Le ministre de l'Energie, Youcef Yousfi, a dénoncé hier à Alger des «tentatives de déstabilisation» du pays qui sont à l'origine de l'opposition à l'exploration du gaz de schiste décidée dernièrement par les pouvoirs publics. S'adressant à la presse en marge d'une journée de vulgarisation des hydrocarbures non conventionnels, M. Yousfi a indiqué que l'Algérie, «accusée de nationalisme énergétique», fait objet de «tentatives de déstabilisation» qui visent à l'empêcher d'exploiter son potentiel en hydrocarbures. «Il nous a apparu utile et nécessaire que ceux qui contribuent à forger l'opinion publique sachent parfaitement où se situe l'intérêt vital du pays et où se cachent les tentatives de déstabilisation», a déclaré le ministre à l'adresse des journalistes de la presse nationale présents à cette rencontre. Le ministre a ajouté que ces «tentatives de diabolisation» du schiste visaient les pays producteurs qui prônent «le nationalisme énergétique» pour asseoir leur souveraineté sur leurs ressources naturelles. Tempérant ses accusations, le ministre a reconnu qu'une partie des opposants à l'exploitation de ce gaz sont sincères, car la peur de ce qui est nouveau accentue leurs craintes. «Il y a la peur de ce qui est nouveau, les gens qui ignorent sont sincères, il faut leur expliquer. C'est ce que nous faisons aujourd'hui», a enchaîné le ministre, assurant que «le gouvernement n'a rien à cacher» sur ce dossier. Répondant aux accusations de certains partis politiques qui ont considéré que l'autorisation accordée par le Conseil des ministres pour des forages pilotes du schiste comme une continuité de la politique de «la rente pétrolière», le ministre a affirmé que l'Algérie est contrainte, à moyen terme, de compter sur cette manne financière pétrolière pour financer son développement. «Je répète: certains projets inscrits dans le prochain plan quinquennal demandent un financement extraordinaire à l'instar de celui de Ghar Djebilet (un méga-gisement de fer situé à Tindouf) qui nécessite de 10 à 15 milliards de dollars de financement», a souligné le ministre pour illustrer les besoins financiers de l'Algérie en matière de développement économique et social. «On va les financer (les projets) avec quoi ? avec des discours ? , avec du vent ? Nous avons deux millions de nouveaux abonnés au gaz. Avec quel financement allons nous prendre en charge cette demande si ce n'est d'utiliser les ressources financières des hydrocarbures», a ajouté le ministre. «Est-ce qu'en cinq ou dix ans nous pouvons construire une économie complètement indépendante des hydrocarbures?», s'est-il interrogé. Et d'ajouter que même si on avait une économie complètement indépendante «n'est-il pas nécessaire de développer la production des hydrocarbures pour assurer la sécurité énergétique du pays à long terme à l'instar de ce que font les Etats-Unis et d'autres pays comme la Russie, le Canada et l'Australie». LES AVIS D'EXPERTS Les experts du secteur de l'énergie sont toutefois partagés sur la question de l'utilité du recours au gaz de schiste et des conséquences écologiques qui en découleraient. Pour l'ancien PDG de la Sonatrach, Abdelmadjid Attar, le programme de 11 forages de gaz de schiste approuvé par le Conseil des ministres «correspond à une autorisation destinée à la Sonatrach pour mener une simple campagne d'évaluation technique et financière des possibilités de produire ou non ce fameux gaz». «Vous comprenez donc que le gaz de schiste n'est pas pour demain et que ce n'est pas avec ce gaz que l'économie de l'Algérie va être diversifiée», a déclaré il y a quelques semaines M. Attar. Francis Perrin, président de Stratégies et politiques Energétiques, un centre de recherches et d'études sur le pétrole basé à Paris, estime de son côté que l'exploration de ces périmètres prendra plusieurs années et que les découvertes qui seront réalisées vont permettre à l'Algérie de disposer d'informations techniques et économiques plus précises sur l'exploitation. Et même en cas de découvertes «il faudrait encore des années pour développer ces réserves. Pour le professeur Chemseddine Chitour de l'Ecole Polytechnique d'Alger, le gaz de schiste doit faire partie d'un bouquet énergétique mais son exploitation «viendra à son heure quand les techniques d'extraction seront matures et respectueuses de l'environnement». «Ce sera le travail des générations futures. Pour les générations actuelles, il faut aller à marche forcée vers la sobriété énergétique, développer les énergies renouvelables et surtout donner à l'énergie son coût réel (...) C'est cela la transition énergétique vers le développement durable», recommande le professeur Chitour qui dirige le laboratoire de valorisation des énergies fossiles de l'Ecole Polytechnique d'Alger.