L'Algérie est en train de vivre des moments historiques aujourd'hui. Plusieurs faits l'annoncent. D'abord la sortie récente d'Ahmed Ouyahia qui, à bien des égards, a remis les pendules à l'heure. Deuxièmement, la lettre adressée par le chef d'état-major de l'ANP, Gaïd Salah, au secrétaire général contesté du FLN, Amar Saâdani, n'était pas de trop pour signifier que l'ANP veille au grain. Les bouleversements politiques et sécuritaires dans le monde arabe sont suffisamment significatifs pour rappeler les dangers qui guettent l'Algérie. Et quand bien même il adresse en des termes très honorables, très sincères au « frère » Amar Saâdani, ses félicitations à son plébiscite à la tête du FLN, il reste comme il est écrit dans le message que « S'il est attendu de cette force politique (le FLN) d'enrichir la dynamique de la classe politique dans notre pays et de consolider son édifice, elle qui constitue une force d'équilibre constamment guidée par ce souci permanent de servir les intérêts supérieurs de la nation, le FLN demeure aussi, comme aucune autre force, cette mémoire qui préserve l'histoire de notre glorieuse nation avec ses épopées, ses gloires et ses incommensurables sacrifices ». En d'autres termes, le FLN est annoncé en force d'équilibre, qui signifie ni plus ni moins de veiller aux intérêts supérieurs de la nation. Ce qui n'élude en rien la démarche des autres partis politiques qui s'inscrivent dans cette dynamique et participent à la consolidation de l'édifice national. Evidemment une « lecture étroite de la lettre parce qu'elle est envoyée au secrétaire général du FLN » peut provoquer des remous qui, somme toute, sont entièrement légitimes. L'essentiel est que ces remous se déroulent dans un climat apaisé entre formations politiques. Et c'est ce qu'appelle l'institution militaire par la voix de son chef d'état-major, vice-ministre de la Défense. Un autre fait marquant. Les mises en garde de Louisa Hanoune qui n'étaient pas de trop contre les oligarques algériens pour signifier que tout n'est pas dit dans cette messe que l'on croit faite. Enfin, le dernier événement marquant, c'est le congrès d'Ali Benflis qui a pris de court le système politique. Les journaux titrent : « la démonstration de force » de ce nouveau parti, et de grandes figures politiques, présentes au congrès constitutif des « Avant-gardes des Libertés », qui sont venus honorer, ont donné leur onction. Ce qui nous fait dire qu'avant ce début de ramadan, la scène politique bouge réellement et les événements s'accélèrent. Que préfigurent-ils ? 1. UNE ETOILE QUI VEILLE SUR L'ALGERIE NE CHERCHE QU'A DONNER DU TEMPS POUR QUE SA SITUATION POLITIQUE MURISSE, S'ASSAINISSE POUR UNE « SUCCESSION APAISEE » Il est évident que l'Algérie est à un tournant de son histoire. Le remaniement ministériel opéré fin avril 2015 n'a pas suscité beaucoup d'engouement auprès de l'opinion publique. Les analyses de la presse plutôt lapidaires ont apporté peu d'éclairage si ce n'est que, de l'avis général, ce remaniement tout au plus technique s'inscrit dans la continuité. Le but visé est d'apporter du sang neuf et régler les quelques conflits internes. D'autant plus que l'absence criante du chef de l'Etat aux commandes fait penser que l'Algérie fonctionne à vitesse très réduite. Tout au plus aux affaires courantes. Comme si l'Algérie marchait par un mouvement inertiel, à guidage automatique. Les réserves de change toujours élevées, le prix du baril de pétrole Sahara Blend s'étant un peu redressé, pas très éloigné des 70 dollars, il n'y a pas le feu en la demeure. On peut même pronostiquer que les recettes pétrolières qui auront perdu environ un tiers par rapport au boom pétrolier du premier semestre 2014 et les années passées s'élèveront à 40 milliards de dollars