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Le rêve écourté des enfants de la Révolution !
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 30 - 10 - 2014

Que les jeunes d'aujourd'hui sachent, qu'en ces années soixante, baignées dans une atmosphère de peur, d'inquiétude et d'incertitude, personne ne savait si l'insurrection algérienne dans sa continuité de « chaîne de résistance », pratiquement sans rupture de génération à génération, allait finalement aboutir à l'indépendance du pays, et à la délivrance de tout un peuple, déjà épuisé et meurtri dans sa chair.
En ces temps de doute et de désespoir, la vie était des plus difficiles et ne méritait d'être vécue, que grâce à la solidarité des uns , vis à vis des autres, et à la tradition du « vivre-ensemble », cette marque de civilité, mais aussi, de générosité largement ancrée dans la vie des médinas et des douars conviviaux de cette Algérie sous occupation coloniale. Ces berceaux d'une fraternité partagée par une communauté solidaire, soudée par la misère et le rejet de l'injustice autour de l'idéal d'un destin commun, ont forgé cette cohésion sociale voulue et désirée, à partir : d'une aspiration aux valeurs de liberté, d'une appartenance à une nation rêvée, et du fantasme d'un avenir meilleur, totalement en rupture avec l'incertitude d'un lendemain, pour un peuple spolié de ses richesses, outragé dans son identité, et inféodé au joug colonial. N'est-ce pas là, les prémices d'un « projet de société » en maturation, qui valait pour la grosse majorité de nos concitoyens, la peine pour y adhérer et pour y croire, même si pour certains, de façon intuitive ?
Quel dommage, que cet élan brisé dès les années 80 de cette construction collective et majeure, d'une Algérie solidaire, fraternelle et conviviale dans ses villes et campagnes ! Il faut croire que nous ne fûmes pas suffisamment attentifs par rapport à cette question, et c'est là un premier échec consommé dans la marche de notre jeune nation, qui a failli sombrer dans le « cratère intégriste » de la régression, en cette décennie noire des années 90. Mais à s'y méprendre, par laxisme, par naïveté, par calculs bassement matériels, ou par compromission, le danger plane toujours au-dessus de nos têtes, s'il fallait baisser la garde ! Tout le capital d'engagement, de militantisme, de luttes, de bravoure et de souffrances dédié par nos braves biens souvent anonymes, à cette Algérie généreuse, féconde et fertile, risque de passer sous le regard d'une «comptabilité simpliste» faite de pertes et de profits, chez ceux à la mémoire courte, et pas très regardants sur les questions d'honneur, de dignité et de « nif », cette belle expression de chez nous ! Alors ! Oui ! Il faut à chaque occasion revisiter notre mémoire et interroger l'histoire, comme dans un voyage qui parcoure le temps de notre société ! C'est ce que j'ai voulu faire à travers cet article, pour marquer à ma manière, la commémoration du 1er Novembre 1954, qui interpelle nos consciences.
LES MEFAITS ET CRIMES DE LA FRANCE COLONIALE !
À travers ses exploitations agricoles d'inspiration américaine, attelées à cette force de travail « indigène » du « lève-tôt », de ses manufactures et de ses mines des « gueules noires » pour lesquelles Emile Zola prend parti dans son roman « Germinal » , pour que changent leurs conditions de vie dans l'hexagone, sans que les « indigènes » de la mine de charbon de Kénadsa, ne soient eux aussi concernés, la colonisation tirait profit des richesses du sol et du sous-sol, de cette Algérie éternelle, cette terre bénie et copieusement arrosée par le sang de ses martyrs, depuis la nuit des temps. Et pourtant ! Ses historiens, ses géographes et ses officiers décrivaient sans retenue, cette terre nourricière comme une contrée « barbare » et « rebelle », alors que bizarrement éligible à son action dite « civilisatrice », sans doute par charité chrétienne, faut-il le croire ! C'est que la France, ce « porte-drapeau » des droits de l'homme, en « coq » gonflant son plumage, se croyait être investie d'une mission divine comme au temps des croisades vers Jérusalem, bénie il est vrai par l'église, en faisant passer par les écrits de son intelligentsia1 , sa barbarie et sa cruauté2, comme une action noble de développement faite de grands travaux d'assèchement de marais, et de leur mise en valeur en terres fertiles, par contrefaçon de la vérité. Il y a là forcément, un souci d'image d'une
France, qui a décidé de faire du leurre de l'humanisme et de l'universalisme, les deux fers de lance de sa propagande coloniale !
