L'opération militaire dirigée par l'Arabie saoudite marque le pas au Yémen, où les rebelles chiites contrôlent toujours la capitale Sanaa et résistent dans le sud, alors que les critiques enflent sur l'aggravation de la crise humanitaire. Plus de cinq semaines de raids aériens ont certes privé les rebelles Houthis, soutenus par l'Iran, d'installations militaires, d'importants stocks d'armes et de voies d'accès pour poursuivre leur avancée dans le sud, mais les frappes n'ont pas fondamentalement changé la donne sur le terrain, estiment des experts. La guerre au Yémen sera au centre des discussions entre les dirigeants des six monarchies arabes sunnites du Golfe qui se réunissent ce mardi à Ryad, en présence du président français François Hollande. Elle devrait être aussi évoquée lors d'une visite du secrétaire d'Etat américain John Kerry en Arabie saoudite les 6 et 7 mai. De nombreux analystes se demandent si la coalition dirigée par Ryad sera capable de rétablir l'autorité légitime du président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi, qui a fui vers Ryad, sans intervention terrestre. L'une des «contradictions» de la stratégie saoudienne est d'avoir déclenché une campagne aérienne «sans composante terrestre», souligne l'expert Neil Partrick. Selon des spécialistes, l'arrivée discrète dimanche à Aden de dizaines de soldats de la coalition arabe semble répondre au besoin de mieux organiser les rangs des combattants pro-Hadi, jusqu'ici incapables de bouter les rebelles hors de la grande ville du sud. Les Comités de «résistance populaire», réunissant des miliciens fidèles au président Hadi et d'autres groupes hostiles aux Houthis, manquent en effet singulièrement d'expérience et de leadership, souligne un expert militaire à Aden. «Le soutien aérien de la coalition ne suffit pas lorsqu'on manque d'organisation sur le terrain», estime ce spécialiste. En face, les Houthis se sont aguerris depuis qu'ils sont partis de leur fief de Saada, dans le nord, pour entrer dans la capitale Sanaa en septembre 2014 avant de chasser du pouvoir M. Hadi en janvier et d'avancer vers le sud en mars. «C'est une organisation idéologique qui s'est forgée en armée dans un environnement de guerre», relève l'expert yéménite Majed al-Mithhadi, pour expliquer la résilience des Houthis. Ces derniers profitent également de leur alliance avec des éléments de l'armée restés fidèles à l'ex-président Ali Abdallah Saleh. Un autre enjeu, de plus en plus urgent, de la coalition est de répondre à l'aggravation de la crise humanitaire. Car se multiplient les appels à une trêve ou à défaut à des pauses humanitaires pour venir en aide à la population, privée d'électricité et de soins médicaux et menacée de graves pénuries alimentaires. Parmi les derniers appels pressants figure celui lancé lundi par l'organisation Action contre la faim (ACF) qui a exhorté le président Hollande à tout faire, lors de sa visite jusqu'à mardi à Ryad, pour obtenir une cessation des hostilités au Yémen et la levée du blocus qui empêche la distribution d'aide aux civils. «Face à la catastrophe, il y a maintenant un impératif humanitaire qui doit primer sur tout objectif politique ou militaire», a déclaré ACF. Le conflit a déjà fait plus de 1.200 morts et 5.000 blessés selon un décompte des hôpitaux yéménites, jugé probablement en deçà de la réalité par les responsables onusiens. L'ONU estime également à 300.000 le nombre de personnes déplacées et à 7,5 millions le nombre de personnes affectées par la guerre, soit le tiers de la population yéménite. Des spécialistes soulignent aussi la nécessité pour la coalition de ne pas laisser Al-Qaïda profiter du conflit pour accroître son implantation, en particulier dans le sud-est. Le réseau djihadiste a déjà conquis en avril la ville de Moukalla, capitale de la province du Hadramout. Mais des centaines d'habitants ont manifesté dimanche soir contre Al-Qaïda pour réagir à une menace de mort contre un imam critique des djihadistes, selon des témoins. «Sudiste, réveille-toi pour dire Non à Al-Qaïda et Non aux Houthis», ont scandé des manifestants, exprimant à la fois leur rejet du réseau extrémiste sunnite, bien implanté au Yémen, et des rebelles chiites. Ils ont également crié des slogans hostiles à l'homme qui est considéré comme l'émir d'Al-Qaïda à Moukalla, Khaled Batarfi, libéré de la prison avec quelque 300 autres détenus lors de la prise de Moukalla. Paradoxalement, Moukalla ne souffre d'aucune pénurie grave de carburant ou de vivres, contrairement à d'autres villes du sud du Yémen, comme Aden ou Taëz, affectées par les combats.