Des troncs d'arbres roulés par les vagues, échoués sur les côtes d'Occident, un bois dur, rouge couleur de braise donnera plus tard son nom «brasil» à cette terre inconnue que l'on confondra longtemps avec le paradis. Pays de cocagne, cette terre immense (8 millions de km2) couverte de forêts, regorgeant de richesses, peuplée de tribus accueillantes qui ignorent tout de l'hiver. Cette image paradisiaque peuplera les rêves des marins portugais, hollandais français, anglais qui se succèdent au cours des siècles sur les plages interminables de Pernambouc, du Maranha ou de «Bahia de todos los santos» (de tous les Saints). Si vous débarquez un jour de carnaval, lorsque toutes les plages de Copacabana chavirent au rythme de la samba, un festival de maillots de bain, de rouges à lèvres, de corps bronzés, de rires éclatants. «Dix-huit kilomètres de femmes nues», résume un célèbre écrivain brésilien, Nelson Rodrigues, en se souvenant des années soixante. La nonchalance, l'hospitalité, l'humour et les chansons des habitants de Rio, les Cariocas, jouent un rôle essentiel dans cette légende. Il faudrait des siècles et des millions de morts pour égratigner la forêt et établir une agriculture qui deviendra la principale richesse du pays. Le sucre, plus que l'or mythique, a fait la fortune des premiers colons. La canne à sucre sera bientôt suivie par le cacao et le café, ou encore le bétail. Tous ces ingrédients transforment le pays en un pays émergent sur qui il faudrait compter avec ses frères du B.R.I.C.S (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Un autre facteur déterminant, c'est le métissage, unique au monde, qui dicte l'absence de racisme. Le merveilleux devient familier et le voyageur est invité à déchiffrer l'exubérance. La nature hostile et généreuse est un sujet d'émerveillement pour les premiers chroniqueurs tels que la Condamine. A cette époque, on situait le paradis quelque part sur la route des Indes. Certes, ils ne rencontrent pas de lac de miel et le pain ne pousse pas sur les arbres, mais la nature est féconde : les fruits abondent, le poisson vient sans effort remplir les filets. La découverte du Brésil est aussi une rencontre historique avec les tribus indiennes qui ont dérivé depuis le détroit de Behring, il y a plus de 40 000 ans. D'origine asiatique, ils ont essaimé tout au long des Amériques. L'esclavage va apporter les bras qui manquent au pays, les colons par petits groupes, fuyant la pauvreté et l'inquisition, complète la gamme opérationnelle. La mémoire du Brésil est dans la peau de ses occupants depuis les Indiens, les Portugais, les Africains, les Européens, etc. Cela résume la coloration migrante et offre un hymne à la négritude du Brésil. La quintessence du paradis tropical va se conjuguer avec la joie de vivre et en faire un peuple combattant et dominant sa nature. Foin d'arguties historiques ! Pour plonger au cœur du sujet, à savoir le séjour remémoratif auprès de la tribu des Yanomamis, sise au nord du rio Blanco près de la frontière vénézuélienne. Au cours des études anthropologiques, notre professeur en fin de session nous proposa un séjour d'étude sur le terrain. (En plein milieu tribal des Yanomamis). Constat édifiant où l'éthnologie se familiarisa avec une tribu dite «primitive» (peuple perdu dans le temps) Processus du lignage, méthodologie, segmentationn Lévi-Strauss, père du «Triste Tropique», tout y passa sous la direction de notre professeur et de notre guide. Nous étions une dizaine, accroupis, à écouler attentivement, scrutant le silence de la jungle. Seule le cri rauque de l'oiseau noir Kobari rompit le silence de plus en plus pesant. Nous fimes connaissance avec ce peuple farouche où les querelles de jalousie opposent frère à frère. Les généalogies compliquées, passées en revue, tourbillonnaient dans nos têtes sans trop tenir la piste. Alors de la forêt retentirent bruquement des salutations caractéristiques des Yanomamis, amicales et exubérantes : «Yahooo» ; ceci se passait en 1996. Vingt ans après, la réminiscence ressurgit, creuse sa force pour réveiller une curiosité conséquente à cette visite. Quel écart civilisationnel a-t-il façonné son sillon ? A quel degré ont-ils été épargnés par le progrès ? Sont-ils demeurés à l'abri de toute agressions ? Allons sur place pour constater et tirer les conclusions. Le nécessaire d'un viatique de brousse réuni, entassé, mêlé à l'impédimenta spécifique des longues distances (vaccins, pilules, filtres, etc.) et «go» vers la valse des avions en direction du Roraima brésilien. Une carte «Michelin» en dernière minute permettra à l'imagination de gamberger à sa guise. La musique intérieure voltige en son octave supérieure. L'impatience des grands horizons frétille. L'esprit est déjà en goguette pour dénicher l'extra. La poulie fait tourner les idées. La force intérieure est prête à discter le sublimable. De Paris à Rio, le grand écart brise la gangue d'un moi timoré par le banal et l'usure d'un temps espiègle. Aller lézarder le banal, le remplir d'un tantinet d'action, d'un mouvement où l'on peut transmettre l'émerveillement. Coupe