Michel Onfray, auteur de « Penser l'Islam », casse les tabous. Tous les tabous, y compris la compréhension du Coran. Mais sur la Palestine, il redevient un simple propagandiste pro-israélien. Michel Onfray est un philosophe, un intellectuel brillant et prolifique. Il est de tous les combats, sur tous les fronts. Il se dit à la fois juif et athée. Il dénonce la perversité des médias, mais il est sur tous les plateaux. Il aime la confrontation des idées, il se dit libre-penseur, anticonformiste et pourfendeur de tous les dogmatismes et de toutes les idées reçues. Il dénonce tous les extrémismes de droite comme de gauche. Bref, il ne peut laisser indifférent, je dirai même qu'il occupe une place à part dans le débat des idées. Ses écrits sur l'hédonisme et l'athéisme m'ont laissé sur ma faim. J'ai apprécié le style mais l'argumentation ne m'a guère convaincu. Par contre, son livre « Penser l'islam » m'avait, dès sa première présentation, intrigué, surpris, voire interpellé: voilà un militant de l'athéisme qui proclame avoir lu le Coran, la Sira et les hadiths, et s'engager dans une profonde réflexion sur l'islam du 21è siècle ! Je n'épiloguerai pas sur le titre « Penser l'islam » que je trouve quelque peu prétentieux et irrévérencieux : penser ou repenser l'islam ? J'aurais préféré le 2è terme qui laisse au moins une place à tous ceux qui, avant Onfray, ont produit une somme considérable de travaux théologiques, philosophiques, historiques, anthropologiques et socio-politiques sur le sujet. Mais bon . Que contient cet ouvrage ? Onfray pose un diagnostic d'une simplicité biblique : en Occident en général et en France en particulier, le champ cultuel est caractérisé par la chute drastique du nombre de croyants chrétiens et la montée «exponentielle» du nombre de musulmans croyants et pratiquants. Bien que ne représentant en nombre qu'environ de 10% de la population, les musulmans vont constituer à terme, la majorité des croyants en France et occuper en grande partie le champ cultuel ! Ce qui ne sera pas sans conséquences sur le plan social et politique. Contrairement à la droite qui veut résoudre le problème en chassant les musulmans de France, Onfray déclare irréversible l'expansion de la communauté musulmane en France et invite à travailler sur les réformes qui s'imposent pour rendre cette religion soluble dans les principes de la démocratie occidentale et la laïcité. Et il passe à l'action en commençant lui même à étudier les textes sacrés de l'Islam, et à s'engager dans leur analyse et leur critique. L'approche est tout à fait digne du personnage, brillante et sans tabou. Pourtant, à mon humble avis, M. Onfray aune lecture quelque peu textuelle des textes sacrés de l'islam. Il a tendance à placer sur le même niveau les versets coraniques et les propos controversés de la Sira et du hadith, et oublie leur contextualisation (comme le font si brillamment J. Chabbi (1) et Mahmoud Hussein (2). Il aboutit à une interprétation relativement simple : il y a dans ces écrits, surtout dans le Coran, des propos qui en appellent à la raison, la sagesse et la tolérance, et d'autres qui incitent à la violence, la guerre, l'homophobie et la misogynie. Selon la lecture que l'on fait du Coran, on peut être musulman sage et tolérant ou extrémiste violent susceptible de basculer dans la barbarie et le terrorisme. Pour en finir avec cette contradiction et promouvoir une religion de paix et de progrès, Onfray en appelle ainsi à la réforme du texte sacré pour en expurger les éléments « négatifs ». Il s'appuie, pour rendre possible cette re-lecture, sur les thèses de l'école mutazilite, qui a affirmé au IX° siècle, sous le règne du calife El Mamoune, que le Coran est un texte créé et non incréé, c'est à dire une œuvre humaine susceptible de critique et d'amendement, et non un texte incréé, œuvre d'essence divine donc intouchable. MensongesIl ne dit pas par qui et comment parvenir à une telle monumentale réforme, mais sa proposition interpelle et mérite l'attention. Jusque-là, que l'on soit pour ou contre, on ne peut qu'admettre que le travail effectué par M. Onfray est lucide et courageux. Malheureusement, cette lucidité et ce courage s'arrêtent là où commence la question israélo-palestinienne ! En effet, en réponse à une question relative à ce sujet, voici sa réponse, (p. 102-103) : « Certes, la création de l'Etat d'Israël n'est pas allée sans d'incontestables expropriations infligées au peuple palestinien, mais ce peuple payait, hélas, la politique de collaboration avec Hitler menée par le grand mufti de Jérusalem, hadj Amin Al-Husseini (sic). En