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Fillon, l'Islam et la laïcité
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 21 - 12 - 2016

Le livre de Fillon se veut sans ambages : Vaincre le Totalitarisme islamique. Le terme islamiste, largement ressassé, ne suffit plus. Le candidat à la présidence a emboîté le pas à l'ancien Premier ministre qui s'acharnait sur les salafistes car ils feraient le lit du terrorisme religieux.
Mais ce qui est peut-être plus intéressant dans tout cela, c'est cet intérêt particulier à l'Islam. La réponse nous est fournie, dans le livre : il n'existe pas de problème de religion en France, il existe un problème lié à l'Islam.
L'autre raison évidente de cet intérêt est que Fillon est un fervent catholique. «La France est la fille aînée de l'Eglise» ne cesse-t-il d'assommer, dans ses discours. Il faut sauver les chrétiens d'Orient, «une affaire qui interpelle la conscience universelle». Cela fait des années que le débat tourne autour du voile qui menace la laïcité, une écrivaine sur ‘Arte' avait déclaré, il y a quelque mois, que le burkini, qui n'a clairement rien à voir avec les islamistes, était une stratégie de guerre. Aujourd'hui, un candidat à la présidence crie, haut et fort, que la France est la fille aînée de l'Eglise et on n'y voit aucun danger pour les principes de la république et de la laïcité.
Je ne parlerai pas du projet politique de Fillon car ceci dépendra de son analyse et de sa vision. Quelle est sa vision ? Dans son livre, apprend-on, les islamistes d'Egypte détestent les chrétiens parce que ces derniers étaient dans la région avant les musulmans eux-mêmes. D'où la question : d'où viennent les musulmans d'Egypte ? de la Musulmanie? selon le génie de certains. Les musulmans d'Egypte ne sont pas moins Egyptiens que les chrétiens d'Egypte. Les Egyptiens d'antan, chrétiens ou pas, se sont, progressivement, convertis à l'Islam jusqu'à ce qu'ils finirent par constituer la majorité. Fillon ajoute qu'il faut saisir le paradoxe terrible : une Europe pluri-religieuse face à un Moyen-Orient mono-religieux. Ce mal n'est pas nouveau, dit-il, il vient de loin. Il le retrace au XIème siècle de l'école Hanbalite, l'école la plus fondamentaliste et dont le wahhabisme se proclame héritier.
Pour commencer, il n'existe de religion dénuée d'intolérance, ni un système politique qui soit totalement juste ou qui applique à la lettre ce qu'il prétend incarner. Mais si on veut retracer ce mal dans l'histoire, et on en a tellement besoin aujourd'hui, force est de constater, comme le souligne Amin Maalouf, les musulmans, contrairement aux catholiques ont toujours su coexister avec l'autre. Dans son livre « les Identités Meurtrières » Amin Maalouf dit que si ses ancêtres avaient été musulmans dans un pays conquis par les armées chrétiennes, au lieu d'avoir été chrétiens dans un pays conquis par les armées musulmanes, il ne pense pas qu'ils auraient pu continuer à vivre depuis quatorze siècles dans leurs villes et villages, en conservant leur foi. Ce propos fait écho à l'actualité, celui du drame des Yazidis. Comment se fait-il que la communauté des Yazidis, en proie à une violence inouïe de la part de Daech, ait pu continuer à vivre et à conserver sa foi depuis quatorze siècles et que c'est, seulement, aujourd'hui qu'elle se trouve menacée de disparition ? Le problème n'est peut-être pas uniquement religieux.
Il ne s'agit pas de revenir sur l'histoire de ces deux religions ni de disserter sur leurs mérites et leurs crimes respectifs, la citoyenneté a ouvert une nouvelle ère qu'il faut saisir à bras-le-corps. Mais quand Fillon conclut que le bloc européen est pluri-religieux tandis que le Moyen-Orient est mono-religieux, la question est plutôt : comment se fait-il que les rôles se soient inversés ?
Du côté de l'Europe nous avons la réponse: Les Lumières, la République, la citoyenneté sont en grande partie à l'origine du progrès, de la liberté et du vivre-ensemble. Du côté du monde musulman, les origines du déclin ne sont pas encore claires, et moins encore les origines du terrorisme islamiste. Cela est pour dire que la vision de l'auteur est simpliste, voire dangereuse. Il existe un passage clé pour comprendre cette vision, ou peut-être cette campagne électorale.
Fillon rapporte qu'étant en visite en Iran, l'ancien président de la république islamique contesta la présence des juifs en Israël en termes vifs, ce à quoi Fillon répondit : « s'il n'y avait plus de chrétiens au Proche-Orient, parce qu'ils en auraient été chassés, croyez-vous que les peuples européens toléreraient encore des musulmans sur leur continent ?
Par « peuples européens » Fillon veut dire bien sûr chrétiens. C'est parce que l'Europe est chrétienne qu'elle réagira de la sorte. Ceci est grave et dangereux à maints égards. Outre la diversité que couvre le mot christianisme (en l'occurrence, au Moyen-Orient il s'agit de l'Eglise orthodoxe), outre le fait évident que l'Europe n'est plus chrétienne comme elle le fut par le passé, outre le fait qu'il a été interrogé sur les juifs d'Israël et non pas sur les chrétiens, et par-dessus tout qu'en Europe les hommes et les femmes sont tous des citoyens à part entière, qu'ils ont le droit d'avoir ou non une religion et de la pratiquer, dans le respect des autres, ce passage révèle un raisonnement profondément vicieux et dangereux.
Fillon compare une France au sein d'une Europe relativement stable et prospère à un moyen Orient en proie à des déchirements internes, à des guerres civiles, à des bombardements intenses, à des haines abyssales et des vengeances interminables. L'Egypte de Sissi, à laquelle l'Occident livre des armes, massacre les opposants. Des milliers de Frères musulmans ont été tués, parfois à l'intérieur des mosquées. Un grand nombre de musulmans et de chrétiens se sont, ralliés à Sissi, dans les massacres commis contre d'autres Egyptiens musulmans. Des ‘fetwas' ont été décrétées pour légitimer la répression et les massacres. Il est clair que les tensions dans ces régions ne sont pas uniquement d'ordre religieux et qu'ils sont d'une extrême complexité. D'où vient la question cruciale que pose le penseur libanais Georges Corm et dont on doit tenir compte, dans l'analyse de ces conflits. S'agit-il d'un retour ou d'un recours au religieux ? Difficile d'y répondre, une question qui échappe même à celui qui se trouve dans la tourmente de l'extrémisme religieux et de ses pulsions meurtrières.


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