Elle omettait cependant de dire, qu'après avoir chassé la paysannerie algérienne vers les terres déclives de montagnes, cette bonification des terres s'est faite pour le seul bénéfice de ses colons, pour l'essentiel des viticulteurs, dont les vignobles furent dévastés par le phylloxera 3. Ils trouvèrent en ces terroirs d'accueil, que sont nos plaines et coteaux : d'Ain-Témouchent, de Sidi-Bel-Abbès, d'Annaba, de Skikda, de Tipaza, de Chlef, de Tlemcen, de Mascara, de Relizane, de Miliana, de Médéa, de Ain-Bessem, de Kabylie et de bien d'autres régions, de vastes étendues pour la reconstitution de leurs vignobles. C'est de cette manière, et avant la découverte du pétrole, qu'il faut comprendre l'attachement « fou » et sans limites de cette France coloniale mercantile, à cette terre féconde qu'elle présentait pourtant comme marécageuse, source de paludisme et de choléra ! Cet « amour charnel » à la terre d'autrui, est à rechercher dans cette perte de ses autres colonies et la « raclée » qui lui a été infligée à Diên-Biên-Phu ! Cette défaite des forces françaises du général Navarre par les troupes viêt-minh, du valeureux général Vo Nguyên Giap, dans le haut Tonkin, marqua la fin de la guerre d'Indochine en 1954. C'est cette humiliation insupportable pour les officiers gaulois- ces « va-t-en-guerre » la main au ceinturon, pensant avoir encore quelque chose à prouver à leur opinion publique, en officiers « recalés » - qui allait attiser leur cruauté à l'égard de la population algérienne.
TRISTE FRANCE COLONIALE QUE CELLE DU MENSONGE ET DE LA FELONIE !
Pour la France coloniale, à la philosophie nourrie par les actes ignobles d'une soldatesque sanguinaire, de toutes les insurrections et jusqu'au déclenchement de la révolution du premier novembre 1954, il n'y avait semble t-il de guerre d'Algérie, que dans l'esprit des algériens qui la subissaient dans leur chair ! Pour elle, il ne s'agissait que d'opérations de « maintien de l'ordre », qu'il fallait réprimer énergiquement par la force des baïonnettes et par la torture, ou d'une « pacification » qui a eu pour traduction dans les faits, la naissance et le développement d'une politique de regroupements de populations rurales, pratiquée par les adeptes de la guerre totale, de 1959 à 1961. « De l'aveu même des autorités françaises, les regroupements sont avant tout, une machine de guerre conçue aux fins d'isolement de l'ALN de ses assises populaires et de ses soutiens logistiques indispensables », relève Michel Cornaton1 , qui estime à plus de 2,3 millions de personnes parquées dans les camps sous haute surveillance militaire, suite à la politique des « zones interdites », soit 26% de la population rurale musulmane de cette époque.
Quelle honte pour le pays des « droits de l'homme », que cette autre tache noire dans son histoire contemporaine ! Nous avons là encore une fois, la preuve que l'action de la France en Algérie, n'avait rien de civilisatrice ! M. Cornaton, cet appelé sous le drapeau français qui a connu les camps de regroupement lors de son service militaire (1959-1960) a analysé leurs conditions de vie déplorable et les conséquences sur une société rurale, éloignée manu militari de son bétail et de ses champs qu'elle ne pouvait plus cultiver. De cette manière, ruinée et démunie de ses moyens essentiels de subsistance, cette population humiliée, touchée au plus profond de son honneur, celui d'assurer tout au moins la nourriture à sa famille, était réduite à un état de « gueuserie ». L'administration coloniale, voulait de la sorte, la soumettre au rationnement alimentaire bien insuffisant qu'elle lui fournissait, d'où l'apparition de formes de malnutrition, avec des taux élevés de décès, particulièrement chez les enfants.
