Le Quotidien d'Oran poursuit le débat sur le système hospitalo-universitaire avec cette fois-ci le témoignage du Pr. Mustapha Maaoui qui rappelle cette devise : « Obsequium amicos, veritas odium parit » (La complaisance engendre des amis, la vérité engendre la haine. Terence, 190-159 Av J.-C.) Le point de vue du professeur Reggabi qui a fait réagir le professeur Chaoui et, à sa suite, le professeur Djidjelli, doit susciter le débat le plus large possible afin de trouver ensemble, au plus vite, les solutions de sauvetage d'un système, hélas, largement perverti. Voici ma contribution. Je ne reviendrai pas sur la genèse ni l'état des lieux concernant les problèmes de fond. Ils ont été largement abordés par les trois collègues cités plus haut et qui les connaissent mieux que moi puisqu'ils ont côtoyé les instances tutélaires, l'un en tant que doyen, le second en tant que conseiller d'un chef de gouvernement, et le troisième en tant que président du syndicat des professeurs (SNECHU). Je propose pour ma part de citer, de manière pratique, certains dysfonctionnements qui me semblent inacceptables, de les commenter et de proposer par la suite des solutions que j'ai régulièrement proposées dans les espaces où j'ai pu le faire. Transparence des concours Le 10 mars 2014, je présidais une réunion du Comité pédagogique national de Chirurgie, et je me suis adressé de manière informelle à l'assistance en disant à peu-près ceci : « Je viens d'apprendre fortuitement la tenue prochaine d'un concours de chefferie de service et j'ai pris en même temps connaissance de la grille d'évaluation qui circulait « sous le manteau » ( ) le mouvement, le changement, le remplacement constituent le fondement de la vie et il est normal que soit respecté dans la sphère hospitalo-universitaire le principe de l'alternance, mais «il est inélégant de ne point informer certaines personnes qui devaient l'être». En effet, en tant que président du CPN de chirurgie et en tant que chef de service susceptible d'être tiré au sort ou pouvant présenter des candidats, j'aurais dû être informé par les voies officielles par l'une des nombreuses instances qui se veulent être toutes tutélaires. J'avais continué ma harangue envers mes jeunes collègues du CPN en leur demandant, pendant qu'il était encore temps, et pour ne point courir le risque d'être discrédités pour l'avenir, de refuser ce type de concours opaque. J'avais dénoncé le tirage au sort qui relevait, à mes yeux et pour de nombreux collègues, de la clandestinité. J'avais rajouté que «si je trouvais normal que le syndicat soit convié à ce tirage au sort, il était encore plus normal que les CPN soient également de la partie » afin d'assurer plus de transparence et, partant, de crédibilité. Le tirage au sort qui importe le plus à l'humanité est celui de la coupe du monde de football : il est télévisé » ! (Mon auditoire était resté de glace, et pourtant Sepp Blatter n'était pas encore passé aux aveux à l'époque en ce qui concerne la température des boules !) J'avais rappelé les principes d'une grille d'évaluation et souligné l'apport essentiel du jury, par définition souverain. La grille officielle concoctée recelait de nombreuses anomalies. Equité Pour ce concours de chefferie de service, les différents candidats n'allaient pas, cela va de soi, présenter les mêmes atouts. Chacun avait ses points forts : ceux qui avaient une grande expérience de « chefferie intérimaire » devraient en principe avoir plus de points que ceux qui n'ont pas assuré de tâches administratives. En contrepartie, ils risquaient d'être moins bien lotis que ceux qui s'étaient adonnés à la recherche ou s'étaient spécialisés sur une technique particulière. Les candidats qui avaient beaucoup communiqué ça et là en seront récompensés, mais aux détriments certainement de leurs activités en soins de santé publique puisque personne n'a pour le moment le don de l'ubiquité. La grille en question faisait la partie belle à une catégorie qui avait participé à son élaboration ! J'ai terminé mon intervention en rappelant que, au lendemain de l'indépendance de notre pays, le pouvoir politique et l'administration de l'époque avaient eu une tentation clientéliste en proposant aux quelques aînés en place de les adouber comme professeurs «agrégés». La plupart avaient cédé à la tentation et au piège tendu, et quelques turlupins irrévérencieux les avaient qualifiés de professeurs «abrégés». Tous n'étaient cependant pas tombés dans le traquenard, et j'avais alors cité ceux que je