En introduction à la conférence de Daho Ould Kablia, ex officier de l'ALN, ancien ministre de l'Intérieur et actuel président du MALG qui avait pour objet : « Les services de renseignement du FLN durant la lutte de libération à Mascara», tenue au lycée Djamel Eddine El Afghani le 20 février 2016 à l'invitation de l'Association des anciens élèves « AALYM ». Avant d'axer son propos sur le rôle joué par la cellule FLN spécialisée dans le renseignement et constituée par des policiers de cette ville, l'orateur a « planté le décor » de cette action majeure en faisant un long développement sur le mouvement qui a permis l'éveil des consciences contre l'asservissement colonial et qui a évolué de révoltes en résistances ininterrompues, depuis la défaite de l'Emir Abdelkader après 17 années de résistance. La cause devait-il préciser, réside historiquement dans l'absence d'un mouvement national de résistance structuré et unifié sur l'ensemble du territoire, qui ne verra le jour qu'au XXème siècle avec la création, en 1919 par l'Emir Khaled, petit fils de l'Emir Abdelkader, du parti « le jeune algérien ». Ce parti s'était donné pour objectifs : de ranimer le sentiment national et d'exiger l'abolition du système colonial. Les idées qu'il développait notamment dans ses correspondances aux grands de ce monde (le Président des Etats Unis Wilson par exemple), furent jugées attentatoires à la sureté de l'Etat colonial. Le parti fût ainsi dissous, son Président arrêté puis exilé à Damas une année plus tard. EVOLUTION DU SENTIMENT NATIONAL À MASCARA ! Il faut rappeler qu'en 1935, MESSALI et ses camarades décidèrent de créer des sections de l'Etoile Nord Africaine en Algérie. Trois sections ont été installées à Alger, Constantine et Tlemcen. Mascara eut son premier représentant en la personne de Djaker Ali qui avait des attaches à Tlemcen pour y avoir fait ses études. Il recruta des adhérents et s'occupa de la diffusion de son journal « El Oumma » dont il confia la charge à de jeunes militants : Mustapha Stambouli ** et Baghdad Boumediène. L'Etoile Nord Africaine dont l'essor et les idées anticolonialistes inquiétèrent le gouvernement français à un point tel qu'il procéda à sa dissolution une année après sa création en France dans les milieux de l'émigration algérienne, en 1937. La même année Messali et ses amis créèrent le Parti du Peuple Algérien (PPA), avec le même encadrement et la même plateforme politique, à savoir : le recouvrement de la souveraineté nationale. Il s'attacha dans le même temps à viser l'implantation du PPA dans tout le territoire national. Ce fût chose faite en 1939 avec le découpage de l'Algérie en onze wilayas. C'est ainsi que se dessiner la place et le rôle qu'allait jouer Mascara et sa région sur l'échiquier national pour l'implantation du parti nationaliste naissant. La wilaya de Mascara dirigée par Mustapha Stambouli rayonnait sur trois daïrates Mascara, Saida et Béchar. La Daïra de Mascara coiffait les kasmas de Mascara, Palikao (actuelle Tighennif), Perrégaux (actuelle Mohammedia) et Relizane. La liberté d'action qu'avait le PPA allait se restreindre, lorsque ce parti ordonna à l'ensemble de ses militants de manifester publiquement et pacifiquement le 8 mai 1945, jour de la commémoration de la victoire des alliés sur l'Allemagne nazie. Mascara a pris part à ses manifestations par une marche et un sit-in devant le monument aux morts, place de l'église. Les militants se démasquèrent en masse et nombre d'entre eux furent arrêtés. Mustapha Stambouli fût assigné à résidence à Mécheria pendant deux mois. Le PPA privé de ses principaux dirigeants emprisonnés, exilés ou assignés à résidence, allait survivre dans un climat de suspicion et d'intimidation et partout ses militants à la base appelaient à la mobilisation et à la vengeance. C'est dans cet état d'esprit que le comité central décida en 1947, de créer l'organisation secrète, «l'OS» chargée de préparer l'action armée. Pendant ce temps, le PPA, soucieux de protéger cette structure clandestine indispensable à la reprise du vrai combat