C'est donc « le » sujet de cette fin de période estivale en France. Il ne s'agit pas des Jeux Olympiques et de leurs breloques. Il ne s'agit pas non plus de l'aggravation de la situation en Syrie, au Yémen, en Irak ou même en Turquie où une (nouvelle) dictature est en train de naître. Il faudra revenir sur ces sujets, mais, pour l'instant et vous l'aurez compris, le thème de la semaine concerne le burkini, cet étrange habit nautique féminin dont le nom vient de la contraction entre burqa et bikini. L'affaire est simple : quelques municipalités ont interdit son port par des baigneuses et l'affaire a vite pris une dimension nationale voire internationale. Les avis quant à cette interdiction sont nombreux et variés. Acte islamophobe, raciste et électoraliste pour les uns, mesure préventive contre l'expansion de l'intégrisme musulman et en défense de la laïcité pour les autres. Les réseaux sociaux s'échauffent, les tribunes qui s'insurgent contre ce « maillot intégral » succèdent à celles qui le défendent ou, du moins, qui ne se font guère d'illusions sur les motivations réelles de ses contempteurs. Gageons que ce vacarme est parti pour durer jusqu'à la fin du mois en attendant un nouveau thème de délire général. Signe de l'inconfort intellectuel que cette situation crée, de nombreux internautes préfèrent opter pour l'humour et le présent chroniqueur a bien failli en faire autant en imaginant le scénario d'un film qui serait tourné à Saint-Tropez et qui s'intitulerait « Le gendarme et les burkinées ». Depuis la première affaire du voile en 1989, les polémiques liées à l'islam se suivent avec une régularité de métronome. Cela fait plus de vingt-cinq ans que ces « débats » sont marqués par l'absence de raison et par l'impossibilité d'obtenir que les discussions, quand elles sont possibles, se déroulent avec un minimum d'intelligence. Et ce manque de rationalité s'est aggravé en raison de la succession d'attentats commis depuis janvier 2015 et de la dégradation du climat sécuritaire dans l'Hexagone. Pour autant, la peur du terrorisme islamiste n'explique pas tout car la France a un problème avec l'islam depuis très longtemps. La visibilité croissante de la pratique de cette religion mais aussi la confusion, sciemment entretenue par une partie de la classe politique et des élites médiatiques, entre la visibilité (et la non-discrétion ) de certaines populations d'origine étrangère et leur confession musulmane (réelle ou supposée) sont à l'origine d'un malaise identitaire évident que l'extrême-droite sait très bien exploiter. La France est-elle toujours la France alors que certains de ses citoyens sont des musulmans ? A cette question, l'extrême-droite répond par la négative tandis que les autres courants politiques majeurs qui ne sont pas loin de penser la même chose - bottent en touche en agitant le concept d'un « islam de France » dont on se demande par qui et comment il sera défini. C'est donc l'acceptation d'une présence musulmane définitive sur le sol français qui est posée avec ce que cela sous-entend comme liens avec le passé colonial. Mais il n'y a pas que cela. Au-delà des grands discours sur la défense des droits de la femme (la nageuse en burkini est ainsi devenue le symbole de l'oppression masculine dans un pays toujours incapable d'assurer l'égalité salariale entre les deux sexes), ce que cette polémique révèle, c'est le refus que des ressortissantes françaises de confession ou de cultures musulmanes puissent se différencier d'avec le reste de leurs compatriotes. Qu'on le veuille ou non, on en revient donc toujours à cette incontournable question de l'assimilation. Une « bonne » française musulmane est-elle une française qui doit absolument ne pas montrer qu'elle est musulmane ? Voire qui, in fine, ne doit plus être musulmane ? Ces deux interrogations risquent de faire pousser des cris d'orfraies mais que celles et ceux qui se mobilisent contre le burkini y réfléchissent avec sincérité (de même, il convient aussi de se demander si c'est le port du burkini qui fait la « vraie » musulmane ). Le burkini provoque les crispations parce qu'il est vu comme une opposition à une assimilation totale. Comme pour le voile ou la burqa, ce qu'une partie de l'opinion publique française n'accepte pas et cela les politiques l'ont très bien compris c'est que les femmes de confession ou de culture musulmane ne s'assimilent pas ou, pour être plus précis, qu'elles ne s'assimilent pas comme cette opinion publique le veut et l'exige. Les hommes, quant à eux, provoquent moins d'états d'âmes. Certes, il y a désormais toutes ces craintes autour des risques de radicalisation mais il y a tout de même moins de crispation et moins de polémiques à leur sujet. Que certains d'entre eux continuent à porter la barbe, à nager avec de longs bermudas qui cachent les genoux, qu'ils se baladent en qamis et savates, cela peut agacer ici et là mais cela risque peu de déboucher sur une polémique comparable à celles qui concernent les femmes. Cela vient de l'un des grands non-dits de la société française. Il y a cette idée ambiante selon laquelle les hommes de confession ou de cultures musulmanes sont « irrécupérables » car peu susceptibles d'être totalement assimilés. Et comme on ne peut rien faire contre cela (un jugement qui se traduit, entre autre, par le peu de cas que l'on fait des jeunes des cités) il est tout de même possible de porter la bataille sur tout ce qui concerne leurs femmes, ces dernières étant supposées être plus facilement assimilables (cette assimilation des femmes est peut-être aussi vue comme le préalable pour convaincre les hommes de faire le même chemin). Dès lors, on comprend pourquoi l'essor du port du voile provoque autant de passions. La seule manière de les apaiser et d'aller de l'avant, serait qu'un débat sérieux soit ouvert à propos de cette exigence, implicite mais ô combien structurante, d'assimilation totale. Mais dans le contexte que l'on sait et au vu de l'indigence de la classe politique française (et de sa clientèle médiatique), il y a peu de chance pour que cela arrive.