu'il irrigue à partir du cours d'eau. Des bottes de foin de la récente moisson encore amoncelées, attendent leur enlèvement. La petite commune des Ath Azzouz se dore au tiède soleil automnal. Le seul café maure du coin, nous offre un thé fumant sous une pergola ombragée par une vigne grimpante. Quelques jeunes et plusieurs séniors devisaient autour de consommations qui doivent être inscrites dans l'ordre de ces journées campagnardes où seuls, les passagers d'un moment constituent l'unique distraction. Ces valeureux hameaux, on été de tout temps les cibles privilégiées des hordes coloniales et terroristes de récent souvenir. Theniet El Abed, grosse bourgade à 70 kms du chef lieu de wilaya, semble sortir de sa torpeur montagnarde. Une intense activité commerciale et administrative drainant des centaines de paysans et des lycéens, probablement, semble prendre forme dans ce centre urbain. C'est ce qui semble transparaitre à travers les moyens de transport, l'imposante unité de la Protection civile, le centre de formation professionnelle et l'hôpital flambants neufs. Le terrain, très chahuté, ne livre pas l'agglomération à la vue générale. A une encablure, l'Algérie des chahuts est bien là. Les habitants de Halaoua, un minuscule hameau, ont décidé de fermer la route à la circulation. La pétition, matérialisée par des pneus fumants et des objets hétéroclites, revendiquait l'eau potable et le gaz naturel. Et ce n'est qu'à 13 h passé que les autorités ont pu obtenir la reprise du flux routier interrompu depuis le début de la matinée. Et dire que l'un des anciens ministres de l'Energie et des Mines et l'actuel sont, tous deux, enfants du pays. Et oui ! Cela pourrait être le comble de tous les coins perdus. Après quelques minutes de roulage, Theniet El Matahna -ancien moulin à grains désaffecté- annonce Bouzina à 13 kms sur la droite. Et juste là, surprise, un nouveau lotissement à peine une bâtisse, dispose déjà du gaz de ville en regard de la niche du compteur. La route en lacis serpente entre de profondes falaises incrustées de grottes rappelant, étrangement, celle du Rouffi. Au sommet de la côte, le panorama est saisissant. Un immense cirque montagneux enserre la vallée sur plus d'une dizaine de kilomètres. La paroi nord, limite les communes de Larbaâ et Beni F'dala, le massif de Mahmel à l'est limite celle de Oued Taga, la paroi sud, celles de Chir et Theniet El Abed, à l'ouest, le défilé aboutit aux limites de Menaâ . Il est, d'ailleurs prévu la construction d'un barrage sur oued Lahmar qui alimente en eau cette verdoyante vallée. Les mamelons collinaires ravinés et de couleur rouge, expliquent à eux seuls, la dénomination du cours d'eau alimenté par des sources mais aussi par la fonte des neiges du djebel Mahmel. Confluent de oued Abdi, ils se jetteront, tous deux, dans oued Labiod qui ira mourir à Saâda au sud de Biskra. Une immense tâche verte centrée par une grande clairière déboisée, appelée localement: " Fess " (pioche), donne l'illusion d'une pinède forestière. Oh que non ! Si Rachid, enfant du pays, se fend la poire devant mon ignorance. Il s'agit des jardins de Bouzina constitués principalement de noyers et accessoirement de poiriers, pommiers, figuiers et autres vignes. Cette spéculation et celle de la ruche ont, de tout temps, constituées la richesse agricole de ce terroir. Le peuplement de cette radieuse vallée s'est fait à travers de multiples pérégrinations humaines; c'est ainsi qu'on retrouve les Beni Nacer d'origine Sahari (probablement hilalienne) berbérisée à l'ouest de la vallée et Arch-Laarach constitué de fractions berbères venues d'ailleurs à l'est. Cette communauté industrieuse a crée un microcosme présaharien que, ni la rudesse du climat, ni le chahut du terrain n'ont découragés. La descente vers l'ancien Bouzina se fera sur une route en lacis sur plusieurs kilomètres, ce qui offre au visiteur, une vue générale de toutes les agglomérations gravitant autour d'Aourir, chef lieu de la commune et de la daïra. Une première halte permet d'admirer