Imaginons la construction d'un centre de formation en terre à Timimoun, le revêtement des sols, des terrasses et autres travaux avec des composants locaux, la région gagnera en emploi, en moyens financiers, en préservation écologique, en protection de l'environnement et en référents identitaires.» La réflexion a été émise par le directeur national de CAPDEL, un programme initié par le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales (MICL), géré par le PNUD et financé par l'Union européenne et le gouvernement algérien. C'est au cours de l'atelier de son lancement à Timimoun, une des dix communes pilotes retenues pour la mise en œuvre de CAPDEL que Mohamed Dahmani, qui est aussi conseiller au MICL, a lancé l'idée d'intégrer l'architecture de terre comme problématique centrale dans les projets devant être lancés sur la base d'une concertation entre les acteurs locaux. «CAPDEL a pour objectif principal le renforcement des capacités des acteurs locaux, notamment les femmes et les jeunes, en vue d'améliorer la participation citoyenne dans la planification locale au service d'une gouvernance communale, concertée, transparente et attentive aux besoins et attentes des citoyens», est-il souligné par ses initiateurs. La planification stratégique devra ainsi reprendre ses pleins droits au niveau local par les effets de la démocratie participative. L'idée n'a rien d'une coquetterie de contingence puisqu'elle a déjà trouvé preneur à Timimoun. La directrice du CAPTERRE l'a recueillie sans hésitation aucune. Il faut dire que l'une des actions du Centre algérien du Patrimoine culturel bâti en terre est «d'assurer toutes les missions d'information et de conseil de nature à promouvoir les architectures de terre ( )». La promotion et le développement des architectures de terre, la directrice du CAPETERRE, Yasmine Terki, en parle avec une grande aisance et surtout avec une forte conviction. La création du CAPTERRE en 2012 par le ministère de la Culture «a été dictée par la volonté de l'Etat de parvenir à sauvegarder les centres historiques algériens bâtis en terre». Méfaits de la colonisation et ignorance des maires . Car, nous dit Yasmine Terki, «en ces temps d'uniformisation de la production architecturale, ces produits de nos cultures constructives locales sont seuls capables de conserver à nos villes leur identité architecturale, en un mot leur algérianité». Le CAPTERRE est donc chargé «à travers la réhabilitation de l'image des architectures de terre» d'assurer, affirme-t-elle, «la promotion et la valorisation du patrimoine culturel bâti en terre et des savoir-faire s'y rapportant avec pour objectif de parvenir à assurer une sauvegarde durable de cette part majeure du patrimoine national». Réhabiliter une construction bâtie en terre, concevoir ou réaliser un édifice contemporain qui utilise le matériau terre, créer ou développer les activités d'une entreprise dans la filière terre, développer des projets d'activité dans le cadre de la conservation du patrimoine bâti en terre ou de la promotion des architectures de terre ( ), «faites-nous appel, notre équipe sera à votre entière disposition pour vous offrir une assistance technique», promet la directrice du CAPTERRE. Elle rappelle que «des opérations de réhabilitation du patrimoine culturel ont été lancées par l'Etat mais pour des édifices qui sont restés vides et c'est tant mieux parce qu'ils se conservent beaucoup plus longtemps». Vides parce que, explique-t-elle, «les populations veulent vivre dans leur temps, il faut donc moderniser le patrimoine culturel». Une tâche qui n'a pas été intégrée par les autorités locales de l'ensemble du pays. La déflagration de l'ensemble des régions en cités-dortoirs ou en habitat en béton, en est la preuve désastreuse. Terki estime ainsi que «si le programme d'éradication de l'habitat précaire a été probant au nord du pays, il pose un problème colossal au sud». Elle en évoque avec amertume les péripéties à Timimoun, commune d'une immense wilaya (Adrar) qui compte près de 295 ksour. Pour réhabiliter leur habitat précaire, les citoyens