L'ex-rédacteur en chef de «Le Monde», co-fondateur du site en ligne «Médiapart» et écrivain, Edwy Plenel, a dénoncé avec virulence les amalgames et les raccourcis simplistes pour trouver des «boucs émissaires» aux questions sécuritaires et identitaires, sociales et religieuses, en France, et dans le monde en général. En commentant son dernier ouvrage «Un livre pour les musulmans» sur le plateau de la radio algérienne, hier mardi, Plenel affirme qu'il faut, au contraire, «défendre le principe de l'égalité, refuser cette quête du bouc émissaire, qui a été toujours l'argument de ceux qui veulent instaurer des hiérarchies, des civilisations supérieures à d'autres, des religions au-dessus des autres». En dénonçant la colonisation et les drames qu'elle a engendrés en Algérie, Plenel estime que «le déni de liberté par la France a fait que le peuple algérien s'est soulevé au nom de l'égalité.» «Tout d'un coup, un peuple a dit non (à la colonisation), nous défendons l'égalité, et il faut toujours imposer l'égalité», a-t-il dit. Plenel, revenant sur la situation actuelle en France où l'Islam et les musulmans sont pointés du doigt, face au terrorisme, où l'injustice gagne du terrain, estime qu'il y a aujourd'hui un «bouc émissaire pour justifier l'injustice, l'inégalité». «Dans mon pays, la France, le bouc émissaire c'est ce que l'on met derrière le mot Islam. Ce sont les musulmans, pratiquants ou leur histoire familiale, leur origine». «Il y a eu, dans le passé, en Europe, un autre bouc émissaire principal, c'était de désigner les juifs, de faire de l'antisémitisme. De nous habituer à cela», dit-il, avant de souligner qu' «un jour, tout le monde sera frappé, c'est une sorte de cheval de Troie.» Pour Plenel, face à cette dramatique situation, «il faut veiller au respect de l'égalité, des minorités», expliquant qu'il y a eu «une pluralité en Algérie entre arabes et berbères», avant de préconiser qu' «il faut toujours penser au principe de la pluralité, en allant vers l'autre, on découvre cette humanité.» Sur cette logique du «bouc émissaire», Plenel relève «les logiques politiques, comme la catastrophe des néo-conservateurs: les attentats de 2001ont fait que les Etats-Unis ont envahi un pays souverain, l'Irak, qui n'avait aucun lien, ni militaire ni idéologique ou financier (avec les attentats terroristes aux Etats-Unis, Ndlr)». «Nous savons d'où viennent les attentats. Ils viennent d'un mensonge d'Etat, devenu mensonge médiatique et qui a permis aux Etats-Unis, après les attentats de septembre 2001, d'envahir un pays et de détruire son Etat.» Il poursuit que «derrière cette question du bouc émissaire, on fait oublier qu'il y a des gens opprimés, qui vivent de leur travail, qui réclament leur dignité, l'égalité.» «Il faut nous retrouver ensemble, quelle que soit notre couleur de peau ou de croyances, c'est cela la démocratie.» En France, estime t-il, le terrorisme touche, surtout, les musulmans, les Maghrébins, «c'est une honte de désigner une partie de notre peuple, qui est la victime et même à l'échelle mondiale (du terrorisme). A Nice, le quart des victimes sont des musulmans, à Charlie Hebdo, il y avait un policer musulman.» Pour lui, «l'intolérance frappe au plus proche, au plus près, on ne doit pas ajouter de la haine à la haine, de la violence à la violence, et on doit revoir la façon dont les Européens ajoutent au désordre, et faire attention à la fragilité du monde.» Là, il prend exemple de ce qui s'est réellement passé en Libye, accusant l'ex-président français Nicolas Sarkozy d'être derrière la campagne militaire occidentale contre le régime Kadhafi et l'assassinat du leader libyen. «L'intervention en Libye est le fait de Nicolas Sarkozy», a-t-il dit. «Nous sommes dans une civilisation globale, nous sommes, tous, liés les uns aux autres, on doit donc faire attention», a-t-il souligné, avant d'affirmer que «ce qui a été fait en Libye par Sarkozy est pour moi un crime, le rapport des Anglais était un mensonge. Le