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Et si le rêve n'était pas fini ?
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 30 - 06 - 2014

A l'exception de quelques rêveurs audacieux et déraisonnables, à peu près tout le monde convient qu'avoir réussi l'historique passage au second tour du Mondial, et d'une certaine manière «venger» le sort «honteux» qui lui fut réservé en 1982 par l'anschluss germano-autrichien, l'équipe nationale a atteint ses objectifs.
D'abord les vérités qui fâchent:
1.- Les équipes allemande et autrichienne n'avaient pas triché.
Elles ont joué le jeu aux limites de ce que permettent ses règles. D'ailleurs, ces équipes qui se sont entendues tacitement sur leur qualification n'ont pas été sanctionnées. Leur but était de se qualifier, pas d'éliminer les Algériens. Les hypocrites qui se sont indignés appelant au fair-play et à la morale sportive en furent pour leur frais. Aujourd'hui, toutes les équipes optimisent la gestion de leur parcours en compétition, minimisent leurs contraintes et maximisent leurs profits. C'est cela la règle cardinale qui gouverne le monde d'aujourd'hui. Dans le sport et dans tous les autres domaines de la vie des hommes et des nations, universalisées après la chute du Mur de Berlin qui a écrasé de son poids toutes les valeurs égalitaristes qui placent la fraternité, l'acte gratuit et la solidarité au sommet de leur échelle de valeurs.
On peut le déplorer, on peut larmoyer, on peut pérorer longuement sur la perte de l'esprit chevaleresque, mais on ne peut en même temps affirmer les lois du marché qui ne sont garantes que de la légalité des transactions, non de leur vertu. Moralistes, rhéteurs, donneurs de leçons, faites votre chemin. Ce monde hobbesien n'est pas affaire de gentlemans. «J'ai raison parce que j'ai gagné !». Tout le reste est littérature pour adolescents attardés ou pour gouvernants incompétents.
Le sport contemporain n'a plus rien d'une activité ludique, soucieuse de santé ou de sociabilité.
Les associations sportives qui ont longtemps porté ces pratiques ont cédé la place à des machines de guerres économiques, commerciales et financières. Partout on s'étripe : des banlieues de Rio aux Minguettes et des faubourgs de Lagos aux bidonvilles du Caire. Toute la planète libérale vit au rythme des règles du match Allemagne-Autriche.
Le fair-play a été inventé pour les benêts. Et le marché est fait par les puissants à l'usage des imbéciles pour mieux les asservir en marchandises. Jamais la compétition n'a été loyale et tous les coups sont permis.
Sans haine ni passion, les professionnels de la mitraille éliminent les obstacles, avec économie et sang-froid. Du moins nous le laissent-ils croire… Rien n'empêche de saluer (ou d'enterrer) avec une poignée de main chaleureuse les vaincus, à l'issue du spectacle…
Exemple de coups bas : «l'équipe d'Algérie est une équipe de France bis, un ramassis de brêles dont on n'a pas voulus...»
2.- Le football, opium des peuples. En particulier des peuples pauvres, sous-administrés et mal gouvernés. A voir le pitoyable spectacle des joueurs nigérians qui exigent leurs primes en avance et en liquide avant même l'entraînement préparatoire au prochain match, montre le niveau atteint du pacte de confiance qui lient gouvernants et gouvernés au Nigeria, mais aussi en Afrique et aussi ailleurs.
Pendant que les supporters s'égosillent dans les gradins ou face à leurs écrans de télévision, les «décideurs» (publics et privés) se réjouissent de ne plus être sous les feux de la rampe. Pendant que le foot et les médias distraient les peuples, côté cour, les pouvoirs politiques et économiques et computent et décident côté jardin. Entre les deux, côté coulisses, de discrets «machinistes» tirent les ficelles.
Plus personne ne se souvient des dernières élections présidentielles algériennes. Ont-elles seulement eu lieu ? Plus personne ne s'intéresse aux derniers chiffres du taux de chômage record en France. F. Hollande s'imagine voir son indice de popularité coller à celui de l'équipe de France. Plus personne ne porte attention aux conflits qui secouent la planète et à ceux qui étripent à l'ombre des clameurs des arènes : en Ukraine, en Syrie, en Libye, en Centrafrique, au Mali…
Même les Ghazaouis dansent la valse à trois temps adoptée par les supporters Algériens et oublient qu'ils vivent dans un pénitencier à ciel ouvert.