connaissais, à savoir Arezki Azi et Amar Bentounsi lesquels, quoique membres de l'ALN, avaient refusé et opté pour la voie noble des concours. Après avoir rappelé que tous ces aînés, quel qu'ait été leur choix, avaient pour circonstances atténuantes pour les premiers, l'euphorie d'un pays durement libéré et l'ignorance d'un système corrupteur qui n'avait pas encore sévi et pour tous le mérite d'avoir monté un système d'enseignement médical dans lequel nous baignons tous. Paix à leurs âmes ! J'ai terminé en demandant à l'auditoire quel serait leur choix actuel par rapport à cet exemple du passé : silence très éloquent. « Carpe Diem ! » Méthodes inadéquates J'ai été tiré (désigné ?) au sort dans un jury pluriel : médecine interne, gastro-entérologie, cardiologie. J'avais en premier lieu eu l'intention de refuser, mais à la suite de longues discussions avec le professeur Kamel Bouzid notamment, qui avait insisté pour que je m'investisse avec les autres collègues de bonne volonté « à veiller au grain et à sauver les meubles ». Je le répète, il y avait des candidats de grande qualité dans la plupart des disciplines et il ne fallait pas que le concours dérape. Avec une feuille de route comme cette satanée grille, c'était une gageure. Le concours a eu lieu. Notre jury a été effrayé par le volume «des connaissances» : des cartons, que dis-je ? des containers de documents relatant le parcours académique de chaque candidat ! Je me consolais en me disant que l'expression «avoir des bagages» venait sans doute de là. Physiquement, il était impossible de contrôler scrupuleusement chaque carton où s'entassaient des centaines de documents «dûment» validés à trois niveaux : le chef de service, le président du CPN et enfin le responsable de l'enseignement post-gradué auprès de monsieur le doyen. Vous imaginez la personne chargée de tamponner tous les jours des dizaines de documents dont on ne sait fichtrement rien ? Pour me consoler encore une fois, je me suis dit que j'étais une espèce de poinçonneur des lilas qui n'avait que le pensum de la chirurgie. Comparé au directeur de la post-graduation qui avait la charge de toutes les disciplines, j'étais relativement un privilégié. Le poids du nombre Le professeur Djidjelli a parlé fort justement du «numerus clausus» qu'on avait grand intérêt à instaurer pour débuter une carrière en médecine. Il cite le chiffre effrayant de 400 nouveaux chefs de service ! Comment ont-ils pu être évalués équitablement ? Où les mettre au travail ? Un élément de réponse est le «numerus clausus» à tous les niveaux, des concours au sens étymologique du terme, régulièrement organisés, afin d'endiguer le tsunami sporadique observé jusque-là, fruit d'une politique circonstancielle. Après les réussites au baccalauréat arrachées selon la technique de la batte de base-ball d'il y a quelques années, remplacées actuellement par le cyber-trafic, le recrutement en médecine est massif. Il suffit d'un peu de patience pour voir arriver le fameux test qui autorise l'inscription dans une des spécialités médicales. Inscrit en première année au tronc commun, il suffit de passer ce cap pour entrevoir un avenir balisé et radieux. Il convient en effet de passer une première session, éventuellement une seconde, voire une troisième (c'est arrivé) pour se retrouver dans un système très original, spécifique à la filière de chirurgie en Algérie : l'examen «classant non sanctionnant», concept ubuesque inventé en Algérie et qui bat en brèche toutes les définitions connues concernant la notion d'examen. Arrivés à ce stade, les étudiants arrivent sans encombre au DEMS, sésame qui leur donne l'autorisation d'exercer la chirurgie. Parfois, même le premier «écueil» de la première année peut être aplani par décision de la «tutelle», toujours avalisée par la «conférence des doyens». Ces derniers, dont personne ne conteste les compétences ou l'intégrité morale, sont malheureusement cooptés au lieu d'être élus par leurs pairs comme cela doit se faire, ce qui limite considérablement leur libre arbitre. Le professeur Regabi par exemple, qui a exprimé des idées si brillantes dans son «cri du cœur» était doyen. Il a été remercié ou poussé à la démission, comme il a été coopté, par le fait du prince, sans explication. Elire les doyens Il y a quelques années, en 2009-10, les résidents, dans un mouvement national de grève générale dont la responsabilité avait été à l'époque unanimement saluée, avaient clairement précisé les motifs de leur action. Parmi ces motifs, il y avait