et pourront normalement, avec une politique d'austérité judicieuse, relativement contraignante, mettre l'Algérie à l'abri des aléas économiques violents dans les années à venir. Surtout que la stratégie des Etats-Unis pour « contenir les prix pétroliers et créer un trou d'air aux économies émergentes » soit en train d'atteindre des limites. Les prix du pétrole aujourd'hui stagnent dans une fourchette comprise entre 60 et 70 dollars pour les trois types de pétrole WTI américain, Brent de la mer du Nord et Sahara Blend d'Afrique du Nord. L'Algérie bénéficie de surcroît d'une baisse du taux de change de l'euro, fluctuant autour de 1,10 dollar, loin des 1,35 dollar des années passées. Ce qui favorise le coût de ses importations avec les pays d'Europe et donc se traduit par une économie dans ses réserves de change. L'Algérie est donc loin du contre-choc pétrolier de 1986 qui a vu le prix du pétrole dégringoler à moins de 10 dollars le baril. Et une spirale d'endettement qui, hypothéquant toute sortie de crise, s'est terminée par une guerre fratricide. Plus de 100.000 morts et un nombre considérable de handicapés à vie. La « décennie noire » reste le traumatisme le plus profond de son histoire depuis son indépendance. L'Algérie est confrontée aujourd'hui à la maladie de son président. La reconduction à la magistrature suprême en avril 2014 s'annonce difficile. D'abord par la maladie, ensuite par les dangers dus aux multiples conflits armés dans le monde arabo-musulman qui risquent de déstabiliser l'Algérie. Si l'Algérie a passé le « Printemps arabe » sans encombre contrairement aux autres pays qui n'en finissent de s'entredéchirer, il demeure cependant que les dangers sont omniprésents, « et l'Algérie a besoin de stabilité intérieure pour y répondre ». D'autant plus que les peuples musulmans se tournent vers l'Algérie et la regardent. Il faut seulement rappeler qu'en Afrique par exemple, des manifestations populaires violentes avec des morts ont eu lieu au Burundi contre le président Pierre Nkurunziza, au Burkina Faso contre le président Blaise Compaoré, et dans d'autres pays lors des élections de leur président sortant. Alors qu'en Algérie, les élections d'avril 2014 pour un quatrième mandat pour le président sortant n'ont donné lieu à aucune manifestation hostile, malgré une campagne médiatique très agitée contre ce mandat. Cela dénote simplement une prise de conscience du peuple algérien des dangers qui guettent la nation. Le peuple algérien, ayant bien assimilé les horreurs de la « décennie noire », cherche avant tout la sécurité et la stabilité. Il est suffisamment renseigné sur ce qui se passe en Syrie, en Libye et dans d'autres contrées arabes. L'Arabie saoudite, pays supposé le plus riche et le plus stable du monde arabe, se trouve plongé avec d'autres pays arabes dans une guerre presque insoluble qui risque d'avoir des conséquences irréversibles. S'il y a cette impression qu'une étoile veille sur la nation algérienne (1), quand bien même Abdelaziz Bouteflika est malade, et cette étoile, cette Providence est là, on ne peut ne pas penser que, dans ce quatrième mandat, « que cette étoile ne cherche qu'à donner du temps à l'Algérie pour que sa situation politique mûrisse, s'assainisse pour une succession apaisée ». On sait très bien qu'Abdelaziz Bouteflika n'est qu'un homme comme tous les hommes ; que personne n'est éternel ; qu'une complication de sa maladie peut interrompre sa fonction de premier magistrat du pays. Et cette éventualité, tous les acteurs politiques des partis, du système au pouvoir jusqu'à la société civile, en sont conscients et y pensent. Que sera l'Algérie lorsque cette succession viendra à sonner ? 