effet, cet homme qui prétendait descendre du prophète approuve le régime d'Hitler dès 1933, il rencontre le dictateur de Berlin qui l'élève au rang d' « Aryen d'honneur », il prêche en faveur du national-socialisme dans l'unique mosquée de Berlin ; il déclare : « les principes de l'islam et ceux du nazisme présentent de remarquables ressemblances, en particulier dans l'affirmation de la valeur du combat et de la fraternité des armes » il contribue à mobiliser les musulmans pour lutter dans les divisions SS ( .), il visite les camps de concentration, mis au courant de la solution finale, il souhaite qu'on extermine également les enfants juifs ( ), Leila Chahid, sa petite nièce, a représenté jusqu'en mars 2015 l'Autorité palestinienne auprès de l'Union européenne, autorité actuellement dirigée par Mahmoud Abbas, auteur d'une thèse révisionniste soutenue en URSS en 1962». Monstrueux ! Autrement dit, les Palestiniens n'ont que ce qu'ils méritent ! Ils payent naturellement la faute originelle commise par ce fameux grand mufti que tout le monde a oublié, mais que M. Onfray sort des poubelles de l'histoire. Le peuple palestinien n'a plus qu'à purger sa peine et s'effacer de l'Histoire. Ses représentants, voire son président, sont complices d'une manière ou d'un autre de la folie de cet homme. Voilà comment ce grand philosophe, pourfendeur de l'injustice, de la violence et de l'intolérance justifie, toute honte bue, une des plus grandes injustices de tous les temps, et prononce sans l'once d'une hésitation la punition collective de tout un peuple, parce que M. Husseini, grand mufti s'est déclaré solidaire de l'Allemagne nazie. Comment devrait-on punir tous les peuples, dont les dirigeants ont collaborés non pas seulement par le verbe, mais par le fer et le feu avec les Nazis ?? Que faire aux Français, par exemple, après la honte de Pétain ? Du peuple espagnol après Franco, des Italiens sous Mussolini et du peuple japonais sous Hiro-Hito ? Comment un philosophe prétendument éclairé peut-il accoucher d'une telle monstruosité ? Même les fondateurs d'Israël n'ont pas osé descendre aussi bas dans leur argumentation au vol d'une terre qui ne leur a jamais appartenu (voir l'ouvrage de Shomo Sand : comment le peule juif a été inventé (3). Husseini, histoire d'un muphti Mais, qui est ce fameux grand mufti dont l'action voue définitivement le peuple palestinien aux gémonies ? L'histoire de mufti Husseini est indissociable de celle de Jérusalem (**). Au 17° siècle, sous l'empire ottoman, Jérusalem est la capitale de la Palestine, placée sous le gouvernorat de Damas. Son administration est particulièrement compliquée du fait de la présence des lieux saints des trois religions monothéistes : Mosquée d'El-Aksa, Mur des lamentations et l'église du Saint-Sépulcre en particulier. La ville est administrée par un cadi, mais des missions symboliques sont confiées aux grandes familles de la cité. Ces familles héritent de ces privilèges en raison de leur essence chérifienne, c'est à dire descendantes du prophète. Ainsi les Nusseibeh étaient gardiens de l'église, les Dajani contrôlaient le tombeau de David, les Khalidi géraient les tribunaux de la charia ; les Abou Ghosh, guerriers, gardaient la route des pèlerins. Le poids religieux et politique de ses familles dépendait de leur proximité par rapport à la lignée du prophète : c'est ainsi que les Husseini, qui descendraient de Hussein (d'où leur nom), petit-fils du prophète, occupent la fonction de Naquib al-Ashraf, faisant d'eux les dépositaires d'une autorité religieuse et politique supérieure à celles de toutes les autres familles (4). Toutes ces fonctions honorifiques et symboliques étaient héréditaires, certaines d'entre-elles se sont poursuivies jusqu'en 1948 !! Le nom des Husseini deviendra prestigieux en 1702, lorsque les paysans palestiniens se révoltent contre le gouverneur ottoman. S'ensuit une répression féroce qui les amène dans leur fuite à Jérusalem. Le cadi leur ouvre les portes, la ville entre en rébellion, Mohammed ibn Moustafa al-Husseini en prend la tête, assumant ses responsabilités de Naquib et s'inscrivant dans l'histoire de la lutte arabe contre l'occupant turc. Husseini fut fait prisonnier et décapité, son clan est destitué et se perdra dans l'histoire. Les Ottomans vont nommer un nouveau naquib en la personne de Abdelatif Al-Ghudayya dont la famille finit par changer de nom pour reprendre celui plus prestigieux des Husseini ! Il faudra attendre le résultat des travaux récents de Adel Manna (5) pour apprendre comment les Ghudayya avaient usurpé l'identité des Husseini. Après cet