Comment bien vieillir et réussir sa vieillesse dans une société qui commence à perdre cet attachement de jadis pour ses grands aînés et qui tend à prendre le chemin de l'individualisme avec tout ce que la vie moderne a apporté comme changements ? Vieux, sénior, personne du troisième âge, chikh, chibani, tant de mots pour désigner nos aînés mais qui au fil du temps se vident de leur sens, aux yeux d'une société conçue plus pour la jeunesse et beaucoup moins pour la vieillesse. Délaissés, abandonnés, marginalisés, non reconnus, touchés dans leur dignité et privés de parole pour exprimer leurs avis. C'est avec un grand soupire que nos vieux racontent ce que la vie leur a réservé après un long parcours de combattant. Ils s'accordent tous à résumer leur tranche de vie en une seule phrase : dur, dur le quotidien passé entre les murs avec des os qui lâchent, des yeux affaiblis et une mémoire qui fait défaut sans parler des maladies chroniques qui s'installent avec leurs lots des complications. Bons à la casse, nous disent certains avec ironie. Bons à placer dans une maison de retraite, pensent d'autres avec un pincement au cœur. Placer son père ou sa mère dans une maison d'accueil, un concept qui fait honte dans notre société dite musulmane mais qui reflète une réalité amère puisque ces établissements sont remplis de pensionnaires. Faut-il blâmer les enfants ou l'Etat pour l'absence d'une politique adéquate de prise en charge des séniors dépendants ? C'est sur ces personnes du troisième âge qui se disent avoir perdu ce statut de personne utile dans la société que le collectif Nabni a organisé, jeudi dernier, une conférence-débat sur «quel avenir pour nos aînés en Algérie, la prise en charge des aînés et personnes âgées, une question de santé publique», au siège de l'institut IDRH à Canastel. EN 2030, 14% DE LA POPULATION AURA PLUS DE 60 ANS Même si les statistiques démographiques actuelles classent l'Algérie parmi les pays qui comptent un potentiel de jeunesse important, cette jeunesse n'est pas éternelle puisque en 2030, 14% de la population aura plus de 60 ans. Une transition démographique pour laquelle l'Algérie doit se préparer et qui impose, selon le collectif «Nabni», la mise en place d'une stratégie nationale pour une autre prise en charge de nos aînés où le vieillissement et la perte d'autonomie doivent être pris en compte en matière sociale et de santé et aussi d'urbanisme et de vivre ensemble. C'est tout un arsenal de dispositifs à repenser pour permettre à nos séniors de bien vieillir. Une question qui a été au centre des débats animés entre médecins, sociologues, psychologues, universitaires et aussi juristes et qui a permis, dans une ambiance de brainstorming, de dégager une réflexion sur comment éviter la mort à petit feu à nos aînés. C'est l'intervention d'un psychologue qui a un peu choqué l'assistance sur une réalité que les présents ont eu du mal à admettre. Pour ce psychologue, il n y a pas de doute, notre société a changé. «Si la question se pose maintenant, il y a de fortes chances qu'elle fasse changer notre culture», dira-t-il. «Si on était resté traditionnel, je crois que cette question de prise en charge des personnes âgées ne se poserait même pas. Or, la culture n'est pas absolue. Elle change à travers des processus. Nous, nous avons tellement changé qu'à l'instant où nous parlions, nous sommes devenus étrangers à nous-mêmes. Nous ne pouvons pas revenir au passé. C'est pourquoi il faut avoir une nouvelle réflexion sur cette question. Un mouvement de pensées est en train de s'annoncer. Nous ne pouvons plus revenir dans la construction du bien familial d'antan. La famille actuelle pose ses problématiques et la famille ancienne est devenue maintenant une chimère». Plus franc et réaliste, le psychologue jette un pavé dans la mare en déclarant : «Il faudrait aussi cesser de culpabiliser les enfants qui mettent leurs parents dans des maisons d'accueil. Ce n'est pas évident. Il faudrait aussi que nos vieux comprennent que les jeunes ont leur vie. C'est pourquoi il faut avoir de nouveaux rapports vieux/enfants et poser une nouvelle problématique et intégrer les choses d'une façon plus juste». AIDANTS, AUXILIAIRES DE VIE, GERIATRES, DES METIERS RARES DANS NOTRE PAYS «Blad khalia», pays déserté. C'est ainsi que le sociologue Mohamed Mebtoul a décrit ce que pensent les personnes âgées de leur situation. Il estime, pour sa part, qu'il y a «un problème de reconnaissance de ces personnes âgées. Est-ce qu'on les reconnaît institutionnellement, socialement, financièrement