2. LES FORCES POLITIQUES EN PRESENCE. LES TROIS CANDIDATS POTENTIELS PRESIDENTIABLES Est-ce que cette effervescence politique que l'on constate aujourd'hui en Algérie est-elle annonciatrice d'événements importants ? Les partis politiques bougent, des déclarations contradictoires fusent d'un peu partout. Plus qu'une réflexion, un débat occupe aujourd'hui la scène nationale. L'avenir de l'Algérie a-t-il commencé ? Même les grands procès en cours sont de la partie, un peu comme si l'étoile qui protège l'Algérie veut assainir un contentieux qui n'a que trop duré. Cette étoile veut-elle faire avancer l'Algérie ? Parlons d'abord de l'interview récente d'Ahmed Ouyahia, rappelé aux commandes du deuxième parti au pouvoir, le Rassemblement national démocratique (RND). Il déclare que le peuple algérien n'est pas un « peuple monarchique ». Pourquoi cette précision ? Est-ce pour mettre fin aux rumeurs portées sur le frère du président, Saïd Bouteflika ? Peut-on croire qu'un frère du président de la République, inconnu du peuple, peut être intronisé comme cela, aussi facilement, sans problème, par un simple effet d'annonce ? Est-ce sérieux de diffuser cette rumeur sur le frère du président colportée depuis la maladie du président ? Ou est-ce que ce projet est réellement caressé dans les arcanes du pouvoir ? Oui, tout est possible ! Mais, c'est aussi méconnaître le peuple algérien et son histoire. C'est aussi méconnaître ce qui s'est passé et se passe encore en Egypte, en Libye, en Syrie et ailleurs où des conflits sanglants font rage. Et qui sont provoqués par des chefs d'Etat qui ont cherché, en léguant le pouvoir à leurs familles, à instaurer des dynasties qui n'ont rien à envier aux dynasties monarchiques. Et pourtant, nous sommes au XXIe siècle, les Occidentaux envoient des sondes spatiales, ont créé le numérique. Et « les pays arabes, où se trouvent-ils aujourd'hui ? A s'entretuer, il n'y a plus d'Islam. Et des Musulmans tuent des Musulmans au nom de l'Islam. Plusieurs pays arabes sont plongés dans des guerres civiles, dans des désastres qui risquent de disloquer leurs Etats. » En revenant aux supputations sur le futur du président algérien en cas de complication de la maladie du président, et il faut dire qu'elles vont aujourd'hui bon train, il demeure pourtant une condition sine qua non pour l'éligibilité de tout candidat à la présidence. Il doit avant tout être connu du peuple algérien. Il doit avoir montré des preuves non seulement de son passé politique mais de son attachement aux idéaux de l'Algérie. Et les candidats présidentiables existent et sont connus du peuple algérien. L'Algérie en recèle et tous ces candidats présidentiables sont engagés pour leur pays. Par conséquent, la précision d'Ahmed Ouyahia est venue simplement mettre un terme à cette rumeur qui n'a pas de sens, mais colportée par des cercles au pouvoir et hors du pouvoir, elle est instrumentalisée à des fins purement politiciennes. Le chef du RND a parlé aussi de la lettre du chef d'état-major de l'ANP et se dit surpris du ton véhément des partis. Il a parlé du DRS, dont il rappelle qu'il a assuré la sécurité des Algériens durant la « décennie noire ». Dans ses déclarations, on doit comprendre qu'Ouyahia privilégie la stabilité et la sécurité de l'Algérie avant toute chose. « Que faire d'une démocratie si elle plonge le pays dans une guerre civile ? » On a vu ce qu'a donné la démocratie en 1990 et 1991 en Algérie. Une guerre fratricide qui a duré près de dix ans. Que se passe-il aujourd'hui dans les pays arabes ? Ils s'entredéchirent pour le pouvoir et risquent d'éclater leurs pays si n'est déjà fait. Et l'Occident y applaudit parce qu'il trouve son intérêt. Des petits pays sont plus faciles à dominer, à assujettir dans leur arrière-cour et à leur stratégie de domination planétaire. Un peu comme la Grèce aujourd'hui (et certainement