«Les balcons de la mer du Nord» Roman de Waciny Laredj. Editions Alpha, 365 pages, 850 dinars, Alger 2010 (Première parution en arabe en 2002, à Beyrouth, et première parution en français en 2003, à Paris. Traduit alors par Catherine Charruau avec la collaboration de l'auteur) Quelle(s) histoire(s) ! D'abord celle d'une femme. Puis d'un pays. Les deux (désespoirs et amours) se confondant. Mais, tous les deux plongés dans une douloureuse tristesse et dans une re-cherche du bonheur et du pays perdus. ... Le pays a sombré dans le crime et le sang, dans la chasse de tout ce qui doute ou pense, dans le meurtre de tous ceux qui créent. La re-cherche de la femme aimée, physiquement partie définitivement mais toujours occupant l'esprit et le cœur. Heureusement, il y a l'art, la sculpture, l'expression culturelle clandestine, et heureusement reconnue ... par les autres. L'étranger ! Dans les balcons de la mer du Nord. Amsterdam, la paisible, l'équilibrée, chargée d'histoire, antre des belles lettres et des arts, à la mémoire toute pleine. Le refuge et, peut-être, la nouvelle raison de vivre ! Le héros de Yacine Kateb a eu, pour amour et espoir, Nedjma. Celui de Waciny Laredj a, pour aimée et désespoir Fitna. La prêche est dite ! Les deux sont perdues à jamais, mais il y a, heureusement, des héritières toujours, hélas, dans l'ailleurs : Clémence (Traduisez Rahma, la fille ( ?) de Fitna et de Yacine, conçue il y a bien longtemps), et, surtout, Narjis, l'amour platonique (et seulement épistolaire) de la prime jeunesse. Alors, une voix de la radio désormais exilée. Des retrouvailles qui réconcilient le héros avec l'amour mais pas avec l'espoir Peut-être à Los Angeles, la prochaine étape ? Qui sait. Avis- Superbe traduction d'un mélange extraordinaire de plusieurs récits de vie... avec pour fonds la tragédie nationale ayant poussé à l'exil, et l'amour, seule bouée de sauvetage de l'humain. Il est évident que la lecture en arabe (l'écriture étant bien plus «poétique») apporte bien plus de contentements intellectuels à notre imaginaire «oriental». Mais, comme il ne faut jamais «rater» une œuvre de Waciny Laredj... Extraits : «La magie du hasard, c'est qu'il est toujours exceptionnel»(p25), «Seule l'imagination nous permet de supporter la fatalité de notre mort car elle est notre moyen d'oubli le plus grand «( p 25), «Notre peuple refuse le moyen terme ; lorsqu'il aime, il se fond en l'autre et lorsqu'il hait, il se détruit avant de détruire l'autre «(p 101), «Notre grand défaut, c'est que nous nous employons à produire nous-mêmes nos embûches» (p 138), «Le châtiment le plus cruel que l'on puisse infliger à un homme, c'est l'oubli. La mort est plus clémente» (p 153), «Ce pays n'a pas de mémoire et il détruit sans hésiter ce qu'il produit de plus beau» (p 016), «L'amour de la patrie n'est pas comme le patriotisme( ). La patrie est une terre qu'on hume chaque matin et des passions qui renaissent sans cesse de leur mystère ( ) .Quant au patriotisme ( ), il peut s'autodétruire sans hésiter si l'intérêt l'exige» (p 268), «L'art répare l'esprit, il donne à l'être la force de vivre» (p 296), «Le fruit de la tentation, c'était le sein, pas la pomme. Je ne vois pas Adam braver le serpent à cause d'une pomme ou alors c'était un crétin !» (p 332), «Quand tu aimes, n'aime pas de tout ton être, tu mourrais trahi. Garde pour toi un peu de toi-même pour pouvoir rester debout» (p 366), «La cancer ( ) c'est l'illustration par excellence du sadisme de Dieu. Il te torture et il te déforme avant de t'achever» (p 332). «Ecrits d'exil» Essai et recueil de textes de Ali El Kenz. Casbah Editions, 494 pages, 900 dinars, Alger 2009 S'il y a un aspect de la vie de l'auteur qui n'est pas très connu, c'est qu'il a été, dans sa jeunesse, du temps où il était lycéen, recordman d'Algérie du 100 m... ou du 60 m plat. Je ne m'en souviens plus. Il sera donc toujours un sprinter, spécialiste des petites distances. Il y a excellé. Sociologue, politologue, philosophe Il est vrai que la formation normalienne de base (celle de l'époque, pas celle d'aujourd'hui) doit être pour quelque chose dans cette maîtrise de toutes les questions. Ajoutez-y de l'engagement et on comprendra mieux l'érudition du bonhomme qui s'est frotté aux connaissances de tous les horizons, exil (forcé) oblige. On le comprend encore bien mieux lorsqu'on lit les 112 pages consacrées à son itinéraire l'ayant mené de Skikda, sa ville natale, à Nantes en passant par Constantine, Alger, Le Caire, et Tunis. Un ouvrage à lui tout seul et qui, revu et augmenté, pourrait être un bijou mémoriel merveilleux. Le reste de l'ouvrage est consacré à l'essentiel de sa production, en commençant, bien sûr (peut-on y échapper?) par une présentation de la pensée de Gramsci «rencontrée tardivement... par les Arabes». Une pensée qui a énormément marqué nos intellectuels, ceux des années 60 et 70 pour la plupart septuagénaires ou