et économiquement ? A travers ces questions, on peut poser une autre question. Comment, aujourd'hui, peut-on reconnaître ces personnes âgées ? Comment on peut les considérer et leur donner une dignité ? Dignité sanitaire et dignité humaine. Quelqu'un qui a travaillé 32 ans a toute une histoire derrière lui. Si toute cette mémoire disparaît. Si on le laisse dans l'anonymat le plus total, on ne le reconnaît pas. Si après tout ce parcours, il touche 13.000 DA, est-ce qu'il peut vieillir convenablement ? Donc, il y a une perte de l'estime de soi, vis-à-vis de la famille. L'estime de soi, c'est la volonté de vivre. C'est un projet personnel. Nos institutions n'ont pas de projet personnel. Les centres pour personnes âgées sont des centres de gardiennage. Ces personnes âgées sont là pour manger et pour dormir, c'est tout». Pour ce sociologue, l'autre élément de débat est «la nécessaire professionnalisation des aidants. C'est très important. On ne peut pas laisser la famille faire un travail gratuit, invisible et non reconnu. Il est important de l'institutionnaliser, de lui donner un sens important. Maintenant, en France, les aidants sont rémunérés». Evoquant ce volet des aidants, une intervenante qui est médecin a tenu à faire un témoignage fort sur la tâche pénible de ces aidants. Elle dira avec des yeux larmoyants, «c'est de la souffrance. J'ai souffert avec des parents malades et âgés. Cela me coûte de le dire. Je sais que les parents, c'est sacré mais je suis un être humain. J'ai mon père actuellement qui est complètement grabataire, je m'occupe de lui comme on s'occupe d'un bébé. S'il n'y a pas de l'entraide au niveau de la famille, il y a de la souffrance. Il faut non seulement accompagner le sujet âgé mais il faut également accompagner la personne qui s'occupe de lui». Un autre médecin enchaîne dans ce même sujet. Dr Lahouel, spécialisée en médecine physique et d'adaptation, rebondit en insistant sur le problème des aidants. «C'est devenu une priorité. L'Etat algérien, actuellement, a une cécité corticale. Il ne voit pas la réalité parce que sur les fiches d'hospitalisation est mentionné noir sur blanc, garde malades alors que ces derniers ne sont pas reconnus. Il faut qu'ils ouvrent les yeux ou ils enlèvent carrément cette notion d'hospitalisation. Il faut que l'Etat fasse quelque chose pour ces personnes». Elle ajoute, «créer des maisons d'accueil, former des gériatres, je suis d'accord mais il faut absolument qu'il y ait un réseau qui coordonne le travail entre tous les intervenants. Il ne faut pas que chacun travaille tout seul dans son coin». Le président de l'association de gériatrie, Dr Baghli Abdelouahab, a souligné pour sa part que c'est la seule association qui existe. Elle a été créée à Tlemcen et dispose de tous les moyens pour accompagner les personnes âgées et dépendantes. SUR LE PLAN JURIDIQUE, LA PRISE EN CHARGE DES SENIORS EST PARFAITE ET POURTANT Le Dr Abdelaziz Djellal, chargé d'enseignement à la faculté de médecine Paris XIII et ancien directeur d'un centre d'accueil pour personnes âgées dépendantes en France et membre du collectif «Nabni», est formel, sur le plan juridique et textes de loi, les personnes âgées sont très bien prises en charge. «Nous n'avons rien à envier aux autres pays sur ce plan», dira-t-il. Cependant, entre la théorie et la pratique, un chemin s'est creusé. De son expérience dans un centre d'accueil en France, ce médecin estime que «copier un modèle européen pour la prise en charge des personnes âgées en Algérie ne serait pas souhaitable. Chaque société a ses spécificités et ses traditions et rien ne prouve que les modèles d'outre-mer sont réussis». Pour Dr Djellal, quand on ferme la porte d'une maison d'accueil, personne ne sait ce qui se passe dedans. Pareil chez une famille. On fait confiance au personnel soignant. Quelle est donc la solution pour la prise en charge des ces personnes âgées et dépendantes ? «Faut-il institutionnaliser les établissements d'accueil ? Oui, peut-être. Mais comment le faire ? Faut-il créer des centres d'accueil de jour pour les personnes qui ne veulent pas quitter leurs domiciles ?» Il conclut : «Il est nécessaire de créer la fonction de gérontologue. Quelle que soit la structure ou la solution pour la prise en charge des personnes âgées, il faut avoir affaire à des professionnels. On respecte les familles mais les familles avec la meilleure volonté du monde, elles ne sont pas formées contre les accidents qui peuvent surgir». Vieillesse quand tu nous tiens.