en pire) sous le diktat des institutions financières, pourtant un pays européen, membre de l'Union européenne et de la zone euro. L'Histoire est témoin de la trajectoire historique de la nation algérienne, de son rôle stabilisateur dans le monde arabo-musulman et en Afrique, en concert avec les grandes puissances. Le chef du RND déclare qu'il n'y aura pas d'élections anticipées. Il est évident que tant que le président Bouteflika tient la barre, l'Algérie maintiendra son cap dans la stabilité. Enfin Ouyahia fait son mea culpa, en annonçant qu'il fallait bien que quelqu'un fasse la « sale besogne ». Il l'assume, déclare-t-il. Aussi peut-on dire que, en tant qu'ancien commis de l'Etat, « Ahmed Ouyahia est parfaitement un candidat présidentiable ». Le deuxième élément de cette effervescence politique concerne le combat de Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs, contre les oligarques. Ce combat n'est pas rien. On peut même dire qu'elle est le seul politique qui affronte et combat les prédateurs du système politique en place. Elle cherche à protéger les richesses du pays, dans cette période de flou politique. Et le système n'arrive pas à la faire taire ou la corrompre. Une femme, faudrait-il dire, courageuse, morale et fidèle à ses idéaux politiques. Cela montre simplement que l'Algérie est riche de ses femmes. Louisa Hanoune n'a pas peur de porter à l'opinion publique ce que l'opinion sait plus ou moins déjà. Mais le peuple cherche la stabilité et sait que la corruption malheureusement est un mal qui relève de la nature humaine. Seul le temps et le progrès dans la gestion et la moralité pourra être réparateur et diminuer ce fléau. Il n'empêche que l'action de Louisa Hanoune, pourfendeuse de corrupteurs et de corrompus au sein de l'Etat, leur rend la tâche difficile, et par la crédibilité de son action vis-à-vis du peuple, donc à ce titre et aussi à son parcours politique depuis trois décennies, « la rend parfaitement une candidate présidentiable ». Le troisième élément, ce sont les déclarations tonitruantes d'Amar Saâdani, secrétaire du FLN. Elles dénotent simplement l'inquiétude du système politique au pouvoir. Confronté aux forces montantes, le FLN vieilli est dans un certain sens dépassé par les partis politiques de l'opposition. D'autre part, ce parti politique, par son essence révolutionnaire et fondatrice de la nation algérienne, appartient à tous les Algériens. Et c'est là son dilemme, « cette appartenance collective », qui n'arrive pas à fédérer les autres formations politiques. Comme d'ailleurs, l'Islam est une appartenance collective, de tous les partis. L'Islam est la religion de tous les Algériens et non aux seuls partis islamiques. Il est évident que cette appartenance collective dont on veut faire une propriété exclusive demandera du temps pour disparaître. Aujourd'hui plus que jamais, force est de dire que tous les partis politiques en lice, compte tenu des dangers, se doivent dans leur lutte pour le pouvoir, de se protéger contre tous les troubles possibles, susceptibles de porter atteinte à la cohésion de la nation. Enfin, le dernier élément de la scène nationale, c'est Ali Benflis et l'ouverture du congrès constitutif de son nouveau parti politique. Cet ancien politique du sérail, pur produit du système algérien, fin politique, apparaît non seulement « un candidat présidentiable, mais constitue la première grosse pointure de l'opposition ». Lorsqu'il dit que « L'Algérie vit une vacance du pouvoir qu'il est vain de tenter de cacher par des procédés les uns plus vains et plus dérisoires que les autres. Les institutions sont illégitimes de la base au sommet du fait du fléau de la fraude qui a, lui aussi, pris une dimension systémique. [ ] Le vide généré par la vacance du