En février 1959, Michel Rocard, alors élève à l'ENA et en stage en Algérie, adresse un rapport sur les conditions de vie dans les camps de regroupement à un proche de Paul Delouvrier, délégué général en Algérie. Le 31 mars, ce dernier donne ordre aux autorités militaires de suspendre les regroupements, mais sa directive ne sera que « mollement » suivie, comme il fallait s'y attendre ! C'est que l'esprit de désobéissance était déjà dans l'air, chez nombre d'officiers non favorables à l'indépendance de l'Algérie, particulièrement ceux revenus sans gloire et dans le déshonneur, de la triste campagne d'Indochine ! N'est-ce pas, Bigeard ? L'existence des camps de regroupement et la « ghettoïsation » des populations rurales était semble t-il, ignorée de la population métropolitaine jusqu'à ce 22 juillet 1959, où à la suite d'un reportage sur le « Figaro », les lecteurs se sont dits scandalisés ! À croire que la métropole était coupée de sa colonie ! Triste France coloniale, que celle du mensonge et de la félonie ! L'on nous apprend aussi, qu'il s'en est suivi une campagne d'opinion, où ces camps furent comparés à ceux de concentration, sous la deuxième guerre mondiale ! Quel bonheur qu'on ait pensé à le faire ! N'est-ce pas mes amis ?
MOBILISATION SOUS LA BANNIÈRE DE LA REVOLUTION !
C'est dans cette atmosphère d'injustice, de déni de droit et de privations de toutes sortes, que nos compatriotes opprimés et humiliés dans leur quotidien, pour être tout simplement des arabo-berbères sans statut, assimilés à des êtres corvéables à merci et sans considération, finirent par se liguer dans la clandestinité, sous la bannière de la révolution . Sans qu'ils ne soient tous des héros, mais avec beaucoup de conviction, des plus jeunes aux plus vieux, ils ont de la sorte marqué leur désapprobation de l'injustice pratiquée par la puissance coloniale dominante, dont ils étaient les victimes, eux les autochtones ni audibles, ni visibles, si ce n'est sur les champs et les chantiers de la main-d'œuvre bon marché, dédiés à la « grandeur » coloniale, au prix de travaux forcés exécutés par des paysans, des mineurs, des dockers et des artisans de chez nous !
Que nos jeunes sachent que dans cette Algérie soumise à l'oppression coloniale, chacun faisait son devoir du mieux qu'il pouvait, au double plan de la résistance à l'envahisseur et à la misère diffuse au sein de notre communauté, et son cortège de maladies et d'épidémies. C'était cela le défi pour tous ces pères et toutes ces mères en charge d'orphelins, appelés à subvenir aux besoins basiques de leurs familles, essentiellement en nourriture, car tout le reste n'était que choses chères, voire inaccessibles ! C'est dans cette atmosphère de haine, de misère, mais aussi de foi et de courage, que les gens de cette époque reportaient tous leurs « rêves » difficilement réalisables dans l'atmosphère sans horizon ni éclaircie de cette époque mouvementée, sur leurs enfants qui se devaient d'acquérir le savoir de l'occupant, tout en véhiculant leur propre culture, faite de valeurs ancestrales, de dignité et d'appartenance à une communauté berbéro-arabo-musulmane, qui ne saurait-être gauloise !
Outre l'engagement militaire au sein des maquis, c'était cela la nature du combat sous-jacent, particulièrement dans les casbahs, les ruelles étroites de nos médinas, les ateliers et échoppes de nos artisans. Les enfants aussi, étaient de la partie, par leur fréquentation de l'école coranique de l'éveil et de l'identité, pas celle du wahhabisme ou du salafisme d'idéologies importées comme aujourd'hui. L'école française était pour eux, cet autre champ de bataille, celui de l'acquisition du savoir, pour plus tard ! Est-ce à dire que les gens de nos campagnes ont moins de mérite ? Oh ! Que non ! Dans ces espaces, ces bassins de main d'œuvre bon marché, où le travail chez les colons est des plus pénibles, le regard de ces braves, ces héros de l'ombre et de la nuit, est porté sur la surveillance du mouvement des troupes coloniales et sur la logistique assurée aux « moudjahidines » , au péril de leurs vies, ce qui est en soi, non moins important, comme démontré par la politique coloniale du regroupement des populations rurales ! En tout état de cause, il ne s'agit pas pour nous de faire dans l'évaluation rétrospective du genre : « Qui a fait quoi pour mériter la considération et le respect de toute une nation en devenir après son indépendance, ou à contrario, son mépris, sa haine et son rejet » ? Face à la nécessité, la conscience de chacun est seul juge !
