Dire que les éleveurs se portent bien en cette période de disette et de vaches maigres, c'est aller vite en besogne puisqu'ils ont dû subir durant plusieurs années consécutives, le dos courbé, les aléas d'une longue période de sécheresse, l'une des plus âpres de leur existence, jamais vécue depuis plus d'une cinquantaine d'années et faire des concessions en cette veille de l'Aïd El-Kebir équivaudrait à leur demander à toucher la lune avec le bout des doigts. Le coût de l'engraissement d'une seule tête d'ovin depuis sa naissance jusqu'à l'âge requis pour son écoulement sur le marché local leur a été une dure épreuve accouplée à la rareté et la cherté de l'aliment du bétail leur faisant voir des vertes et des pas mûres. Surcoût et faillite sur toute la ligne ont été le lot quotidien de ces éleveurs qui s'attendaient à éponger leurs dettes en cette période tant rêvée, qui ont été leurrés par les mises à prix de chaque tête d'ovin le jour de marché aux bestiaux hebdomadaire, véritable bourse du mouton, et c'est dans une fourchette allant de 18.000 à 40.000 DA qu'ont été plafonnés les prix de chaque unité pour chaque brebis et chaque bélier d'un poids n'excédant pas 25 kilogrammes, une chute vertigineuse des prix par rapport à la même période de l'année écoulée. Même les intermédiaires qui autrefois écumaient les lieux en faisant la pluie et le beau temps dans les arènes du marché font profil bas face aux rares acheteurs qui se présentaient et qui ne proposaient que des prix en dessous de ceux escomptés par les éleveurs. Les petites bourses se tournent vers les brebis d'un poids variant entre 12 et 15 kilogrammes, proposées à 18.000 DA, moins chères et plus accessibles, comme si le vent vient de tourner en leur faveur et inverser les rôles et c'est désormais au tour des éleveurs, échaudés par une année de disette, qui doivent impérativement revoir les prix à la baisse et par voie de conséquence casser leurs tirelires pour sauver ce qui peut l'être de leur cheptel encore valide. Il ne faut point jouer des coudes cette année pour l'acquisition du bélier de l'Aïd et ce ne sont pas ses cornes bien fournies qui feront monter les enchères. Affaibli, usé jusqu'à la moelle épinière par cette longue période de sécheresse, l'éleveur est pris dans son propre piège. Il lui faut à tout prix liquider le maximum de têtes, certes à un prix raisonnable pour se préparer à affronter les aléas de la saison automnale prochaine pour assurer l'approvisionnement régulier en aliment du bétail et les détenteurs de ce juteux marché ne leur font point de cadeaux et leur tiennent toute l'année la dragée haute et le salut vient cette fois-ci de ce chef de famille qui paye rubis sur l'ongle. Une aubaine qu'ils ne ont pas près de laisser passer et de l'avis même de dizaines d'éleveurs, rencontrés ce jeudi dernier, jour de marché aux bestiaux, rompus dans l'art de la vente du bétail, de vrais seigneurs de la steppe qui savent de quoi ils parlent, l'heure est grave pour des milliers de petits éleveurs au bord de la ruine, prêts à plier leurs tentes et à rejoindre les petites et grandes agglomérations. Même son de cloche entendu dans le reste des deux autres principaux marchés de Bougtob et d'El-Abiodh Sid Cheikh de la wilaya qui ressemblent de plus en plus à une véritable braderie du mouton. Cela ne veut pas dire pour autant que chaque foyer aura son mouton mais, autres temps autres mœurs, la chute vertigineuse du prix d'un mouton assez gras n'est plus désormais un mirage ou un rêve pour des centaines de chefs de familles lesquels n'auront plus besoin de faire la quête et encore moins de se rendre au mont-de-piété pour récolter la somme nécessaire afin de concrétiser leurs rêves.