pouvoir a été comblé par des forces extra-constitutionnelles qui ont pris possession du centre de la décision nationale. » Il sait très bien ce qu'il ressort dans les rouages de l'Etat. Quand il dit : « En ce moment même où nous sommes réunis ici, dans tout le pays bruissent des rumeurs, des fuites et des ballons-sondes sont jetés pour vérifier l'acceptabilité et la faisabilité d'une opération de clonage de notre système politique au moyen de ce qu'il est devenu commun de désigner sous l'appellation de transmission héréditaire ou cooptée du pouvoir », on ne peut s'empêcher de répondre que c'est de bonne guerre. Là encore, cette supputation de Saïd Bouteflika qui cherche à briguer la magistrature suprême ne tient pas la route. Le frère du président n'aurait pas attendu longtemps pour se présenter au peuple s'il cherchait vraiment à se porter candidat aux élections présidentielles. 3. LA «MAIN DE L'HISTOIRE» DANS LE CHOIX DES CHEFS D'ETAT Si trois candidats présidentiables sont connus, entre Ahmed Ouyahia, Louisa Hanoune, il reste que Ali Benflis constitue la grosse pointure politique. Et on comprend pourquoi cet ancien commis de l'Etat, passé depuis 12 ans dans l'opposition, inquiète outre mesure le pouvoir. La situation de blocage au plus haut niveau de l'Etat est liée à plusieurs paramètres. D'abord Abdelaziz Bouteflika reste le dernier historique sur la scène politique algérienne. Constituant un gage pour la pérennisation du système, une complication de sa maladie qui viendrait à l'écarter définitivement provoquerait des conséquences incalculables dans l'encadrement du système si son remplacement se serait opéré non comme il aurait été souhaité. Un peu comme dans les administrations occidentales, lorsque la gauche viendrait à remplacer le personnel de la droite et vice versa. Ou aux Etats-Unis, les Démocrates viendraient remplacer, en cas de victoire aux élections, les Républicains à la Maison Blanche, et vice versa. Le deuxième paramètre porte sur les bouleversements politiques et confessionnels dans les pays arabes. La situation non seulement ne s'est pas débloquée mais s'enlise surtout avec l'entrée des monarchies arabes dans le conflit armé avec les houtistes du Yémen. Les pays avoisinants déstabilisés par le « Printemps arabe » constituent aussi des menaces potentielles à nos frontières. Un autre facteur donc qui vient compliquer la donne sécuritaire de notre région. Les appels du pied d'Ali Benflis aux hautes structures de l'Etat censées être neutres telle l'ANP ne peuvent que rester aléatoires. « Pour la simple raison que même pour notre armée, il n'y a véritablement pas de visibilité sur tel ou tel candidat. » D'autant plus qu'il y a en dernier ressort le peuple à convaincre, ce qui n'est pas donné. Tant que c'était Bouteflika, le peuple qui s'y est habitué non seulement par son aura historique, par la stabilité de ses mandats mais aussi par la maladie pouvait convaincre. Et le peuple est sensible à la souffrance du président. Aujourd'hui, on ne sait pas du tout comment le peuple réagira si on lui propose un candidat inconnu de la scène ou qui n'a pas une certaine approbation du peuple. Remplir les urnes pour imposer un candidat serait d'une inconscience débile de la part de l'Etat. « On sait très bien « que la démocratie à l'occidentale ne fonctionnerait pas dans notre pays eu égard aux souffrances vécues par le peuple durant la décennie noire. Mais une démocratie trop contrôlée ne fonctionnerait pas non plus et créerait des remous tels qu'il ne rendrait pas service à l'Etat. » Par conséquent, il y a un minimum de démocratie à mettre en place. Et le choix du peuple dans cette nouvelle phase de l'histoire qui scelle la fin des historiques sera déterminant dans le choix du prochain président de la