L'Iran et les grandes puissances ont conclu hier mardi un accord historique qui rend quasi impossible la construction d'une bombe atomique par Téhéran pendant plusieurs années, en échange d'une levée progressive des sanctions. Ce succès diplomatique referme un dossier qui empoisonnait les relations internationales depuis plus de 12 ans. «Les décisions que nous prenons aujourd'hui ne portent pas seulement sur le nucléaire iranien mais (...) peuvent ouvrir un nouveau chapitre sur les relations internationales», a déclaré la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, à l'ouverture de la réunion ministérielle qui devait officialiser l'accord. A ses côtés, le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a salué un «moment historique», tout en soulignant qu'aucun accord «ne pouvait être parfait pour toutes les parties». L'accord ouvre la voie à une normalisation des relations économiques et diplomatiques de l'Iran avec la communauté internationale, une perspective qui suscite l'opposition d'Israël et des puissances sunnites voisines, inquiètes du rôle déjà joué par Téhéran dans plusieurs conflits au Proche-Orient. C'est aussi la première fois qu'un accord à ce niveau lie la République islamique et les Etats-Unis depuis la rupture de leurs relations diplomatiques en 1980. Ce dénouement marque un succès majeur pour le président modéré iranien Hassan Rohani et pour Barack Obama. Deux semaines après la réconciliation avec Cuba, le président américain marque en effet d'une seconde pierre blanche diplomatique la fin de son dernier mandat. L'entente a été arrachée à l'issue d'un marathon diplomatique entamé en septembre 2013 et dont le dernier round s'est tenu sans interruption à Vienne ces 18 derniers jours, un final d'une longueur sans précédent depuis les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre de Bosnie-Herzégovine en 1995. Les tractations entre l'Iran et le groupe P5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) étaient censées se conclure le 30 juin, mais ont été prolongées à plusieurs reprises en raison de blocages sur deux ou trois «questions difficiles» finalement résolues in extremis. Les deux parties ont insisté sur la nécessité de parvenir à un «bon» accord, M. Kerry soulignant notamment que celui-ci devrait résister à l'épreuve du temps. L'accord final met en musique dans leurs moindres détails de grands principes actés à Lausanne en avril: Téhéran s'engage à réduire ses capacités nucléaires (centrifugeuses, stock d'uranium enrichi...) pendant plusieurs années et à laisser les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) procéder à des inspections plus poussées. Le but est de rendre quasiment impossible la possibilité pour l'Iran de fabriquer une bombe atomique, tout en assurant à Téhéran, qui nie avoir jamais eu l'intention de se doter de la bombe, le droit de développer une filière nucléaire civile. En échange, l'Iran bénéficiera surtout d'une levée des sanctions internationales adoptées depuis 2006 par les Etats-Unis, l'Union européenne et l'ONU et qui brident l'économie du pays. Les premières sanctions pourront être levées à partir du premier semestre 2016 si la République islamique respecte ses premiers engagements, selon une source diplomatique. En cas de violation de l'accord, elles pourront être rétablies. Les milieux économiques se tiennent prêts à revenir dans ce pays de 77 millions d'habitants, qui dispose des quatrièmes réserves de brut au monde et des deuxièmes de gaz. L'Iran, un pays de l'Opep, pourra à terme exporter à nouveau librement son brut. Les Iraniens, qui ont élu Hassan Rohani à la présidence en 2013 sur la promesse de levée des sanctions, attendaient un tel accord avec impatience. Mais les tenants d'une ligne dure en Iran aussi bien qu'aux Etats-Unis n'ont cessé d'exprimer leur hostilité aux discussions. Israël, ennemi historique de l'Iran, et les puissances régionales sunnites sont également hostiles à une remise en selle de l'Iran sur la scène internationale et régionale. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a immédiatement qualifié l'accord d'»erreur historique». A Washington, l'accord doit désormais être soumis au Congrès, contrôlé par les Républicains qui sont très méfiants envers Téhéran. Le chef du groupe au Sénat a déjà prévenu que l'accord serait «très difficile à vendre» aux parlementaires américains. Il leur faudrait toutefois une majorité de deux tiers pour faire capoter le texte. A Téhéran, le guide suprême Ali Khamenei a lui prévenu la semaine dernière qu'un accord n'empêcherait pas de poursuivre la lutte contre les Etats-Unis «exemple parfait de l'arrogance». L'application du texte «sera un processus très compliqué», prévoit Siavush Randjbar-Daemi de l'Université de Manchester. «C'est là que les choses pourraient aller de travers.»