militant, décida de son autodissolution en 1948, pour le remplacer par un nouveau parti, le MTLD. À Mascara, ce sont les militants les moins connus des services de police qui furent choisis pour constituer les premiers embryons de l'organisation secrète. UNE CELLULE FLN AU CUR DU DISPOSITIF POLICIER ! Dans le développement de cette activité à Mascara, l'orateur a rappelé quelques hauts faits significatifs dans le domaine de l'organisation, de la diffusion des notes d'ordre et instructions pour la mobilisation des masses, pour assurer la logistique et pour organiser et développer, les liaisons et le renseignement nécessaires au travail militant. Sur ce dernier point en particulier, « Mascara peut se flatter d'avoir eu, pendant la guerre de libération, un instrument unique en son genre, puisque les dirigeants locaux du FLN ont pu bénéficier du concours de plus d'une vingtaine de policiers, de sous-brigadiers et brigadiers, qui tout en accomplissant leur mission de renseignement au service du Front de Libération Nationale, ont vidé le service de police coloniale, tel un ver dans le fruit, de sa substance essentielle, à savoir sa capacité opérationnelle dans ses tentatives de poursuites et de répression des militantes et militants nationalistes ». Nous avons appris ce jour là, que ces hommes valeureux, dont on parle si peu, pour ne pas dire ces oubliés de l'histoire de notre révolution ont apporté un soutien inestimable à l'action de l'organisation au niveau local tant en milieu urbain que rural. Alors oui ! Les pendules de l'histoire vraie pour tout au moins cet aspect des moins connus, ont été remises à l'heure, au regard du combat de ces braves et ces justes à l'instar de bien d'autres dans la région et ailleurs dans notre vaste pays, qui ont représenté deux années durant, le symbole du courage et de l'engagement, et ce n'est que justice. Quel honneur et quelle fierté pour nous, que cela soit dit haut et fort, face à un auditoire attentif, composé des membres des familles de ces héros, de hauts cadres de la nation militants de la cause nationale et membres actifs du MALG, et surtout, d'un nombre impressionnant d'élèves filles et garçons qui ont marqué ce jour là, leur intérêt pour un aspect important de l'histoire de leur pays. Ces policiers algériens de la police d'Etat, en service à Bab-Ali, et en fils de ce quartier baigné par l'entente et la concorde entre les familles ne voyaient rien, n'entendaient rien et par conséquent, ne se rendaient compte de rien. Cela préfigurait déjà de leur engagement précoce et de leur haute conscience nationale, alors que le FLN dès son implantation avait inscrit parmi ses priorités, la mise en place d'un service de renseignement en mesure de fournir à l'organisation les informations indispensables à sa protection et/ou à la réalisation des actions politiques et/ou militaires de ses militantes et de ses militants. Le fait nouveau, par rapport aux informations approximatives, vient de l'engagement spontané et volontaire du brigadier de police Senouci Habib qui se mit en devoir d'apporter aux responsables du FLN, son concours et celui de quelques uns de ses collègues, comme Mohamed Lakehal, Belgour Hamza et Berkane Arezki. Ces deux derniers prirent le pari d'élargir ce concours au plus grand nombre de policiers algériens, nous apprend, Daho Ould Kablia. Le réseau avait après cela, les mains libres pour une acticité soutenue de renseignement au profit du FLN et de coordination en matière de liaison et d'appui administratif. À cette fin, ils obtinrent le concours de deux agents de la sous-préfecture, un agent de mairie pour les faux papiers, un auxiliaire de justice, un gardien de prison, un sous-officier de l'armée française en garnison à Mascara, et de deux commerçants (boite postale). À la fin novembre 1956, Senouci Habib fit part à Mekkaoui Mamoun de l'arrivée d'une note du SRPG d'Alger du 13 novembre signalant que la nommée Ould Kablia Zoubida faisait l'objet d'un avis de recherche pour appartenance à un réseau de soutien aux « terroristes » FLN à Alger. L'intéressée