le service civil. Un des arguments avancés était que l'encadrement du territoire national ne devait pas incomber aux seuls médecins, et que considérer «La Santé» sous le seul angle thérapeutique était très réducteur. Ils n'avaient jamais demandé l'aumône d'une dispense d'examen. Pourtant cette année-là, il y a eu les résultats miraculeux de réussite à 100% en première année. L'ensemble des résidents, les bons, sans doute une bonne proportion, et les moins bons n'ont eu qu'à se laisser bercer par la vague «démocratique» pour arriver à bon port : ils sont maintenant chirurgiens, et l'Algérie a inventé le cursus chirurgical pélagique ! Pour le «follow-up» concernant cette promotion, ils sont actuellement en situation de service civil, envoyés un peu partout et en particulier dans le sud du pays, «qui fait partie intégrante du territoire national». Régulièrement, et bien sûr sous les feux des caméras, des délégations de chirurgiens venus du nord du pays viennent, parfois en se croisant et en se bousculant dans le cadre de «parrainages» patriotiques et solidaires, faire le travail que les chirurgiens du service civil auraient pu ou dû faire eux mêmes. Après la chirurgie pélagique, la chirurgie nomade ! Comme ce concept «d'examen classant non sanctionnant» était source de conflit régulièrement dénoncé, et qu'il fallait quand même un moyen d'évaluer l'enseignement (enseignants et enseignés), il y a eu la décision de faire signer par les étudiants qui s'inscrivaient après le test en chirurgie l'engagement qu'ils acceptaient le fait de pouvoir être reçus comme celui d'essuyer un possible échec (Arrêté 709). Cette décision de revenir à un vrai examen qui relève du bon sens le plus élémentaire a pourtant été considérée comme subversive et remise en cause de manière extrêmement suspecte puisqu'elle a été dénoncée par l'incontournable conférence des doyens, prétendument «approuvée» par les présidents des différents Comités pédagogiques nationaux. Le problème est que cette note largement diffusée par la suite était datée avant ladite conférence ! Cette supercherie avait été dénoncée au cours d'une assemblée de la SNECHU en date du 26 mai 2015, et une réunion a eu lieu le 1er juin 2015 pour dissiper le malentendu. A cette occasion, Monsieur le Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique nous avait rassurés en nous affirmant que «la situation de l'Université algérienne n'était pas si mal que ce que l'on prétend ça et là : la preuve, l'Algérie compte trois prix Nobel ! ». Monsieur le ministre n'a cité qu'Albert Camus, et il était parti sans nous préciser s'il s'agissait de Camus de Mondovi ou celui de Cologne. Pour éviter des compromissions gênantes avec l'autorité administrative qui risque, sans garde-fous préalables, d'empiéter sur les plates-bandes de la pédagogie et de l'enseignement, l'élection des doyens est la solution évidente. Internet contre Al Carbone Revenons à nos activités de «président du Comité pédagogique national de Chirurgie» : depuis deux mois, cela sent le concours (quand ? comment ? ) car il y a un défilé de jeunes collègues pour «le cachet». Ne voulant pas pénaliser les postulants qui ont besoin d'entériner cette ritualité, je les ai reçus individuellement comme le veut la déontologie, et j'ai procédé, souvent avec leur concours, encore un, à la tâche sacro-sainte de la validation au cachet humide. J'ai discuté chemin faisant avec chacun des candidats qui reconnaissaient tous l'incongruité de ce procédé. Je devais par exemple inspecter tel ou tel polycopié, déjà cacheté par le chef de service. Il est impossible de vérifier si c'est un travail original et qui a été distribué aux résidents ou alors, à l'époque du «Copier-Coller», d'un vulgaire plagiat. J'ai rappelé, aux plus anciens, sans avoir à le citer tant il était célèbre, le pionnier du plagiat dans la médecine algérienne. Je l'appelais à l'époque «Xeros-Mita» ou encore, allusion à Maspero qu'on rencontrait à l'époque dans nos librairies, «La joie d'écrire ». Le jour où il a eu maille à partir avec l'OMS dont il avait détourné et signé de son nom un travail protégé par la loi, il devint pour moi «Al Carbonne». Mais ce sympathique précurseur de la fraude avait le mérite d'être un cas isolé, et à l'époque déjà, vers les années 70, le professeur Said Bouhelassa, avec qui je discutais d'une des entourloupettes de ce prince de la rapine, trouvait des circonstances atténuantes au fripon, arguant que cette rage de publier à tout prix aurait gagné et se serait exprimée