« Quand la vie est en cause, la société doit accomplir des progrès décisifs ;c'est un combat pour la vie », Selon l'OMS, en 2030 le monde comptera 30 millions de cancéreux. Ainsi, le cancer constitue l'un des principaux défis pour le développement dans le monde. Ce sont les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire qui souffriraient le plus de l'impact de cette maladie dont la prise en charge mobilise une masse financière importante largement au-dessus de leurs possibilités. L'Algérie, comptant 48.000 nouveaux cas en 2014, ne sera pas à l'abri de ce fléau. C'est pourquoi le moment était venu de réfléchir et mettre en œuvre un programme ambitieux de lutte contre le cancer comme segment d'une politique nationale de santé. Le cancer n'est pas une maladie comme les autres, où un traitement même lourd suffit, où un plan même technique pourrait l'éradiquer à l'exemple des maladies transmissibles. Le cancer nécessite une lourde prise en charge débutant avec le diagnostic jusqu'à un éventuel accompagnement de fin de vie, en passant par les différentes séquences de traitement et un suivi planifié. Chaque étape de la prise en charge nécessite un coût élevé avec des techniques d'examens de plus en plus précises, et une thérapeutique de plus en plus efficace, mais aussi de plus en plus chère. Au plan social, le malade cancéreux n'est pas seul, la maladie se répercute psychologiquement et socialement sur tout son entourage. Ainsi, de par son coût, la prise en charge des cancers grève le budget de l'Etat et celui des caisses de sécurité sociale par le paiement des congés de maladie de longue durée. Cependant, malgré ce coût élevé, l'Etat se doit d'assurer une équité à l'accès de cette prise en charge de tous les citoyens. Même si l'OMS affirme qu'aucun pays, même les plus riches, ne peuvent assurer à leurs citoyens une CMU (couverture médicale universelle) à 100%, dans le domaine du cancer, une bataille doit être menée par la société pour que cela soit possible. N'oublions pas que les sociétés modernes d'aujourd'hui rangent la santé parmi les quatre valeurs majeures qui les fondent avec l'emploi, la sécurité et le développement durable. C'est pourquoi elles proclament que la protection de la santé de la population constitue une mission régalienne de l'Etat. La santé, en raison de sa nature humaine et sociale, est un facteur essentiel de cohésion sociale. Un plan national cancer doit absolument s'inscrire dans ce cadre. Aussi, ne peut-il être un plan purement technique, mais un plan avec une vision stratégique dans le cadre du développement et la modernisation continue du système de santé. Cela implique qu'il soit endossé politiquement par la plus haute autorité de l'Etat et que celle-ci mette à sa disposition toutes les conditions morales et matérielles pour sa réalisation. Celle-ci en 2015, constitue une œuvre titanesque. Pour sa réussite il faudrait combler les énormes retards accumulés dans le passé. Il ne s'agit pas dans cette contribution de porter un jugement sur les actions passées dans la prise en charge des cancers, mais juste de les rappeler brièvement pour en tirer les leçons. On ne peut pas dire que l'Algérie n'a pas vu arriver le fléau, mais on l'a sous-estimé. Dans les années 70, l'éradication des maladies transmissibles constituent une priorité alors que la prise en charge des cancers, dont la fréquence était faible, était reléguée au second plan. Au début des années 80, commençait la transition épidémiologique et démographique marquée par l'allongement de l'espérance de vie et l'apparition des maladies chroniques dont le cancer. Parallèlement, notre système de santé commençait à s'essouffler. Dès janvier 1990 « un rapport général sur l'organisation de la santé » fait par une commission intersectorielle sous l'égide du ministère de la Santé énonçait « les insuffisances de la politique du système de santé basée sur des objectifs précis à atteindre cet état de fait a abouti à une désarticulation des principales composantes ». Dix ans après, soit en mai 2001, dans un rapport émanant du ministère de la Santé intitulé « développement du système de santé : stratégie et perspectives » énonçait : « La situation actuelle est caractérisée par une accumulation de problèmes, évoluant