Parlement britannique n'a pas trouvé les preuves du rapport sur le massacre imminent qui allait se dérouler à Benghazi», et «le mandat des Nations unies a été violé, c'était un mandat humanitaire, mais pas pour renverser un régime, fut-il dictatorial.» Plenel poursuit son réquisitoire contre Sarkozy en affirmant que «cette guerre était une guerre privée, la campagne électorale de Sarkozy, en 2007, a bénéficié d'une promesse de financement de la Libye de 50 millions d'euros. Nous ne pouvons exclure que cette guerre a été menée pour effacer des traces, pour faire taire, comme l'assassinat du ministre de la Défense de Kadhafi à Vienne, car il a parlé des versements qui ont été faits pour la campagne de Sarkozy.» Le coup de grâce est alors asséné par Plenel qui estime que «si notre démocratie fonctionnait, il (Sarkozy) n'irait pas à ces élections, c'est un scandale.» Et «les militaires le savent, on ne fait pas de guerre sans but de la guerre, sinon ce serait sans fin», estime t-il. Il faut ouvrir tous les placards Revenant sur la guerre de Libération, il soutient qu'il ne faut pas «avoir peur» si on essuie des critiques, car pour lui, «c'est une façon de dire au peuple français, qui est issu de la France, qui s'est invité chez les autres, comme les Algériens, ma manière de dire qu'il ne faut pas avoir peur. Mon pays de jeunesse, c'est l'Algérie, il m'a fait ce que je suis. La guerre d'indépendance a façonné mon histoire. C'est normal qu'il y ait des attaques, parce que j'ai porté le doigt là où cela fait mal», souligne t-il, avant de rappeler que durant la guerre de Libération, «il y a eu dans le mouvement algérien des juifs et des Français, qui avaient fait cause commune avec les Algériens. Le mot égalité entre hommes et femmes de toutes les croyances à cette idée de déplacement, d'aller les uns vers les autres». Edwy Plenel, qui se dit «choqué»' quand on dit aux immigrés de «rester chez eux», estime, par ailleurs, qu'il faut être «capable de dénoncer les puissances qui veulent imposer leurs lois et ceux qui veulent empêcher les peuples d'être libres. Nous sommes entrés dans cette relation du lien entre les uns et les autres. Il ne faut pas que la loi internationale soit celle du plus fort, il faut inventer une nouvelle loi internationale, et aucune nation ne doit dicter son sort à une autre, aujourd'hui», explique t-il. Sur la question des archives algériennes, détenues par la France, Edwy Plenel pense qu'il faut que la France «restitue les archives aux Algériens», avant de rappeler que «j'ai parlé de l'idée de vérité et réconciliation: il faut que toutes les archives soient sur la table, il faut qu'on ouvre tous les placards, y compris ceux qui font mal, qui dérangent.» Et puis, «il faut que les historiens algériens et français se rencontrent. Il ne s'agit pas de s'excuser, mais de reconnaître, reconnaître tous les crimes et ne pas faire de hiérarchie entre les crimes, (il faut) vivre avec la mémoire pour inventer un chemin nouveau, cela vaut pour tout le monde.» Plenel affirme, en outre, que «les jeunes Algériens doivent avoir un accès libre à leur histoire», car «il faut accepter de vivre avec son histoire, une histoire qui ne revit pas les drames», estimant que sur la guerre de Libération, «les choses doivent être dites.» Plenel est optimiste pour l'avenir quand il dit que «nous sommes le nouveau monde, nous inventerons nous-mêmes les solutions (aux problèmes d'aujourd'hui). Et, un jour un président français viendra à Alger dire que la colonisation a été une erreur, mais cela nous a permis de nous connaître, et ce que le peuple algérien a appris à l'Humanité en ébranlant la colonisation française, c'est la liberté. J'aurais préféré que mon pays accepte cette liberté, il n'y aurait pas eu tant de drames.» Et il termine son intervention, en relevant, qu' «avec les Croyants, je pense qu'il y a un au-delà pour nous ici-bas, si nous sommes des individus libres, responsables de notre liberté, des citoyens engagés.»