épisode, les Arabes de Jérusalem tisseront des liens assez conflictuels avec l'occupant ottoman et tenteront vaille que vaille de garantir un tant soi peu de sécurité dans une ville secouée régulièrement pas des combats entre clans rivaux de toute nature. Cette situation durera jusqu'au début du 20° siècle. La rupture Sykes-Picot Manipulés par Laurence d'Arabie, les Arabes s'engagent aux côtés des troupes anglo-françaises dans leur guerre contre les Turcs pendant la Première Guerre mondiale. Ils veulent en finir avec l'occupation ottomane. Les Arabes de Jérusalem, sous l'autorité du Mufti EL-Husseini, rejoindront les troupes dirigées par le Hachémite Fayçal, auquel la France et la Grande-Bretagne promettent, en cas de victoire sur les Ottomans, la création d'un royaume arabe avec comme capitale Damas. La suite est malheureusement connue : pendant que les troupes arabes combattaient leurs coreligionnaires ottomans, étaient signés à Londres les accords de Sykes-Picot, partageant le Moyen-Orient entre les Anglais et les Français et installant le « foyer national juif » en Palestine. Lorsque Fayçal, au terme de la victoire sur les Ottomans, se présentera à Damas pour prendre possession de son royaume, il sera accueilli à coups de canon par l'armée française ! Les troupes arabes n'ont plus qu'à rentrer chez elles. Elles passent du joug ottoman à celui anglo-français, et les grandes familles de Jérusalem assisteront, impuissantes, à la dépossession des Palestiniens de leur terres par les sionistes installés par la Grande-Bretagne. Cette trahison ne sera jamais oubliée par les Arabes, particulièrement par ces grandes familles palestiniennes. La blessure est profonde, le préjudice est incommensurable. Pour le grand mufti de Jérusalem, évoqué par Onfray, ce déshonneur doit être vengé. Au lieu de s'inscrire dans la lutte menée par les mouvements progressistes arabes, Husseini, en dépit des leçons du passé, croit naïvement que l'Allemagne nazie va le soutenir dans ses revendications politiques et mettre fin à la colonisation juive de la Palestine. Il part du postulat simpliste que l'ennemi de mon ennemi est mon ami ! Voilà comment le grand mufti de Jérusalem se rendra en Allemagne, très probablement manipulé par les services allemands qui lui promettent le soutien du nazisme au rétablissement des Arabes dans leur droit sur leurs terres. Ecœuré par la trahison et le mépris des Anglo-Français, il se laisse entraîner par les idées fascistes de l'Allemagne nazie. Un classique : derrière le philosophe, le propagandiste. Cette affaire ne connaîtra aucun lendemain et le grand mufti tombera dans l'oubli. Il n'y aura qu'un Michel Onfray pour aller la déterrer et en faire son «argument» pour justifier l'injustifiable ! Voilà comment on peut perdre son âme à vouloir défendre l'indéfendable, en usant d'arguments fallacieux et en tordant le cou à l'Histoire. Comment, après une telle ignominie, les musulmans de France et d'ailleurs pourraient-ils encore faire confiance à Michel Onfray et participer à «Penser l'islam » avec lui ? Comment ne pas croire tout simplement que derrière ce discours a priori ouvert et cette invite à la réflexion positive pour un islam moderne, délesté de ses archaïsmes, se cache des intentions bien plus pernicieuses ? Comment ne pas croire à une vulgaire manipulation visant à «démontrer» que c'est l'aspect violent, homophobe, misogyne et dogmatique qui domine cette religion, en définitive non réformable, donc insoluble dans la démocratie ? L'intelligentsia universelle, musulmane ou non, arabe ou non, capable d'engager un débat ouvert, sincère et sans tabou sur la religion musulmane et son impact sur le devenir des sociétés à dominance religieuse musulmane, reste à inventer ! *Docteur en médecine, ancien professeur à la faculté d'Alger Notes : *Michel Onfray : Penser l'islam. Ed Grasset 2016 ** L'une des étymologies de « Jérusalem » vient du hébreu qui signifie « la ville des deux paix », faisant référence métaphorique à la « paix céleste » promise par les prophètes et la « paix terrestre » promise par ceux qui l'on gouverné et à laquelle j'espérai que M. Onfray y participe par son ouvrage ! 1- J. Chabbi, le coran décrypté,. Bibliothèque de culture religieuse. Fayard 2- Mahmoud Hussein, Al-Sîra, le prophète de l'islam raconté par ses compagnons. Tome 1 et 2. Grasset 3- Shlomo Sand. Comment le peuple juif fut inventé. Ed FAYARD 4- Simon Sebag MONTEFIORE. Jérusalem, Biographie. Ed Calman-Lévy 5- Adel MANNA : Scholars and notables tracing the Effendia'sHold on power in 18th. Centeryjerusalem. JQ32, automne 2007 (cité par Montéfiore)