ont perçu 700.000 dinars que l'Etat a vite revus à la hausse pour les arrondir à un million de dinars. «L'opération d'éradication de l'habitat précaire était entre les mains des maires qui ont décidé de ce qui était précaire et par conséquent de détruire des ksour pour construire des habitations de 40 m2, c'était ça l'exigence faite aux citoyens concernés», dit Terki. Le tout a été réalisé, précise-t-elle, «avec des matériaux classique !».Yasmine Terki retourne à l'histoire pour souligner les méfaits de la colonisation qui, dit-elle, «avait tout fait pour mettre en avant les industries naissantes dans le domaine de la construction». «Si notre patrimoine disparaît, c'en est fini de nous» Elle note que «les autorités coloniales ont interdit l'installation de corporations d'artisans pour briser la chaîne de l'entretien du patrimoine national». A l'indépendance, dit-elle encore, «les décideurs ont opté pour une modernisation du pays construite sur la négation du passé, alors qu'il fallait la bâtir sur nos racines». C'est «comme ça qu'on a plongé dans le mouvement moderne porté par Le Corbusier et autres qui ne pensent leurs projets qu'avec les techniques et matériaux standardisés». Constat amer, «on a négligé de sauver les savoirs et les savoir-faire des métiers multi-millénaires», relève la directrice du CAPTERRE. Les produits locaux ont été dévalorisés et les matériaux de construction classiques ont sévi à grande échelle. L'Etat, «grand constructeur devant l'Eternel» en a été le plus grand bailleur de fonds. Terki remarque à partir de Timimoun que «seules les populations locales les plus pauvres utilisent les matériaux de terre mais très mal parce que justement les savoirs et les savoir-faire ont été perdus». Elle indique que «les Algériens en général pensent que la construction en terre peut fondre sous la pluie mais que le logement en béton permet l'accès à la modernité, faux !». Elle en appelle à la conscience de la collectivité nationale et à l'esprit créatif pour rétablir des vérités. «Il nous fait sauver notre patrimoine, le génie constructeur de notre peuple peut le faire», dit-elle, convaincue. Parce que, pense-t-elle assurée, «après le pétrole, c'est le tourisme qui pourra sauver l'économie nationale, si notre patrimoine disparaît, c'en est fini de nous». Yasmine Terki est persuadée que «notre patrimoine est une force économique en terme de potentiel, mais si on veut le muséifier, les gens ne restent pas !». Elle propose qu'«il nous faut garder notre patrimoine et l'adapter à la modernité». Aujourd'hui, fait-elle savoir, «commencer par l'habitat n'est pas la solution parce que les populations refusent de vivre dans de la terre, il faut en premier réhabiliter l'image des matériaux locaux à des fins de sauvegarde du patrimoine dont une grande partie est privée, il faut donc commencer par convaincre les propriétaires que les matériaux locaux nationaux peuvent répondre à leurs besoins contemporains». Une telle mission revient inévitablement à l'Etat qui doit donner l'exemple. Terki estime ainsi que «l'Etat doit construire ses édifices publics locaux en matériaux locaux. Elle regrette que «la formation dans la construction ne s'est faite à ce jour que pour les matériaux industriels». C'est pour cette raison que l'idée émise par le DNP de CAPDEL et le conseiller du ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales de construire un centre de formation en terre a été bien accueillie par la directrice du CAPTERRE. Le ciment de Lafarge et la démence de la construction «Parallèlement, il faut mettre en place une stratégie d'intégration des matériaux locaux, c'est une question de bon sens», dit-elle. Construire en parpaing dans des régions au climat chaud «c'est de la démence !», s'exclame-t-elle en notant que «les factures d'électricité (subventionnée) sont faramineuses parce que le parpaing est directement lié à la consommation d'énergie». Terki fait savoir que «le remplacement des matériaux industriels par ceux locaux est en évidence un processus très long, il s'étalera sur une ou deux générations, il