plus de nos jours mais toujours dominant les débats. Une deuxième partie est consacrée à des analyses assez fines (et qui, en leur temps, avaient «fait fureur») issues d'une étude sur «l'industrie et la société» à travers la SNS. Puis, vient une partie consacrée à «l'état de la liberté intellectuelle en Afrique» (et dans les pays arabes). Plusieurs sujets, une démarche rigoureuse avec, militantisme et engagement obligent, un objectif : «penser avec nos têtes, en fonction de nos réalités» pour «construire sur des bases et avec des matériaux durables». Pas facile ! Surtout lorsqu'on se retrouve face à des pouvoirs d'Etat «atypiques», au point qu'ils échappent à l'observation et donc à l'analyse. Les théories classiques volent en éclat, comme celle des «Deux corps du Roi», définie par l'historien Ernst Kantorowitc, qui distinguait avec cohérence «le corps physique du Roi» visible «à souhait avec sa cour et ses rites qui changent et meurent avec le temps, du «corps instituant» invisible et durable dans le temps long de la structure. «Certes, il y a de cela en Algérie, sauf qu'ici, l'institué et l'instituant interfèrent sans cesse sans que l'on comprenne les règles déterminant les positions, les rôles et les mécanismes des différents acteurs en présence». L'étude consacrée à l'Algérie: «De l'espérance du développement à la violence identitaire» (p 275) est à lire, et à relire absolument. Peut-être comprendrions-nous mieux «l'énigme algérienne» et prévenir ainsi les futures dérives. Bien sûr, il est trop tard, le mal est fait mais, on ne sait jamais, car les bêtes immondes et les éléments nihilistes sont encore là, tapis, attendant la moindre conjoncture favorable, attendant leur heure. Avis - A lire, bien sûr. Mais allez-y tout doucement... pour déguster. Extraits : «L'histoire sociale d'un pays est inscrite dans sa langue, ou plus précisément dans ses langages» (p 58), «Dans les temps de malheurs, contrairement à ce que croyait naïvement le président Boumedienne, ce sont les «hommes» qui restent, pas les «institutions» (p 81), «Le nihilisme de la société est la réaction malheureuse, au déni de justice du politique » (p 106), «Amener le petit comme le gros, le faible comme le puissant, l'homme comme la femme(...) à accepter les mêmes règles, cela s'appelle «l'Etat de droit» et les règles de cette axiomatique, des lois . Dont la première, sa loi fondamentale est l'égalité de tous devant la loi, y compris l'axiomatique elle-même» (p 112), «Ce n'est pas la sortie qui est difficile, mais la marche, nécessairement scientifique, qui conduit vers cette sortie» (p 478) «Les dernières vendanges» Roman (et autres récits) de Mouloud Achour. Casbah Editions, 260 pages, 500 dinars, Alger 2012 (Première parution en 1975, Sned-Editions) En fait, c'est bien plus qu'un roman. Car, il y a, aussi, en plus du gros de l'ouvrage (tout un véritable roman), cinq autres récits, assez courts, dont l'un, recueilli au cours d'un reportage, «est rigoureusement authentique». Des récits de vie, la vie de tous les jours, des sortes de grands reportages en la forme romancée. Des récits qui, il ne faut pas l'oublier (pour les «anciens») et en tenir compte (pour les «jeunes») très en phase avec les (dures) réalités de l'époque. L'auteur, en son temps, s'y était lancé... malgré les difficultés du contexte politique de l'époque. La critique, même la plus anodine, du système politique en place, n'était alors pas admise. Par exemple, critiquer, même de manière subtile et même avec des «happy ends», la gestion collective des terres agricoles (les domaines dits «autogérés») ou, par la suite, la «gestion socialiste des entreprises», pouvait valoir bien des mesures de rétorsion ou des sanctions (comme l'interdiction d'écrire ou la «mise au placard», sinon bien plus). Heureusement que les politiques (les «décideurs») de l'époque ne lisaient pas beaucoup de livres et encore moins les romans, se suffisant des rapports de leurs «veilleurs» et autres «écouteurs». Rappelons que l'auteur, après avoir été enseignant, s'en est allé, par la suite, rejoindre le monde de la presse au sein duquel, il avait réussi à imposer une écriture journalistique mieux argumentée, plus recherchée, simple et compréhensible, moins «langue de bois», bref plus littéraire, tout particulièrement dans les pages réservées à la culture alors bien ternes et austèrement «informatives». Avis - De la littérature «tranquille» (sur fond de société perturbée) qui nous change de la littérature globalement «perturbée» actuelle. Extraits : «La foi véritable se passe d'ostentation, de même que la véritable richesse» (p 190), «L'être cher ne nous apparaît véritablement que lorsque sa présence vient à nous manquer» (p 208), «La vie moderne impose des obligations et le milieu originel des contraintes. L'une ou l'autre finit tôt ou tard par l'emporter, mais une telle résolution entraîne un inéluctable déchirement» (p 238).