République algérienne. Aussi peut-on énoncer dans l'ordre chronologique des présidents qui ont eu à assumer la fonction suprême de chef de l'Etat. Que si le premier président de la République, Ahmed Ben Bella, fut ovationné au lendemain de l'indépendance, les présidents qui suivirent ont tous été promu chefs d'Etat par la conjoncture historique qui prévalait à chaque époque. Houari Boumediene est devenu chef du Conseil de la Révolution puis président de la République par la force des choses de l'Histoire. « C'est la conjoncture historique qui a commandé une main de fer en la personne de Boumediene » pour mener à terme l'édification de l'Etat. C'est cette période de l'histoire difficile de l'Algérie qui lui a permis d'accéder à la fonction suprême, nonobstant les opposants. Après la mort de Boumediene, et la crise du monde arabe avec le retournement de l'Egypte qui a signé la paix avec Israël, les enjeux ont changé complètement. D'autant plus que les privations sur le plan économique et l'essoufflement des industries industrialisantes commandaient un changement politique. Et le choix s'est posé sur le colonel Chadli Bendjedid qui était un homme de consensus. C'est ainsi qu'il devient le troisième chef de l'Etat algérien en 1979. La poigne de fer s'est muée en poigne molle, flexible. Il y avait nécessité de détendre la pression sur la population. Il faut se rappeler la politique de détente qui est allée de pair avec le haut cours du prix du baril de pétrole. Le programme anti-pénurie et tant d'avantages sociaux pour les populations au début des années 1980. Ici aussi Chadli Bendjedid n'a probablement jamais pensé réellement devenir un jour président de la République algérienne. Et là encore c'est la « main de l'Histoire » qui a eu le fin mot de l'ordre historique de l'Algérie et du choix de son président. Le conclave tenu pour Bendjedid comme pour Boumediene ne vient pas des hommes, c'est-à-dire du sérail, même s'ils croient que ce sont eux qui ont désigné les présidents. C'est vrai que ce conclave a existé et que ce sont ces hommes qui l'ont désigné, mais il n'empêche que ce sont les forces de la conjoncture historique qui ont commandé ce choix pour départager les candidats. Il était nécessaire un homme de consensus. Et le choix s'est porté sur un colonel de Région, le plus ancien de l'armée. Le conclave n'a été que le corollaire d'une situation existante, comme d'ailleurs s'est fait en 1965, pour le président Boumediene. Les hommes font l'Histoire sans qu'ils ne sachent qu'en réalité qu'ils ne sont que les instruments de l'Histoire. De même qui aurait pensé que Mohamed Boudiaf allait sortir de sa retraite de la ville de Kenitra, au Maroc, et venir en Algérie pour devenir le président du Haut Comité d'Etat ? Boudiaf l'aurait-il pensé ? Impossible, probablement il se pensait « oublié de l'Histoire ». Là encore, c'est la situation historique qui a commandé sa venue en Algérie. Conclave ou non, l'Histoire avait tranché. Ceci simplement pour dire encore que les hommes croient décider mais, en réalité, d'autres forces inattendues décident de leur devenir. Cinq mois et quelques jours plus tard, il fut assassiné et remplacé par Ali Kafi. En 1994, c'est le colonel Liamine Zeroual qui remplace Ali Kafi. Là encore, Liamine Zeroual aurait-il pensé, lui qui avait malgré sa promotion à la tête des forces terrestres en 1989 démissionné sous la présidence de Chadli Bendjedid suite à un désaccord l'année même, qu'il allait revenir moins de quatre années plus tard aux commandes de l'Etat ? D'abord pour devenir ministre de la Défense en 1993. Puis chef d'Etat en 1994 et président de la République en 1995. Là encore, à toute situation, un homme de situation. Là encore, c'est l'Histoire de l'Algérie qui a choisi Liamine