Voilà enfin une idée sérieuse pour Dhayat Morsli, plus connue sous l'appellation de Petit-Lac. Objet d'innombrables études, plus proches de l'académique que du rationaliste, ce périmètre périurbain, mis à mal par son surnom de Sebkha et l'exutoire d'eaux usées d'à-côté, est promis à un bel avenir, à en juger de la pertinence du projet conçu en partenariat avec des Turcs. «Oran tournait le dos à ce lac salé», remarque, au préambule de sa présentation du projet, l'architecte libanais chargé de la mise au point du master-plan du site de Dhayat Morsli, plan d'eau compris. C'est peu dire, en fait. Non seulement la ville tournait le dos, jusque-là, à ce bassin occupant le fond d'une dépression à forte salinité, mais elle était complexée, obnubilée, par son existence, par sa mitoyenneté avec son corps urbain. Comme si ce pan de la nature était un greffon indésirable dont se défendait l'organisme en le rejetant, le rendant du coup inapte à remplir sa fonction. Et il faut, dans le cas de Petit-Lac, prendre le mot rejet dans son sens «hydraulique»: déversement, écoulement, évacuation des eaux usées (ménagères comme industrielles). Bref, mal loti, victime de son existence à l'orée d'une cité en panne d'imagination, mordant sa propre queue, ne voyant pas plus loin que le bout de son nez, Petit-Lac -l'étendue d'eau et non le secteur urbain s'entend- était rejeté, banni, laissé pour compte. Un no man's land. La ville n'osait pas s'approcher d'un iota de ce terrain inconstructible, marécageux, bourbeux, sale et salé, d'air irrespirable. Tout comme la Mactaâ, le lac Télamine, les Salines d'Arzew et Oum Ghellaz, ce site n'avait droit de cité qu'un jour par an, le 2 février, à l'occasion de la célébration à très petite échelle de la Journée planétaire des zones humides, où l'on emmène rituellement des écoliers en excursion pédagogique, sous l'œil veillant des gardes forestiers, pour leur expliquer, sur pièce, la convention de Ramsar. Avec le mince espoir de repérer dans les parages quelques flamants roses, canards sauteurs et autres anatidés, histoire de sortir un peu du stéréotypé des exposés à la Wikepedia. Rien que pour avoir osé déplacer la ligne des faux interdits, casser ce tabou vieux de 54 ans qui consiste à «sacraliser» le lieu dans les tribunes officielles et s'en servir de déversoir derrière le rideau, défaire cet ennuyeux complexe de zone intouchable sous prétexte, plutôt drôle, de zone humide classée Ramsar, lequel prenait en otage la ville et l'amputait de sa jambe saine, rien que pour cela, le projet conçu par les pouvoirs publics locaux, en partenariat avec les Turcs, mérite d'être salué. Bien vivement. «Je me suis inspiré du lac de Créteil, ville où j'ai passé un bon bout de ma vie», souligne l'architecte concepteur de l'étude, qui travaille pour le compte de l'entreprise turque Krep Insat, maître d'ouvrage de ce projet. En effet, on détecte, au fil de l'exposé en vidéo, pas mal de ressemblances, voire similitudes, dans la conception et la conceptualisation, entre le futur site de Dhayat Morsli et le lac de Créteil. Avec cette différence près qu'Oran a son lac gracieusement offert par la nature et les lois de la géomorphologie, alors que pour Paris, département du Val-de-Marne, il fallait construire par soi-même son lac artificiel, en transformant de tout en tout une ancienne carrière de gypse et de gravier, située à la limite de la commune de Créteil et de la butte dite du Mont-Mesly, pour en faire un plan d'eau de 42 hectares et l'une des plus grandes richesses de la ville, un lieu d'échange, d'activité, de loisirs, de découverte et de travail Les Turcs voient grand à Oran C'est la même vocation, et même avec des objectifs bien au-delà, à laquelle aspire Dhayat Morsli, «dont l'avenir du projet est étroitement et affectueusement lié à celui de Petit-Lac», pour reprendre le maître d'œuvre. Le choix de la Grande Mosquée Ibn Badis pour lever le voile sur ce grand projet d'investissement n'est pas fortuit. Certes, la spacieuse et bien appropriée salle de conférences de cette structure y est pour quelque chose, mais c'est surtout le fait que c'est le même opérateur turc ayant donné pleine satisfaction après l'ODS d'achèvement de la réalisation de cette mosquée, sur fond de trente ans de retard, livrant un vrai bijou avec une avance de six mois, qui a été retenu pour la conception du projet de Dhayat Morsli. Le wali d'Oran a tenu à le préciser au moment où le PDG de cette entreprise turque montait sur scène pour présenter à grand trait l'esquisse du projet. En quoi consiste ce dernier ? Un pôle de superficie globale de 50 ha, quatre projets en un. Un business-hôtel de R+4, maximum sur 9 ha, un parc aquatique sur 6 ha, un parc d'attraction sur 7,5 ha et un centre commercial (O'Mall : acronyme de Oran Mall) plus un village marchand à ciel ouvert, dont un supermarché et autres dépendances, ainsi qu'un grand parking. Le schéma directeur du complexe prévoit bien sûr la mise en valeur du lac à travers l'aménagement d'un mini-port de plaisance, de sports aquatiques (voiles, canoë, kayak, glisse ). A l'évidence, cela passe forcément par la dépollution du lac salé, la réalisation d'un jet d'eau pour l'aération des eaux, la mise en place d'une bordure en dur, le pavage des abords, l'installation d'allées et autres passerelles pour piétons, le boisement de l'arrière-plan du lac, etc. L'accessibilité du site a été bien pensée, avec la projection de contre-allée en appoint aux 3ème et 4ème boulevards périphériques et la RN4. Au débat qui a suivi la séance de présentation, le wali a dû préciser que contrairement à ce qu'on a cru comprendre du récit, «il ne s'agit pas, loin s'en faut, d'aménager le site et de supplier ensuite les promoteurs pour qu'ils viennent y investir». «Les investisseurs qui auront à réaliser les différents projets relevant de ce complexe sont déjà connus. Ils y sont déjà affectés. Nous n'avons pas besoin de faire appels à investisseur pour chercher preneurs, ni de campagne de promotion pour remplir l'espace, le site se vend de lui-même». L'inexplicable absence des «nationaux» Il faut dire que la non-présence à cette rencontre des investisseurs partenaires dans ce projet -conviés ou non ?- laissait à penser, pour certains en tout cas, que les îlots n'étaient pas encore affectés. C'est ce qu'a infirmé le wali par sa mise au point, expliquant que les concernés, «tous des nationaux», ne sont pas là «car étant en voyage à l'étranger». Néanmoins, le strict minimum aurait été qu'ils se fassent représenter dans cette importante rencontre censée faire découvrir aux citoyens oranais et à l'opinion publique ce projet structurant et être en même temps une fenêtre d'interaction et de débat. «C'est quand les premiers coups de bull ? », insiste le chef de l'exécutif local auprès des Turcs. «Dans quatre mois», répond le premier responsable de l'étude et conception. «Le temps est notre ennemi. Plus tôt vous commencerez, mieux nous serons rassurés. L'entreprise doit s'installer au plus vite», lui a répliqué M. Zâalane.