depuis les années 80, et conduisant à une destruction progressive du système de santé » cette situation va se répercuter directement sur la prise en charge des maladies chroniques émergeantes, dont le cancer. L'Etat, au lieu d'anticiper, choisit la solution de facilité : les prises en charge pour l'étranger. C'est la prise en charge des cancers qui souffrira le plus de cette situation, marquée par les difficultés d'accès aux soins (insuffisance de centres de radiothérapie, pénurie de produits de chimiothérapie) et quand le malade peut y accéder après un « parcours du combattant », il ne recevra qu'une partie des soins. En 2011, les conditions de prise en charge des malades cancéreux se sont nettement détériorées : bien que le comité national du cancer ait élaboré en 2010 un plan de lutte contre le cancer. Ce plan péchera par ses insuffisances et son caractère purement technique. Cette même année, avec l'inscription de la prise en charge des cancers dans le programme du président (2009), verra enfin le début de la réalisation des projets des CAC. En cette année 2011, l'on assistera à une véritable mobilisation en faveur des cancéreux incluant les professionnels de santé, les syndicats, les associations de malades, les médias. Malheureusement, cette mobilisation produira des polémiques stériles plutôt qu'un vrai débat, mais démontrera que la situation est mûre pour l'élaboration d'un vrai plan cancer. Ce rappel m'a semblé nécessaire afin de contribuer à une analyse objective du plan cancer 2015-2019. A l'étude de ce plan, on peut écrire qu'il dispose de trois atouts majeurs pour sa réussite. Premièrement il est conforme aux recommandations de l'OMS. Cette dernière en 2002 publiait une étude des « programmes nationaux de lutte contre les cancers ». Il y est écrit « l'objectif est de réduire la morbidité et la mortalité imputables au cancer et d'améliorer la qualité de vie des malades et de leurs proches partout où la charge cancéreuse est élevée et où les facteurs de risque, tabagisme, régime alimentaire malsain, manque d'exercice augmentent ». Toujours dans ce cadre, le plan national cancer 2015-2019, propose des réponses aux carences constatées par l'OMS : « manque d'approche systématique d'ensemble, d'une organisation insuffisante et des priorités mal établies, et d'une utilisation peu efficace des ressources. Deuxièmement, dans le même rapport de l'OMS sus-cité, est soulignée « la nécessité d'une volonté et d'un engagement politique ». Le plan national cancer 2015-2019 endossé politiquement par son Excellence le président de la République qui, lui-même, a chargé le Pr. Zitouni Messaoud de la direction de l'élaboration du plan. Troisièmement, le plan est une « guerre » menée contre le cancer, et il est dit que l'argent est le nerf de la guerre. Dans ce domaine le président de la République a dégagé une enveloppe financière propre à la réalisation de ce plan. A la lecture de ce plan, d'emblée l'on voit que la méthode de travail a été au centre de l'action, elle est basée pour un résultat concret, sur le pragmatisme, la proximité du terrain et de l'écoute des malades et des professionnels. Ce plan se propose d'impulser un nouvel élan porteur d'une vision stratégique renouvelée, et ce par une approche centrée sur le malade et la constitution de réseaux de soins, un intérêt porté sur la prévention, la nécessité d'une approche intersectorielle et pluridisciplinaire et la promotion et la formation dans tous les domaines. Par souci d'honnêteté, les concepteurs de ce plan soulignent que l'élaboration d'un plan cancer est un phénomène complexe et surtout une œuvre de longue haleine. Ce qui suppose l'éventualité de ne pas le réaliser à 100%, et surtout, comme il est souligné, la nécessité vitale pour le plan d'un pilotage et d'un suivi qui permettent d'éventuels réajustements au cours de réalisation. Voyons maintenant d'une manière succincte le contenu du plan. D'abord l'étude épidémiologique précise ce que les professionnels présentent, l'accroissement de la fréquence des cancers du sein chez la femme et ceux du poumon et colorectaux chez les hommes. Ensuite l'on est agréablement surpris en lisant que contrairement à ce que l'on croit, les potentiels humains et matériels existent, mais