«Pour gouverner un grand royaume, il faut imiter celui qui fait cuire un petit poisson» (Lao Tseu) «La gouvernance est une notion parfois controversée, car définie et entendue de manières diverses et parfois contradictoires. Cependant, malgré la multiplicité des usages du mot, il semble recouvrir des thèmes proches du « bien gouverner ». Chez la plupart de ceux qui, dans le secteur public ou privé, emploient ce mot, il désigne avant tout un mouvement de « décentrement » de la réflexion, de la prise de décision, et de l'évaluation, avec une multiplication des lieux et acteurs impliqués dans la décision ou la construction d'un projet. Il renvoie à la mise en place de nouveaux modes de pilotage ou de régulation plus souples et éthiques, fondés sur un partenariat ouvert et éclairé entre différents acteurs et parties prenantes, tant aux échelles locales que globales et Nord-Sud, » (Dictionnaire français). Voilà enfin, une définition claire et en mesure d'être appréhendée par le commun des mortels. Galvaudée à tout va, ce vocable est devenu à l'usage une sorte de panacée que beaucoup d'intervenants autant, politiques, qu'économiques énoncent sans, pour autant, l'adosser à des objectifs, mesurables, évaluables et surtout productifs répondant à une vision planifiée de développement durable. Il nous semble qu'il n'y a, en fait, ni bonne ni mauvaise gouvernance, il n'y a que la gouvernance ou la non gouvernance. Elle rappelle par bien de côtés, ce slogan des années 70/80 : Production/ productivité. A ce titre, on peut citer à l'envi ces inepties et gabegies rencontrées lors de nos diverses pérégrinations à travers notre vaste pays. La plus visible est, sans contexte, cette déferlante de plantation de palmiers sur les voies rapides périurbaines et à l'intérieur du tissu urbain. Le dramatiquement burlesque, réside dans le fait que des cités oasiennes dont les palmeraies dépérissent inexorablement, se sont mises à l'agrémentation phoenicicole urbaine. Et comme l'incurie est érigée en dogme, on oublie de procéder à leur irrigation ce qui leur donne cet aspect décharné où, seules, quelques palmes luttent vaillamment contre l'adversité. Quand le parc roulant de certaines collectivités locales devient fantomatique par le nombre d'épaves de véhicules et d'engins relativement récents pour lequel il n'y aurait pas de crédits pour la réparation, mais on trouve, miraculeusement, des fonds pour l'acquisition de véhicules particuliers type 4/4 rutilant pour les besoins de l'édile. Réhabilités et remis en service, ces véhicules et engins peuvent générer dans le cadre d'une régie, des revenus substantiels. Budgétisés à leur tour, ils peuvent couvrir d'autres besoins exprimés tels que transport scolaire et autre service de nettoiement. Le cas de cette autre commune rurale qui aurait acquis, selon un élu, une centaine de tampons en fonte servant de couvercles aux regards de visite du réseau d'assainissement, alors que l'agglomération ne compte pas plus d'une dizaine de ces ouvrages. L'on nous dira à juste raison que les Programmes communaux de développement (PCD) ont crée un effet pervers de léthargie au point où la remise en état d'une voirie nécessitant, jadis, une brouette et une dame est ajournée dans l'attente d'une inscription budgétaire propre. Et, c'est certainement cette absence de pilotage qui fait que le développement local, en dépit des ressources financières engagées n'arrive toujours pas à être au diapason des préoccupations citoyennes. Pour revenir à la définition rapportée plus haut, explicite, elle renvoie au « décentrement » de la prise de décision ce que nous appelons communément « décentralisation ». La notion d'impliquer tous les acteurs à différents degrés de responsabilité est, malheureusement, battue en brèche par les ratages observés jusque là. Le premier en date a été, sans nul doute, la fameuse opération de « 100 locaux commerciaux » par commune appelée communément « Locaux du président » et dont on connait le devenir. Il s'est trouvé des localités où le nombre de locaux dépassait le nombre de foyers de l'agglomération. Quinze ans plus tard, on vient avec l'idée saugrenue de « marchés parisiens » induisant les marchés de proximité. Ces derniers achevés en un temps record, ils attendent leur exploitation sous le regard dubitatif des élus locaux dont ils ne savent pas quoi faire. Pendant ce temps et en l'absence d'exploitation rationnelle ces équipements couteux sont soumis à la dégradation du temps ou la déprédation humaine. Contrairement au postulat énonçant : « La fonction crée l'organe », nous sommes en présence de l'inversion de celui ci. Mises bout à bout, ces dissonances répétées sur 1541 communes, si on reste à ce niveau d'entité territoriale, constituent à elles seules une insurmontable pierre d'achoppement à l'acte de bien planifier, donc de gouverner. La normalisation typifiée a, toujours été, ce talon d'Achille d'un développement local qui aurait gagné à être modulé selon la spécificité locale, mode de vie, climat et taille de la population. Il est loisible d'observer en plein Sud, des structures étatiques réalisées sous la norme septentrionale : Vitrage, alucobande aux couleurs criardes et autres excentricités. Insolites et énergivores, ces édifices ne tarderont pas à perdre leur vernis qui, entre temps, aura couté beaucoup d'efforts et d'argent. A genèse verticale et