Recrudescence des consultations chez les guérisseurs, charlatans et « talebs ». Un malade qui présente des troubles psychiques passe d'abord par ce qui est communément appelé la médecine traditionnelle avant d'arriver chez le médecin spécialiste. Un constat fait par des psychiatres qui mettent en garde et tirent la sonnette d'alarme sur l'ampleur que prend ce phénomène et qui met la santé du malade en péril. Le président de l'association des psychiatres d'Oranie (APO), Abderrahmane Heddadj, rencontré au 35ème congrès franco-maghrébin de psychiatrie, organisé les 13 et 14 octobre à l'hôtel Sheraton par quatre associations de psychiatrie, APO, l'association algérienne des psychiatres d'exercice privé (AAPEP), la société algérienne de psychiatres (SAP) et l'association franco-maghrébine de psychiatrie (AFMP), a expliqué que ce phénomène est devenu le souci majeur des psychiatres du fait que le malade arrive chez le médecin dans un état très avancé de la maladie et par conséquent les chances de la guérison diminuent. Pour ce psychiatre, « le médecin est souvent placé dans le second rôle. On reçoit beaucoup de malades qui ont d'abord consulté des talebs et autres et cela touche toutes les couches sociales qui leur inscrivent des « ordonnances » avec des prescriptions de cure, rokia avec du sérum, une cure de akda Quand ces remèdes ne réussissent pas, ce n'est qu'à ce moment qu'on pense au médecin. Résultat, le diagnostic et la prise en charge ont été retardés de plusieurs mois, voire plusieurs années. Pendant ce temps, l'évolution de la maladie a laissé des séquelles ». Pour lutter contre ce phénomène, les médecins profitent des journées et rencontres scientifiques pour sensibiliser la population sur les répercussions de ces pratiques sur la santé des malades. Mais ce qui est plus grave, souligne le même spécialiste, « est de voir que des chaînes de télévision font la promotion de ce charlatanisme. C'est comme si on est en train de légaliser des pratiques douteuses qui n'ont pas prouvé leur efficacité ». Interrogé sur la pathologie la plus fréquente à laquelle sont confrontés les psychiatres, le président de l'APO enchaîne que de plus en plus de cas de dépression sont enregistrés dans les consultations. Mais le problème, nous confie M. Abderrahmane Heddadj, « la plupart des malades viennent avec une dépression masquée. Les troubles dépressifs ne sont pas rapportés au premier plan. Le malade incombe ces troubles aux autres. C'est toujours la faute des autres, soit c'est un mauvais œil, soit c'est de la sorcellerie, soit c'est de la jalousie Alors que la médecine a évolué et maintenant la dépression est considérée comme un dérèglement neurobiologique. Effectivement, il y a des facteurs extérieurs qui influencent et qui aggravent le tableau, mais la cause et l'origine est neurobiologique ». Quant au professeur Farid Kacha, président du comité scientifique, présent également à cette rencontre, il a confirmé la fuite des psychiatres à l'étranger vu que cette spécialité est demandée en France et l'installation de ces médecins spécialistes est facilitée. Sur la situation des psychiatres en Algérie, il dira qu'il y a « des affectations qui ne sont pas toujours bien faites. Les jeunes psychiatres fraîchement diplômés ne sont pas affectés dans un endroit où ils sont utiles. Très souvent on n'organise pas très bien son travail. Ce qui provoque un flottement et qui encourage ces jeunes médecins à quitter le pays ».