Sur Air Force One, Obama entre deux gambits sur l'échiquier du monde, laisse filmer sa ferveur pour un sport dont la popularité souligne l'évolution de la structure démographique de son pays, au profit des Afro-américains et des Hispaniques.
3.- Le football, un autre territoire de la guerre. La sublimation de la violence sociale et internationale, à coups de joutes policées et surtout par la légitimation de la parole opposée, est indéniablement un progrès. A la suite de Jules Rimet et du baron de Coubertin, enfants de la IIIème République, ont à peu près tout dit sur les compétitions loyales entre les nations qui substituent le sport à la guerre.
Mais Pierre de Coubertin nous raconte des fadaises: «L'important dans la vie, ce n'est point le triomphe, mais le combat. L'essentiel n'est pas d'avoir vaincu, mais de s'être bien battu.» Dit-il. Et il conclut avec une formule que chérissent les vaincus : « L'important, c'est de participer.»
LE BARON A TORT. L'IMPORTANT EST DE GAGNER.
Les Jeux Olympiques sont nés dans les fracas de la guerre du Péloponnèse il y a de cela plus de 2500 ans. Le premier marathonien fut un soldat, pas un enfant de chœur.
Des sommes considérables ont été englouties dans la guerre froide. Une part est allée aux armes, une part à la conquête spatiale, une part à Hollywood les caméras au service des canonnières… mais une autre part tout aussi importante est allée aux sports. Pour démontrer la supériorité d'un système sur l'autre.
Se souvient-on du match RFA-RDA (remportée par Berlin Est sur Berlin Ouest) lors du Mondial le 22 juin 1974 à Hambourg ? Qui osera dira qu'il ne s'agissait que de 22 footballeurs qui taquinaient fraternellement la baballe seulement pour s'amuser ?
Avec son football l'Algérie joue plus que son accession aux 8èmes de finale au Brésil. Elle joue sa participation au club des pays émergeants et son retour sur la scène internationale.
Les années 1990 ont profondément altéré son image et son poids dans les relations internationales, dans les enceintes où se joue le sort du monde.
Aujourd'hui, notre pays est menacé gravement. A nos frontières piétinent des hordes de mercenaires qui attendent le feu vert de donneurs d'ordres qui ont cessé d'êtres des nations pour devenir (au fond ce qu'ils n'ont jamais cessé d'être) de puissants syndicats d'intérêt transnationaux qui se jouent des Etats et des gouvernements. Et l'Algérie est assurément une proie tentante. Tiguentourine ? Une simulation, un galop d'essai.
Naturellement, on ne cesse de tenter de nous convaincre de la supériorité «naturelle» de la «Nationalmannschaft» et que la défaite algérienne est inscrite dans la logique d'une hiérarchie bien établie.
Pourvu qu'on ne perde pas avec un gros score, couinent les pleutres. Perdants de naissance. Intégrer cela, c'est valider le principe du vainqueur qui gagne avant même d'avoir combattu.
Le prochain match n'a rien à voir avec le football. Onze hommes face à face, sur 90 minutes, la victoire va à celui qui la désire le plus. Elle va à celui dont le rêve est plus réel que celui de son adversaire. Tant pis pour les machines prévisibles. Et nos prochains adversaires le sont à un degré qui confine à l'autosatisfaction. Qu'ils se réjouissent donc d'une victoire annoncée.
Par «culture», l'Algérien est imprévisible. Il a derrière lui plus de 2000 ans d'occupation étrangère avec laquelle il a rusé pour sa survie. Si ces rêveurs une nuit sombre de novembre 1954 s'étaient tenus à considérer le rapport de forces objectif, nous en serions encore au deuxième collège et au statut de sujets sur notre propre sol.
Les footballeurs algériens au Brésil n'ont qu'une seule voie. Gagner pour affirmer, comme naguère Mekhloufi et ses compagnons, que l'Algérie n'est pas un territoire sans maître, un mouton qu'on mène à l'abattoir, en sparring-partner pour une équipe teutonne en guise d'entraînement.
La bande à Madjer et à Belloumi ont montré la voie et démontré que c'était possible. C'est aujourd'hui qu'il faudra rendre aux Germains la monnaie de leur pièce. Il n'existe pas défaite honorable. Parce qu'une défaite n'est jamais honorable.
Pour peu qu'il y ait encore sur cette terre, des hommes capables de rêver.
Alors non, le rêve, n'est sûrement pas encore terminé.


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