informée, se mit en « veilleuse » avant de rejoindre début janvier 1957, le maquis. Le deuxième exemple est lié à l'arrestation d'un militant le 7 mars 1957 lors d'un barrage inopiné à la sortie de la ville alors qu'il transportait dans la malle, des effets et du ravitaillement destinés au maquis. Transféré au commissariat central pour les besoins de l'enquête Belgour Hamza présent à l'interrogatoire, a demandé à son frère d'alerter immédiatement Lakehal Mohamed et Ghezzar H'mida pour intervention. Lakehal a pu faire toucher Mekkioui Mamoun qui se mit aussitôt à l'abri, tandis que Ghezzar chef du centre de transmissions de la sous-préfecture et titulaire de ce fait d'un laisser passer permanent se rendit en pleine nuit pour avertir Allab Daho, notre grand « matheux » qui a été après l'indépendance, à la tête de l'institut nucléaire d'Alger. C'est dire que le travail minutieux et militant de nos braves policiers qui faisaient notre admiration quand on les voyait rentrer chez eux à Bab-Ali ou Douar Essbais, sans que nous les jeunes de l'époque n'étions pas au courant de leur activité militante. À la suite d'un accrochage dans la région d'El-Bordj au cours duquel un moudjahid a été abattu, des documents ont été découverts en sa possession, ce qui a abouti au démantèlement en avril 1958 de la cellule. Senouci Habib et Lakehal Mohamed rejoignirent le maquis, Hamza Belgour et Berkane Arezki furent interpellés, ainsi que le reste du réseau. CE QUE LES JEUNES GENERATIONS DOIVENT RETENIR ! Daho Ould Kablia entouré de ses compagnons militants de la cause nationale et ceux de la génération d'après a voulu s'adresser à tous ces jeunes esprits en grand nombre ce jour là , qui n'ont pas connu les affres qu'a vécu le peuple algérien au cours de sa glorieuse lutte de libération nationale, ses douleurs et ses sacrifices pour recouvrer ce dont il avait été privé durant plus d'un siècle, sa liberté et sa dignité. S'il l'a fait en véritable pédagogue, sachant l'importance de l'investissement sur la ressource humaine, c'est qu'il sait que ces jeunes lycéennes et lycéens vivent dans un contexte particulier, celui d'une époque marquée par une globalisation menée à la hussarde par les puissances de l'argent pour diviser, affaiblir et désinformer les peuples, ces armes redoutables aux finalités cachées et savamment enrobées par des pseudos idéaux de droits de l'homme et de démocratie, vendus à des peuples manipulés et peu conscients de leurs intérêts nationaux présents et futurs (cf. les «printemps arabes»). Cette machine qui façonne et formate le monde d'aujourd'hui, et plus de demain, ne laisse aucune place aux identités nationales et à l'initiative des peuples en tant qu'acteurs de leur histoire. Les élèves du lycée Djamel Eddine el Afghani, qui visiblement en voulaient plus ce jour là, utilisent bien évidemment, internet et tous les réseaux sociaux en plus des médias audiovisuels. Ils sont les enfants d'un « monde-village » où les distances se raccourcissent, où les savoirs sont de plus en plus accessibles grâce aux connaissances et aux réflexions disponibles en ligne, et en « pâte malléable » pas très au fait de l'histoire de leur pays, ils sont bombardés par les médias, d'informations et de versions en tout genre, fausses, grossières et manipulatrices, car inhibant toute réflexion et esprit critique pour qui a appris à lire entre les lignes. Alors oui, il fallait ce jour là, qu'une voix autorisée leur fasse la démonstration par des faits historiques puisés dans une lutte séculaire, que l'Algérie n'a pas été cédée en cadeau aux algériens par De Gaulle comme souvent répété, et qu'elle a acquis son indépendance à la suite d'une longue lutte faite de sédimentations de sacrifices humains et matériels, de répressions sanglantes, d'exil et de malheurs sur plus d'un siècle. Oui ! C'est bien heureux et fort à propos que le Moudjahid Ould Kablia ait parlé à titre d'exemple parmi bien d'autres, de la grande révolte des Béni-Chougrane en 1914, en réaction à la décision de l'administration coloniale d'imposer la conscription