d'allure injonctive, l'idée de planifier, au départ généreuse, pêche le plus souvent par son défaut d'implication de tous les acteurs à quelque niveau qu'ils soient. Invariablement contreproductive de par son opacité et son incohérence, elle conduit, indubitablement, à l'échec. Son père géniteur qui s'arroge le droit divin de la clairvoyance et de la justesse de la cause, n'assume en rien les revers ; au contraire, il fustige les parties en lice en convoquant, le plus souvent, le substrat patriotique des uns et des autres. Quand à l'évaluation, il nous semble en toute apparence, que celle-ci est le dernier souci de l'initiateur du projet. Hormis l'évaluation chiffrée fournie par les comptes, la pertinence et l'impact sur la vie du citoyen est le plus souvent éludée. L'information statistique menant à la prise de décision est parfois même, non recueillie ou si elle l'est, elle s'avère peu fiable. La navigation à vue, généralement brumeuse, ne pourra éviter les écueils qui jalonnent tout parcours. Et ce sont, toujours, les calculs d'épicier, que les bien-pensants mettent au pilori, qui fournissent l'image la plus accomplie de la bonne gestion. Il nous souvient d'un pharmacien d'hôpital des années 80', qui pour le diagnostic biologique des grossesses a commandé deux fois plus de tests que le nombre de naissances annuelles. Pour ne pas se planter aussi lamentablement, notre pharmacien, aurait pu accéder à l'information la plus précise en s'adressant au service d'état civil voisin. A ce propos, le défunt Dr Ahmed Benatallah, ancien directeur de la santé de la wilaya de Médèa, évoqué dans une précédente contribution dans ces colonnes mêmes, avait pour habitude de dire : « Une information statistique qui ne mène pas à une prise de décision n'est pas à recueillir ! ». Faisant partie de la poignée de médecins qui ont pensé le système national de santé, il a crée dans l'ex wilaya du Titteri des années 70/80, un système d'information sanitaire des plus performants à partir des listes des naissances fournies par l'état civil et du premier recensement général de la population et de l'habitat(RGPH) de 1967. Il modula les infrastructures sanitaires de base selon le bassin de population considéré et le nombre de naissances annuelles, recoupés par les statistiques hospitalières. Rudimentaire, probablement, le focus n'était pas loin de la réalité du terrain ; il introduisait en même temps la notion d'équité sociale par la distribution équilibrée de la ressource, tant humaine que matérielle. Beaucoup de futurs bénéficiaires de soins de proximité, savaient que l'un ou l'une des leurs, en formation paramédicale, allait rejoindre à l'issue de son cursus, l'unité sanitaire en réalisation. La démarche participait aussi des bonnes règles de respect du à la personne humaine. Prenant délibérément le raccourci, ne dit-on pas : « Un homme averti, en vaut deux » ? Mais que fera- t-on, nous diriez-vous, de cet égo morbide qui nous étreint fiévreusement ? Nous serions heureux, un jour, de trouver dans le bureau du maire ou de tout autre responsable, la carte physique ou le plan cadastral de son territoire de compétence. Il doit en exister certainement quelque part. Cet outil, aussi rustique que pratique, peut être utilisé comme support de guidance pour toute intervention sur des sites à potentialités agricoles avérées, poches de pauvreté, habitat précaire, zones interdites à l'édification ou à forte concentration démographique, maillage scolaire ou sanitaire etc La couleur peut objectiver les zones à promouvoir, les zones à risques majeurs (inondations, feux de forets etc..). Cette énumération, aussi simple qu'évidente, constitue, pour le moins, le nœud gordien de la maitrise managériale de la chose publique. Il faut, toutefois, reconnaitre à certains exécutifs, la difficulté de veiller à la bonne marche de la multitude de collectivités communales mises sous leur tutelle à l'instar de la wilaya de Tizi Ouzou qui en compte 67 ou celle de Médèa avec 64 entités. Il apparait clairement, aujourd'hui, que sans l'innovation et l'abandon résolu des sentiers battus, aucune voie de salut n'est envisageable. Nous devons changer radicalement de comportement dans l'organisation de ces réunions qui trainent en longueur et dont les résultats ne sont pas en rapport avec la mobilisation stérile de la ressource humaine. Que dire encore de ces conclaves appelés séminaires et congrès qui ne vont pas au-delà de recommandations vouées à l'oubli. Il faudrait que l'on comprenne que se réunir, n'est forcément pas travailler. La lassitude qui gagnait l'auditoire, l'obligeait à bailler aux corneilles ou dans le meilleur des cas à jouer aux mots croisés pour certains. Actuellement, c'est la majorité qui est rivée à son smartphone. Les visites d'inspection et de travail annoncées par d'interminables processions de berlines noires à vitres teintées rappelant dont les objectifs ne sont connus que par le cercle restreint d'initiés sont d'un autre âge. Nos vénérables « Pravda » se saisiront de ce moment historique pour chanter les vertus d'un équilibre régional et autres acquis prolétariens arrachés de haute lutte. Le monolithisme pugnace qui tente de tenir un discours néolibéral teinté de relents, jadis, progressistes, n'a plus de place dans un monde en perpétuel mouvement. L'heure est aux justes choix qui ne sont, toujours, pas indolores.