Zeroual. Un des hommes des plus respectés et des plus compétents de l'institution militaire. Le conclave n'aura été encore une fois qu'un corollaire de l'Histoire. « L'Algérie dans la crise sanglante qui l'a frappée avait besoin d'un homme à la fois à poigne et ouvert au dialogue. » Le mini krach pétrolier de 1998 et le début de règlement de la crise va signifier la fin de mission de Zeroual. En 1999, il sera remplacé par Abdelaziz Bouteflika. Là encore, c'est l'Histoire qui a choisi Bouteflika. L'économie algérienne commençait à présenter de graves dysfonctionnements. Tout ce qu'a construit son prédécesseur risquait de voler en éclats. La crise pétrolière était là. Le baril de pétrole a atteint 10 dollars en 1998. En 1999, le prix stagnait autour de 12 dollars. Et l'Algérie avait déjà procédé à un programme d'ajustement structurel (PAS), en 1994, avec une forte dévaluation du dinar, un démantèlement d'une partie de l'industrie et une perte de plusieurs centaines de milliers d'emplois. Une situation de crise économique grave et de paupérisation extrême menaçait l'Algérie. Précisément, Abdelaziz Bouteflika devait apporter ces besoins en capitaux des monarchies arabes. « Et Abdelaziz Bouteflika les a réellement apportés grâce à la Providence divine. » Le prix du pétrole a commencé à remonter dès l'été 1999, à plus de 14 dollars le baril. En 2000, le baril de pétrole a atteint les 36 dollars. Et cette hausse du pétrole a duré depuis cette date jusqu'à l'été 2014. Là encore, on ne peut dire que c'est le zaïmisme qui a prévalu dans la désignation de Bouteflika, mais simplement que Bouteflika était l'homme de la conjoncture historique qui a commencé à sévir dès 1998. Et encore une fois le conclave dans sa désignation qui était incompréhensible à l'époque (six candidats en lice avaient boycotté l'élection) n'était une nouvelle fois qu'un corollaire de l'Histoire. 4. ZEROUAL, BOUTEFLIKA ET BENFLIS, UNE « SIMILITUDE HISTORIQUE » Aujourd'hui, on peut dire que l'Algérie est assez bien plantée, la situation politique et économique a beaucoup changé. Mais il demeure que l'Algérie doit progresser et ne pas demeurer en l'état. Le président Bouteflika est malade, un temps de mûrissement est nécessaire pour son remplacement surtout, si par la maladie, il le rendra nécessaire. Là encore, nous présumons que c'est l'Histoire qui va trancher. D'autant plus qu'entre les présidents Zeroual, Bouteflika et le candidat malheureux deux fois aux élections présidentielles, Ali Benflis, présentent des « similitudes historiques communes ». Le président Liamine Zeroual a subi une traversée du désert de quelques années au nom de ces principes moraux et existentiels. Idem pour le président Abdelaziz Bouteflika qui, lui, a subi vingt années de traversée du désert. Cette longue période d'isolement pèse sur ces hommes. Pour ces hommes, il s'est produit un rappel par l'Histoire. Comme pour Zeroual et Bouteflika, de même pour Benflis qui depuis 2003 subit une traversée du désert. Deux fois il a perdu les présidentielles. Et il est toujours là, cherchant à prendre sa revanche sur l'Histoire. Et si ce n'est pas Ali Benflis qui va prendre sa revanche sur l'Histoire, « mais l'Histoire qui prendra sa revanche en le nommant le prochain rendez-vous électoral l'homme de la conjoncture historique. Et qui commandera le conclave à être de nouveau le corollaire de l'Histoire. » Précisément, nos décideurs doivent méditer sur les leçons de l'Histoire « pour préparer une succession apaisée ». * Auteur et chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective. Note : 1. « Intérêts et limites du fondamentalisme islamique dans un monde en construction : l'Algérie protégée par son étoile », par Medjdoub Hamed, publié dans le 31 05 2015, dans le Quotidien d'Oran