nous faut peut-être 50 ans de travail pour sauver des dizaines de siècles de patrimoine, mais ce qui est sûr c'est qu'on y gagne culturellement et économiquement». Pour elle «le jeu en vaut la chandelle, il faut y aller». D'autant que «la construction en béton a montré aujourd'hui ces limites», affirme-t-elle. L'industrie produit, dit-elle, «des choses dont l'obsolescence est programmée parce qu'elle n'a pas de limite pour le gain». L'expression «construire en dur» est fausse parce que, explique Terki, «c'est du jetable même si on n'a pas suffisamment de recul pour le constater, mais le patrimoine national culturel a été construit avec des matériaux éternellement recyclables, on peut l'affirmer aujourd'hui». Elle (re) convoque l'histoire pour rappeler que «Houari Boumediene avait nationalisé la production du ciment en 1970, mais un peu plus de 40 ans après, il a fallu un match de football entre l'Algérie et l'Egypte pour que le groupe égyptien Orascom revende des cimenteries algériennes au groupe français Lafarge qui revient ainsi par la fenêtre». Aux responsables qui pensent que l'Algérie produira du ciment jusqu'en être nette exportatrice très prochainement, Terki répond «aucune entreprise nationale ne pourra survivre aux capacités colossales de Lafarge qui en détiendra bientôt le monopole et pourra dicter à l'Etat sa stratégie de construction de l'habitat». C'est pour cela qu'elle est persuadée que «l'Etat doit donner l'exemple et mettre en place une stratégie de construction avec les matériaux locaux, il y va de notre souveraineté nationale». Elle en appelle à «la sensibilisation à cet effet par le ministère de l'Habitat, l'Enseignement supérieur, l'Education nationale et la Formation professionnelle, qu'on travaille progressivement pour l'industrialisation des matériaux locaux». Elle rappelle que «le monde revient aux matériaux bio-sourcés, parce que les experts ont relevé que l'amiante et le ciment, où on vit et ce qu'on consomme, augmentent les cancers». Le retour «aux sources» exige, dit Terki, «des décisions politiques fortes, il faut qu'il soit porté par le premier responsable politique du secteur (l'habitat ndlr).» CAPTERRE privé de son festival En attendant, le CAPTERRE est privé de son festival «Architerre» de promotion des architectures de terre. Institutionnalisé en 2012, le festival culturel international se tenait à l'EPAU (El Harrach-Alger) et regroupait une quarantaine d'experts nationaux et internationaux ainsi que des étudiants algériens «pour qu'ils comprennent que le retour aux matériaux locaux n'est pas une question nationale mais universelle», précise Terki. Le festival a eu même la fabuleuse idée d'abriter quatre ateliers pour les enfants. Architerrre devait tenir sa 8ème édition en 2016 mais le ministère de Azzedine Mihoubi lui en a supprimé la subvention. «C'est l'unique festival qui promeuve le patrimoine et les architectures de terre, c'est une mission d'utilité publique», affirme la directrice du CAPTERRE. Etant un festival institutionnalisé, l'Etat est donc tenu de le subventionner. L'autorité politique du secteur ne semble pas l'entendre de cette oreille. Le ministre de la Culture a proposé à sa responsable de s'appuyer sur des sponsors. «J'ai demandé à ce que le festival puisse se tenir sur la base d'un montage financier, subvention de l'Etat et sponsoring», nous dit-elle. Le ministre n'est toujours pas revenu sur sa décision d'en supprimer la subvention. Signe d'espoir pour la promotion des architectures de terre, «quotidiennement, les gens nous demandent de leur fournir des matériaux locaux mais on n'a pas les moyens de les produire», indique Terki. Pour elle «si avec ses 3 ans d'existence, le CAPTERRE est certes encore un bébé, il est une EPA, on n'a donc pas le droit de payer une expertise, le rythme de formation de mes équipes est très long, pourtant une réalité algérienne nous montre que nos jeunes ont soif de formation, sinon ils partent vers d'autres cieux. C'est ce qui s'est passé pour 6 sur les 12 architectes du Centre. Avec ça, nous n'avons pas le droit de recruter...»