légalement et dignement si une réglementation claire avait balisé et canalisé ce flux d'énergie. J'étais tout à fait d'accord. La solution dans ces cas, pour éviter que ce précurseur n'engendre des émules, se trouve dans les portails informatiques existant dans toutes les universités dignes de ce nom. Un enseignant désireux de produire un polycopié le met en ligne. Ce travail est à la disposition de qui le souhaite, en particulier les résidents, sous le contrôle de tous en matière de qualité et surtout de propriété intellectuelle et enfin, quand l'enseignant devra être à son tour évalué, la recherche en sera facilitée et surtout indiscutable. «Professeur comme tout le monde» Je terminerai en citant deux exemples connus en chirurgie, et qui illustrent la perversion atteinte dans notre corps, malade de sa médecine. Le premier est celui d'une malheureuse résidente, très connue de tous, de la promotion pélagique qui n'a jamais eu à affronter quelque épreuve que ce soit. Cette résidente a été, et c'est la seule, prise dans les mailles réglementaires, qui font qu'elle ne peut accéder à l'échelon supérieur, car son stage pratique n'a pas été validé par le professeur chef d'un service où, en une année, elle a fait une dizaine d'apparitions aussi brèves que furtives. Il a même estimé qu'elle n'était pas médicalement apte pour exercer la chirurgie, et l'ensemble des membres du CPN partagent cet avis. Ce chef de service l'a clairement écrit dans deux rapports transmis au CPN puis aux instances. J'ai personnellement proposé à cette résidente qui fait montre de plus d'assiduité devant mon bureau pour réclamer «ses droits» que dans les services où elle était en poste, de changer de filière, et de trouver une spécialité moins astreignante. Je l'ai proposé également à monsieur le doyen. Mais si je tiens compte des différentes correspondances émanant du ministère, il est possible qu'elle termine par «être professeur comme tout le monde», selon ses dires pleins d'espérance. C'est cette même espérance, belle à voir en ces temps de grande morosité, qui a également inondé quelques-uns de nos collègues et amis lorsque a été créée l'Académie algérienne des sciences. Ne doutant de rien, ces amis qui ont par ailleurs des qualités et des compétences connues et reconnues, mais intoxiqués par les pratiques peu orthodoxes que j'évoque ici, ont décidé de concourir la fleur au fusil. Les membres du prestigieux jury concocté fort judicieusement par nos instances afin de donner plus de crédibilité à l'épreuve, se trouvaient, sous la houlette de Catherine Brechignac, secrétaire perpétuelle de l'académie des sciences françaises, et de tout un impressionnant panel de scientifiques venant des USA, du Royaume-Uni, d'Allemagne dans le bel Hôtel El Djazaïr, dans le patio qui fleurait bon le jasmin. A un moment donné, survint un coup de théâtre qui avait tétanisé nos illustres hôtes : un olibrius fit irruption dans le patio, poussant du pied un carton à la manière de Riadh Mahrez perforant la défense adverse. Angoisse et questions : « What's this ? Qu'est-ce que c'est » ? Et la réponse des accompagnateurs algériens a été : « Ce sont les dossiers des candidats ». Etonnement, soulagement, ordinateur. Madame Catherine Brechignac avait expliqué à son accompagnateur algérien que tout le cursus académique de chaque candidat était tout simplement sur la toile, pour peu qu'il ait pris la peine de communiquer dans des revues indexées. Un portail internet dédié aux publications L'une des propositions est donc de recourir, comme à l'université Houari-Boumediene, aux publications faites dans des revues indexées, livrées à la critique constructive de toute l'élite universitaire. Cela encouragerait la vraie recherche et même si c'est plus ardu, c'est plus motivant et également sans contestation possible. Cela aurait aidé ce sympathique chercheur bien de chez nous qui, dans sa quête du Prix Nobel pour ses travaux sur le «vaccin contre le diabète», a soulevé un immense espoir chez le peuple algérien et les responsables de la santé au plus haut niveau. Tout en rappelant au candidat que le Nobel est attribué à Stockholm et non aux USA, et en attendant cette juste récompense, l'ensemble des équipes de chirurgiens continuent à travailler d'arrache-pied en cas de complications du diabète, et voir leur profil de carrière balisé, du bac au Nobel en passant par les examens et les concours sous le mot d'ordre : classant, non sanctionnant ! *Pr. - Président du Comité pédagogique national de Chirurgie