obligatoire des musulmans dans l'armée française, pour faire face au péril allemand. Cette action insurrectionnelle a été réprimée avec une grande férocité. À côté des morts sur le champ de bataille, les personnes arrêtées ont fait l'objet de trois condamnations à mort et de dizaines de bannissements et de déportations vers Cayenne et la Nouvelle Calédonie dans les lointaines colonies françaises, sans parler bien sûr, de la destruction des mechtas, du pillage des cultures et des saisies de bétail. Mais n'oublions pas aussi de remémorer Bouziane El Kalai, ce révolté contre l'ordre colonial que la France a guillotiné, ce digne fils des Béni-Chougrane, bastion séculaire de la résistance à l'occupant dans la région ! C'est dire que la France dite «civilisatrice» a été impitoyable avec nous, et notre indépendance n'est que méritée, puisqu'étant le fruit de très longs et durs sacrifices et combats ! Et si ces jeunes lycéennes et lycéens ont eu un échantillon de ce qu'est le sacrifice et la grandeur de l'Algérie éternelle, ils doivent être sensibilisés par rapport à ce que leur ramène facebook sur l'histoire de l'Algérie ! Alors oui, mille fois merci pour l'orateur qui a soulevé dans le calme, et la pesanteur du poids de sa sagesse légendaire, un lièvre, celui d'une histoire falsifiée par défaut d'argumentaires apportés à nos jeunes apprenants. Que ce soit par la vérité historique ou par toute autre science, ils ont plus que jamais besoin d'aiguiser le sens de la vérité et de leur esprit critique pour ne pas tomber sous l'emprise de l'irrationnel. Tous ces élèves, si fragiles, de quels critères disposent-ils pour démêler entre ce qui est vrai, douteux et faux ? Alors oui, nous sommes là au cœur du défi de l'école. C'est dire, que la maison Algérie est à revisiter et à restaurer au plus vite, si l'on ne veut pas que la France réclame à son tour la repentance à nos enfants, ignorants de leur histoire, globalisation et esprit de soumission des peuples obligent ! C'est là, une question majeure qui touche à notre identité de nation menacée dans son existence, et l'éducation nationale se doit de s'en saisir, en revisitant ses programmes et en développant l'esprit d'éveil chez nos enfants. Pour la France coloniale, à la philosophie nourrie par les actes ignobles d'une soldatesque sanguinaire, de toutes les insurrections et jusqu'au déclenchement de la révolution du premier novembre 1954, il n'y avait semble t-il de guerre d'Algérie, que dans l'esprit des algériens qui la subissaient dans leur chair ! Pour elle, il ne s'agissait que d'opérations de « maintien de l'ordre » qu'il fallait réprimer énergiquement par la force des baïonnettes, le napalm, la destruction des biens et personnes, les camps de regroupements, les corvées de bois et la torture des militantes et des militants de la cause nationale. C'est là, une vérité que les plus jeunes doivent savoir afin de se prémunir contre l'oubli, l'intox et les médias mensonges. * Professeur ** Né à Mascara le 10 mars 1920, il fréquenta la zaouïa de Sidi-Bouamrane où il apprit le Coran, avant de rejoindre les bancs de l'école primaire. Il rejoint ensuite un collège à Oran puis sera admis au lycée franco-musulman de Tlemcen, où il fait la connaissance de Boualem Baki et de Boualem Bessayaeh, avec lesquels il partagea le même idéal de liberté. Moudjahed de la première heure, il fût un des acteurs du mouvement nationaliste dans la ville de Mascara, après avoir côtoyé les militants du PPA, comme Djaker Ali et Bagdad Boumediène, qui en constituait le noyau. Il fût plusieurs fois incarcéré en tant que militant du MTLD, dont il était le représentant officiel à Constantine. À sa libération en 1950, il rejoint les rangs du FLN et prend part à la première opération armée du douar Ouled- Sidi-Hacène, dans les monts de Béni-Chougrane, un des hauts lieux de la résistance armée de tous les temps. En 1957, il est nommé à la tête de la zone 6 de la wilaya V. En 1958, il est Secrétaire du GPRA. Après l'indépendance, il a été le premier à occuper la fonction de maire à Mascara.