Au-delà du burlesque et du film muet de ces jours-ci, la question du siècle et de la vie : peut-on être heureux en Algérie ? On peut être riche, s'appeler Haddad, avoir une belle maison, un salaire ou du temps gratuit ou une femme qui aime votre retour ou un lot de terrain ou de la puissance et des enfants. Mais la question demeure : peut-on être heureux en Algérie ? Qu'est-ce qui manque au bonheur ? C'est selon. Les uns disent que ce sont les autres qui gâchent la joie. Un pays sans Algériens pour un Algérien seul et unique est l'image du bonheur. Les Algériens seraient, pour chacun, l'ennemi du bonheur de chacun donc. Sans eux, je serais heureux. Vrai, en fantasme, mais pas en réalité. Mon bonheur a besoin de l'autre : mon sang, mes parents, mes amours, mes amis et ainsi de suite. C'est mon peuple et mon bonheur augmente quand je le partage. On peut ignorer cette loi par colère, mais elle est immuable. Pour d'autres ? On peut avoir de l'argent, un plan de Constantine, l'ANSEJ et tout, mais en gros, on n'est pas heureux en Algérie. Les uns prennent la mer ou les airs. D'autres s'enferment chez eux. Les derniers ont besoin de la puissance pour marcher sur les autres, seul moyen, selon eux, pour les tenir à distance et se protéger. Là aussi, c'est la sécurité mais pas le bonheur. Bien nourri, logé ou pas, habillé, clientélisé ou pas, obligé au travail, l'Algérien n'est pas heureux. Il est en colère. Triste, mélancolique, nerveux ou inquiet. On sent tous que la terre n'est pas à nous ou pas suffisamment, qu'elle n'est pas solide ou qu'on est déraciné de quelque chose. Planté dans un bocal avec le souvenir de l'ancienne forêt maternelle dans la sève. On sent qu'on nous a volé quelque chose. Que nous passons à côté de quelque chose. Qu'il y a arnaque et tricherie. En gros, on est désenchanté dès la naissance, curieusement. On n'est pas heureux et chacun réagit à ce manque de bonheur, à sa façon. D'ailleurs, le but national n'est pas le bonheur. C'est le mandat à vie pour Bouteflika. C'est pomper et s'en aller pour des riches. C'est agresser pour se défendre. C'est manger et prier pour s'en aller, vite, au paradis. Le but est le jugement dernier, le mandat à vie, l'exil, le visa, le barraudage des fenêtres ou le démos numériques. Rien d'Algérien. On n'est pas heureux dès le début d'ailleurs. Parce qu'on s'interdit l'essentiel : le plaisir, l'amour, le rire, le voyage, la création, le partage et la sincérité et l'acceptation de soi. Ensuite, on n'est pas heureux parce qu'on n'est pas impliqué dans notre pays, parce qu'on ne le possède pas, parce qu'il est laid, mal construit et sale parfois et très triste et nous en veut. Et on n'est pas heureux parce qu'on ne peut rien commencer avec ceux qui nous gouvernent, on ne peut pas élire, choisir, contrôler, décider, critiquer et construire et surveiller. L'école nous apprend que nous ne sommes pas ce que nous sommes, mais des gens venus d'ailleurs et alors notre pays ressemble à un campement. Les képis nous surveillent, les gens d'Allah aussi et les voisins. Parce que aussi, le bonheur doit être défini, aidé et poursuivi. Comme un but, pas comme un crime. Le plan de Constantine de De Gaulle n'était pas l'Indépendance. Le plan de Tlemcen n'est pas le bonheur. On n'est pas heureux car ce pays est construit, par nous, comme une prison, une salle d'attente ou un camp. Beaucoup d'Algériens disent qu'on ne peut pas être heureux en Algérie donc. C'est un pays qui ne rit pas, où l'amour est un crime, le corps un clandestin et où le but des polices et de l'ordre est de nous enfermer, immobiliser, séparer et pourchasser. Et où la religion est une inquisition ou une bigoterie et où l'identité est un arome artificiel et où la liberté est une menace pour les politiques et où être jeune, c'est avoir mal vieilli. On n'est pas heureux en Algérie parce que le bonheur n'est pas le but de l'Algérie. C'est très simple.