Plus que jamais, la vigilance doit-être de mise, car à trop dormir sur ses lauriers, nous serions toujours menacés dans notre dignité, par ces esprits revanchards de cette France coloniale, qui portent atteinte à la mémoire de nos symboles et à tout ce qui fait la fierté de notre nation, libre et indépendante. Ils s'invitent à chaque événement national en « trouble-fête comme pour nous dire : « nous sommes là pour vous empoisonner l'existence, et vous faire regretter cet affront fait à cette France chassée en 1962 » ! N'est-ce pas, que c'est dans cet état d'esprit, que Pau, cette ville dont François Bayrou est le maire, a choisi de donner à une petite venelle dans le quartier de Hédas, le nom de l'Emir Abdelkader, ce haut lieu de la communauté homosexuelle « Hachakoum » ? C'est là plus qu'un affront pour tout le peuple algérien, de la sorte trainé dans la boue. Dans tout cela, il est bien triste d'observer chez nous, le silence sourd et pesant. Oui ! Emir fils de Mohiédine, toi l'homme universel dont le nom est associé aux « droits de l'homme», tu aurais bien raison de dire, que c'est là une provocation de trop, qu'aucun homme ni qu'aucune femme d'honneur ne peut passer sous silence !
* Professeur
1. À propos de la colonisation, Victor Hugo disait : « Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C'est la civilisation qui marche sur la barbarie. C'est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c'est à nous d'illuminer le monde ». De même, Jules Ferry l'auteur des lois de la III ème République et promoteur de « l'école gratuite et obligatoire » montre aussi, un fort engagement pour l'expansion coloniale française. Ces deux personnalités ne sont citées qu'à titre d'exemples. Il en existe bien d'autres, dont les écrits ont fait l'apologie de la colonisation.
2. De 1830 à 1871, la France se lança dans une politique génocidaire émaillée de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. En 1844, le général Cavaignac procéda à l'enfumage de la tribu des Sbéahs pour obtenir leur reddition. En 1845, dans le Dahra, devant les difficultés à réprimer l'insurrection, le colonel Pélissier décida d'enfumer les Ouled Riah dans les grottes où ils s'étaient retranchés. Quelques semaines après, le colonel Saint-Arnaud fît procéder à l'emmurement d'autres membres de la tribu des Sbéahs. Dans un rapport au maréchal Bugeaud, il écrivit : « Alors je fais hermétiquement boucher toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvra à jamais les cadavres de ces fanatiques. Personne n'est descendu dans les cavernes ; personne que moi ne sait qu'il y a là dessous cinq cent brigands qui n'égorgeront plus les français». Notez ici, les hauts faits d'armes d'officiers « valeureux », qui ont ainsi gagné leurs galons et leurs médailles ! Et ce n'est pas tout ! Bien d'autres crimes sont signalés, que des pages entières ne sauraient suffire, pour décrire !
3. Phylloxéra vastatrix, est ce puceron qui attaque la racine de la vigne grâce au rostre puissant dont il est muni, en suçant les racines jusqu'à épuisement total de la sève, d'où périssement du cep. Le vignoble français dévasté en 1871, sur des centaines de milliers d'hectares, fût reconstitué en Algérie, grâce à l'utilisation de porte-greffes américains plus résistants aux attaques de ce ravageur, de par la consistance de leur écorce.
4. « Les camps de regroupement de la guerre d'Algérie » est un livre de Michel Cornaton, initialement publié en 1967 en France, puis édité en Algérie par les éditions Saihi avec le soutien du ministère de la culture dans le cadre du 50éme anniversaire de l'indépendance. Par cet ouvrage, l'auteur reprend l'étude qui lui a permis de soutenir une thèse de doctorat en sociologie.
À moins d'une semaine de la commémoration du premier novembre 1954, le Quotidien liberté dans son édition du 25 octobre, nous apprend qu'il a été choisi de donner à Pau, cette ville dont François Bayrou est le maire, le nom de l'Emir Abd El Kader, à une petite venelle dans le quartier de Hédas, connu pour être un haut lieu de la communauté homosexuelle « Hachakoum ». C'est là plus qu'un affront pour tout le peuple algérien, de la sorte trainé dans la boue. Dans tout cela, il est bien triste d'observer le silence sourd et pesant. Que la mémoire de la grandeur de notre Emir sous associée à une venelle obscure, au lieu homosexuel « hachakoum » est chose insupportable !


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