le profond défilé rocheux sur lequel s'agrippait l'ancienne Kalâa (citadelle) dont il ne reste, malheureusement, que quelques vestiges de ses fondements. A la courbure de l'oued, près de l'unique salle de classe de l'époque, quelques maisons encore habitées luttent contre l'adversité en dépit des attributs de modernité. Elles arborent, fièrement, leurs antennes paraboliques. Rachid Belloumi, notre hôte du jour, nous accueillait près d'un ancien hammam traditionnel et d'un moulin à aube. Les quelques échoppes dont certaines ont perdu leur toiture, résistent crânement à l'injure du temps. L'ancienne école coranique où officiait cheikh Felouci est encore là, blottie dans une encoignure. La végétation luxuriante est faite de touffus jardins où la figue et le raisin ne sont plus récoltés, faute de main d'œuvre. La jeune génération citadinisée par les multimédias, se détourne inexorablement du travail de la terre. Les vieux, délestés de leur vigueur physique observent, non sans dépit, l'état de décrépitude du legs ancestral. Même les cimetières n'échappent pas à la perdition, on y construit des bâtiments publics au grand dam des anciens. Sur les promontoires, l'ancien maison du " Caïd ", apparemment abandonnée fait face aux anciens miradors du poste militaire colonial. La région qui a été un bastion de résistance à l'occupation coloniale, ne compte pas moins de 4 cimetières de Chouhada. Il n'y rien d'étonnant à cela, quand on sait que Mostefa Ben Boulaid, l'épique héros des Aurès mort à Djebel Lazrag, est inhumé à Nara, non loin de là. A l'instar, des groupements humains berbères, notamment aurasien, les demeures relativement peu spacieuses, épargnent les terres arables pour s'agglutiner solidairement le long des chemins qui montent. Il suffit, parfois, d'une petite plateforme pour créer un hameau, c'est ainsi que Mezline, Aouziriane, Samer et Khabaz constituent le " grand " Bouzina, ce qui lui donne cet aspect éclaté mais néanmoins harmonieux. Le quartier administratif comprenant la daira, la mairie, le lycée, la poste et autres services annexes, tend à la modernité par son aménagement urbain aéré et relativement récent. La randonnée, nous conduira sous les explications de notre guide, aux confins de la commune de Menâa que surplombe la nouvelle route qui y mène pour aboutir à la RN 87 sous forme d'une boucle pour désenclaver la vallée vers l'ouest. C'est ainsi, qu'il nous sera permis de traverser les localités Ali Ouyahia, Oum Rekha dont la consonance linguistique arabe est affirmée, Taghoust El Hamra et Taghoust El Beida. Ces deux dernières localités tirent leurs noms du terreau environnant. Si pour la première, le rouge est dominant sur la surface du sol d'où le nom, la seconde, tire sa dénomination du scintillement blanc de la roche piquetée par des myriades de petites incrustations marbrées. L'aspect en est, curieusement, neigeux. Au niveau d'une des localités, un haut lieu de la soldatesque tortionnaire, annoncé par une plaque en béton et portant la mention " 10è B.O.P ", arbore, sinistrement, ses quatre miradors. Et, c'est une excellente chose que d'avoir gardé en l'état ce lieu par devoir de mémoire. Ces mêmes tortionnaires entretiennent, jalousement, leur propre devoir de mémoire pour tous les " ouradours " infligés. Sur le chemin du retour, une photo souvenir est prise au pied d'un gigantesque genévrier thurifère (**), seul vestige d'un patrimoine forestier séculaire et dont la dégradation est largement entamée. De gros nuages sombres s'amoncellent sur le ciel de Batna, ce qui fait craindre un déluge. On apprendra plus tard, que l'averse n'a été que de courte durée et sans effets notables. *Le noyer (Juglans) tire son nom de Jovis glan (Gland de Jupiter)-Wikipédia- (**)-En Algérie, c'est dans le massif des Aurès (djbel Chélia, 2300 m) que cet arbre est strictement localisé, représenté par des individus souvent très gros, disséminés dans la cédraie et vraisemblablement aussi vestiges de boisements autrefois plus étendus. (Archives documents de la FAO).