Le Qatar est au cœur de la tourmente, accusé directement de soutenir les groupes terroristes par ses anciens alliés. La première conséquence est cette rupture des relations diplomatiques décidées, hier, de concert par l'Arabie saoudite, en tête de file, les Emirats arabes unis, le Bahreïn, le Yémen et l'Egypte. Les observateurs ont, tôt, fait de faire le lien entre cette démarche et la visite, à Ryad, du président des Etats-Unis qui avait exhorté les pays musulmans à se mobiliser contre l'extrémisme. Cette crise diplomatique majeure, la plus grave depuis la création, en 1981, du Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui regroupe outre les trois monarchies précitées, le Koweït, Oman et le Qatar, répond pourtant à plusieurs paramètres alors que le mobile officiel reste ce «soutien au terrorisme» dénoncé par la quintette, en direction d'Al-Qaïda, Daech et la confrérie égyptienne des Frères musulmans. Pour les Saoudiens, Doha soutient aussi «les activités de groupes terroristes soutenus par l'Iran dans la province de Qatif», lieu de concentration de la minorité chiite du Royaume, ainsi qu'à Bahreïn, secoué depuis plusieurs années par des troubles prêtés à la majorité chiite de ce pays. Le Qatar, qui a été, également, exclu de la coalition militaire arabe qui combat les tribus houthies, pro-iraniennes au Yémen, a qualifié d' «injustifiée» et «sans fondement» une décision derrière laquelle il voit l'ombre du Caire. Pour Doha, cette rupture a pour objectif clair de «placer l'Etat sous tutelle, ce qui marque une violation de sa souveraineté», a affirmé le ministère des Affaires étrangères. Pour sa défense, le Qatar assure qu'il «n'interfère pas dans les affaires d'autrui» et balaye les accusations de soutien au terrorisme, affirmant qu'il lutte contre lui et l'extrémisme. Outre la rupture des relations et le rappel des diplomates, les trois pays du Golfe ont pris des mesures de rétorsion, sans précédent, avec la fermeture des espaces aériens, des accès terrestres et maritimes, interdiction de voyager au Qatar et d'entrée pour les ressortissants qatariens. La suspension des vols avec le Qatar a été annoncée par les grandes compagnies aériennes émiraties (Dubaï) et Etihad (Abou Dhabi) alors que l'Egypte a, pour sa part, décidé de fermer ses frontières aériennes et maritimes. Comme contrecoups premiers de cette rupture, la Bourse de Doha a chuté de 8% à l'ouverture des transactions avant de clôturer en baisse de 7,58% et les habitants de la capitale qatarie se sont rués sur les produits alimentaires, vidant des rayons entiers de supermarchés. Pourtant, on estime que cette décision est la conséquence naturelle d'une campagne contre le Qatar orchestrée par Abou Dhabi. En effet, plusieurs e mails de l'ambassadeur des Emirats arabes unis (EAU), à Washington, Youssef Al Otaiba, en poste depuis 2008, ont fuité le 3 juin dans plusieurs médias américains. Sa boîte de messagerie, piratée par un groupe de hackers qui se nomme «GlobalLeaks», ont révélé des correspondances du diplomate émirati avec la Fondation pour la défense des démocrates (FDD), un mouvement américain pro-israélien, en vue d'isoler le Qatar de la diplomatie américaine et ternir son image. John Hannah, un responsable du FDD et l'ambassadeur émirati aux Etats-Unis ont échangé, très régulièrement. «Durant la dernière année, les deux hommes ont voulu soumettre le futur des relations entre les Etats-Unis et le Qatar, au débat», écrit le Huffington Post' qui explique que le Qatar est perçu comme le pays faisant la promotion d'un islam extrémiste voulant imposer la charia. D'un côté, Israël s'inquiète du soutien qatari au Hamas, de l'autre, une guerre est menée entre les EAU et le Qatar pour savoir qui aura plus d'influence sur les Etats-Unis. Les pro-Israéliens et Emiratis s'allient alors pour se lancer dans un lobby anti-qatari à Washington D.C. Dans un autre échange, daté d'avril 2017, John Hannah se plaint à Youssef Al Otaiba du fait que le Qatar héberge une réunion du Hamas, dans un hôtel appartenant à un Emirati. L'ambassadeur répond que ce n'est pas la faute du gouvernement émirati et propose un accord au FDD : «Faisons comme ça: vous déplacez la base militaire, après nous déplacerons l'hôtel». Au centre, l'Iran. En effet, les monarchies du Golfe prêteraient au Qatar des velléités de rapprochement avec l'ennemi chiite. Cette crise intervient donc alors que les autorités qataries ont affirmé, la semaine dernière, avoir été victimes de «hackers» ayant publié sur le site Internet de l'agence de presse officielle QNA de faux propos attribués à l'émir Tamim. Pour montrer sa bonne foi, Doha a indiqué que des enquêteurs du FBI américain l'aident à déterminer l'origine du piratage présumé. Les propos publiés, jugés peu conventionnels, rompant avec le consensus régional sur plusieurs sujets sensibles, soulignaient qu'il ne serait pas sage de maintenir des relations tendues avec l'Iran, qui est une grande puissance et un garant de stabilité dans la région et dans le monde musulman. Ces informations reprises par les médias arabes et occidentaux ont suscité une vive réaction de Ryad et Abou Dhabi.