avec l'uniformité pour découvrir l'imprévu. Devenir un zappeur territorial, escaladant les chemins escarpés de la «Sierra» mâtiner l'ivresse pour l'alchimie d'un rêve fécond afin de féconder une coulée pulsionnelle du voyage. La délectation est à son comble au regard du pain de sucre, l'image du Christ géant du Corcovado, des belles plages de Coppacabana et d'Ipanema, autant d'images fascinantes qui appartiennent à l'inconscient universel. Rio de Janeiro (de janvier), cette ville qui grimpe à lassaut des falaises et de la forêt est un véritable choc. Rio est une des rares villes au monde qui n'ait pas encore réussi à mettre la nature à la porte», disait Paul Claudel. Bahia de Salvador, aux 365 églises, Recife, Belém, dernier basion de l'écoulement de la borracha (la boule de caoutchouc) sont des villes historiques qui continuent à tenir en haleine les visiteurs. Rio est aussi un miroir déformant : le vrai Brésil qui sétend sur des milliers de kilomètres de terre et poudreuse, présente de multiples visages. L'Amazone, ce poumon du monde, concentre un métissage de population qui présente la palette des couleurs de peaux la plus complète. Le voyageur admire, s'étonne, s'exaspère pour peu à vouloir comprendre l'âme de cet immense pays, dissimulé derrière les rires éclatants, les danses frénétiques, de la musique omniprésente et ce mal étrange et intraduisible que l'on appelle : «saudade». (Un spleen baudelairien en adéquation à leur ressentiment). Sur les rivages du Brésil, les peuples du monde se sont donné rendez-vous dans cet immense melting-pot : Indiens originaires de l'Asie, Européens à la conquête de nouveaux empires, les Africains enrôlés de force dans la colonisation de l'amérique. De Belèm, le bateau populaire vous fait remonter le fleuve Amazone sur toute sa longueur en se sustentant à chaque petit port. Version féérique d'une facette d'un peuple coloré. La vie sur le bateau qui va durer 6 nuits et 5 jours vous replonge déjà dans un microsome social édifiant sur la nature des mœurs. Se balançant sur leur hamac, admirant le coucher de soleil, les voyageurs se délectent en sirotant une noix de coco. Manaus qui doit sa fortune au caoutchouc que les Séringuéros arrachent aux arbres de la forêt en les faisant «saigner». Après l'ère des barons, Manaus qui garde ses deux eaux colorées à la confluence des deux fleuves, périclite, mais garde son fabuleux opéra importé pierre par pierre d'Europe. Sur le Rio Blanco qui va baigner Boa Vista, notre étape semi-finale clôture la traversée. L'équilibre sur la terre rouge est plus ferme. La forêt émet le soir des sons rauques et variés de la jungle avoisinante. Nous allons souffler un tantinet d'exotisme concentré. Le campement des frères Orlando est le verrou où transitent les curieux des Yanomamis. Le SPI (service de la protection des indiens) y veille et vous évalue pour vous accorder moyennant finance les laissez-passer. Après trois jours de marche et de dérive en pirogue côtoyant mangroves et palétuviers, marigots, marécages et lianes. Le silence de certains passages ombragés distille son angoisse et vous alerte contre toute mauvaise rencontre de poissons dangereux. La jungle tend ses appâts mais le guide, avec son bronzage rassurant, vogue en osmose avec son milieu. La sueur froide cessa son manège à la vue d'une vaste clairière dominée par une grande place de terre rouge où trône la grande maison. Un petit fronton nous amortit l'allure pour un débarquement en «terra incognita». Ce qui nous frappe c'est cette grande maison, réunissant hommes, femmes, enfants somnolents sur leurs hamacs. Premier choc : des adultes, iphones en mains, traînent une nuée d'enfants chahutant à qui mieux-mieux pour un tour de jeux. Des sachets de chips et des cannettes de bières jonchent les coins. Des tôles de zinc côtoient les toits de branchages. Des boîtes vidées de leurs médicaments et autres colifichets traînent un peu partout. Il fut un temps où les herbes médicamenteuses étaient la spécialité de la région. Pauvres chamans réduit au chômage. Nous voilà à une autre époque. Flagada ! On s'assoie à l'ombre d'un arbre couleur braise (Brasil) dont le tronc impressionne. Les réflexions longtemps retenues fusent de l'assistance «les peuples primitifs, s'ils sont perdus au sens littéral, sont perdus dans le temps, or le temps est ce dans quoi nous sommes perdus, eux comme nous, chacun par rapport à l'autre. Homo est à la même espèce Sapiens. Il répond à certains besoins et intérêts humains universels. Est-ce le mythe de l'argent ou du matériel sophistiqué (transistor, portable, motos, cannettes, etc.) qui grignote sa place comme le fut auparavant le miroir, la casquettes ou les lunettes solaires ? Ainsi, selon C .L. Strauss, les mythes des peuples primitifs peuvent nous enseigner à mieux comprendre quelques-uns des aspects les plus complexes de notre propre vie intérieure. A cette allure, les mœurs des Yanomamis vont dans quelques siècles nous imiter et nous damer le pion à partir de leur hamac. Hâtons-nous de vivre, l'histoire et l'anthropologie vont s'épuiser et fermer leurs ridelles. *Voyageur