sont utilisés d'une manière désorganisée avec des disparités importantes entre les régions, et qu'il faut y pallier. L'on apprend enfin que la radiothérapie qui accuse un retard, comprend 22 appareils de cobalt et accélérateurs en fonction actuellement et qu'à l'horizon 2018, 34 appareils seront réceptionnés. Cela sera bien sûr en deçà des normes des pays développés mais amènera une nette amélioration pour nos patients. Le plan national cancer 2015-2019 trace 8 axes stratégiques. Pour chaque axe sont fixés des objectifs, des actions et des mesures, et un focus est précisé. Ainsi l'on compte au total 19 objectifs, 60 actions et 239 mesures. Enfin, le coût financier pour chaque axe est évalué. Nous citerons les 8 axes stratégiques: 01 - Améliorer la prévention contre les facteurs de risques. Focus : lutte contre le tabac. 02- Améliorer le dépistage de certains cancers. Focus : dépistage du cancer du sein. 03 Améliorer le diagnostic du cancer. Focus : anatomo cytopathologie 04- Redynamiser le traitement. Focus : interdisciplinarité. 05- Organiser l'orientation, l'accompagnement et le suivi du patient. Focus : cellules d'accueil et d'orientation des patients cancéreux. 06-Développer le système d'information et la communication sur les cancers. Focus : les registres des cancers. 07- Renforcer la formation et la recherche sur les cancers. Focus : initiation aux nouveaux métiers et la recherche transrationnelle. 08- Renforcer les capacités de financement de la prise en charge des cancers. Focus : optimiser et rationaliser les ressources financières disponibles. L'on voit à travers l'énonciation de ces 08 axes stratégiques qu'il s'agit d'un vaste chantier dont la réalisation est complexe. C'est pour cela qu'il est indispensable de l'accompagner par des mesures pour améliorer en urgence notre système de santé. C'est bien en vue de cette nécessité que son Excellence le président de la République a donné instruction, lors du dernier Conseil des ministres, de redynamiser la réforme hospitalière et notamment la contractualisation. L'âme de cette réforme est la régionalisation et la hiérarchisation des soins. Il est énoncé dans ce plan cancer ce qui suit : « la mise à niveau doit permettre le rétablissement de la hiérarchisation des soins ». Celle-ci ne peut être efficiente, de l'avis des organisations internationales et experts algériens, que lorsque le système de santé aura une approche régionale et territoriale consacrée par des textes législatifs et réglementaires. Dans une précédente contribution sur les perspectives de notre système de santé nous avons écrit : « la région doit être le cadre de pilotage du système de santé. Pour cela elle doit avoir une existence juridique, qui fait d'elle non une instance seulement consultative mais surtout exécutive. La région permettra en son sein le rééquilibrage entre différents secteurs des moyens humains et matériels. La région pourra négocier le budget nécessaire à son développement. Le problème financier est abordé sans tabou. Le président de la République a octroyé une enveloppe financière de 178 millions de DA pour la réalisation du plan. Cette enveloppe doit être utilisée d'une manière rationnelle qui promeuve l'efficience. Il est écrit dans cette option « une démarche pour se prémunir contre tout accident financier ». La contractualisation dans le cadre de ce plan, mais aussi pour tout le système de santé, permet une meilleure évaluation et maîtrise des budgets, car l'on passera d'une budgétisation globale ou celle par acte. Ce plan national cancer 2015-2019 est un «combat pour la vie». Conscient de cela, son Excellence le président de la République l'a endossé politiquement et a dégagé une enveloppe financière pour sa réalisation, selon les vœux des experts. Le Pr. Zitouni Messaoud, avec beaucoup d'experts, a consacré deux années pour l'élaborer, où les conditions optimales de sa réalisation sont énoncées. Il reste maintenant de créer les conditions favorables à cela. C'est pourquoi il est indispensable une mobilisation de la société civile (professionnels de la santé et d'autres secteurs, associations de malades ). Mobilisons-nous, surtout se départir « du conservatisme de l'esprit de rente. * Professeur de chirurgie oncologique, CHUO