Le Vatican vient d'annoncer avoir signé, ce vendredi 26 janvier, l'acte de béatification (une première étape vers la dignité de saint de la chrétienté) des 19 religieux de l'Eglise catholique (dont l'ancien évêque d'Oran, Mgr Pierre Claverie, et les 7 moines martyrs du monastère de Tibhirine, près de Médéa) qui ont été assassinés par des mains terroristes et dans des crimes haineux, pendant la terrible décennie rouge qu'a connue l'Algérie, dans les années 1990. A cette occasion, les évêques d'Algérie ont tenu à rappeler dans un communiqué que «devant le danger d'une mort qui était omniprésente dans le pays, ces hommes de Dieu ont fait le choix, au risque de leur vie, de vivre jusqu'au bout les liens de fraternité et d'amitié qu'ils avaient tissés avec leurs frères et sœurs Algériens par amour. Les liens de fraternité et d'amitié ont ainsi été plus forts que la peur de la mort». Mais, ajoute ce communiqué, «nos frères et sœurs n'accepteraient pas que nous les séparions de ceux et celles au milieu desquels ils ont donné leur vie. Ils sont les témoins d'une fraternité sans frontière, d'un amour qui ne fait pas de différence. C'est pourquoi, leur mort met en lumière le martyre de nombre de ceux et celles, Algériens, musulmans, chercheurs de sens qui, artisans de paix, persécutés pour la justice, hommes et femmes au cœur droit, sont restés fidèles jusqu'à la mort durant cette décennie noire qui a ensanglanté l'Algérie». «Aussi notre pensée rassemble dans un même hommage tous nos frères et sœurs Algériens, ils sont des milliers, qui n'ont pas craint, eux non plus, de risquer leur vie en fidélité à leur foi en Dieu, en leur pays, et en fidélité à leur conscience. Parmi eux, nous faisons mémoire des 99 imams qui ont perdu la vie pour avoir refusé de justifier la violence. Nous pensons aux intellectuels, écrivains, journalistes, hommes de science ou d'art, membres des forces de l'ordre, mais aussi aux milliers de pères et mères de famille, humbles anonymes, qui ont refusé d'obéir aux ordres des groupes armés. Nombre d'enfants ont aussi perdu la vie, emportés par la même violence» (...). «Une idéologie meurtrière, défiguration de l'islam, ne supportait pas les autres qui étaient différents par la nationalité ou la foi», ajoute le communiqué des évêques d'Algérie. «Les plus peinés, au moment de la mort tragique des prêtres chrétiens ont été leurs amis et voisins musulmans qui avaient honte que l'on utilise le nom de l'islam pour commettre de tels actes». «Mais nous ne sommes pas, aujourd'hui, tournés vers le passé. Ces béatifications sont une lumière pour notre présent et pour l'avenir. Elles disent que la haine n'est pas la juste réponse à la haine, qu'il n'y a pas de spirale inéluctable de la violence. Elles veulent être un pas vers le pardon et vers la paix pour tous les humains, à partir de l'Algérie mais au-delà des frontières de l'Algérie. Elles sont une parole prophétique pour notre monde, pour tous ceux qui croient et œuvrent pour le vivre ensemble (...). Plus que jamais, notre maison commune qu'est notre planète a besoin de la bonne et belle humanité de chacun». Pour l'actuel évêque d'Oran, Mgr Jean-Paul Vesco, qui a donné son sentiment sur ce même sujet à un hebdomadaire parisien, «ces béatifications sonnent comme une reconnaissance du témoignage de cette petite Eglise «aux mains nues» en Algérie. Elle a, depuis l'indépendance du pays, fait le pari de la valeur évangélique d'une présence discrète en amitié, malgré parfois les vents contraires et les difficultés qui donnent tout son prix à cette amitié donnée et reçue au centuple». «Cette présence d'une toute petite Eglise, ajoute-t-il, malheureusement souvent perçue comme un corps étranger dans une société musulmane dont elle se veut pourtant pleinement partie prenante, a résisté, comme les Algériens, au feu des années de violence. C'est ce témoignage de vie qui est proposé aux catholiques du monde entier, et c'est bon qu'il en soit ainsi». «Le choix de la béatification de Mgr Claverie (l'ancien évêque d'Oran, tué dans un lâche attentat terroriste, perpétré devant son évêché, le 1er août 1996. NDLR) permettra également de mettre en valeur le don de sa vie d'un autre martyr, musulman celui-là, Mohamed Bouchikhi. Ce jeune Algérien a choisi lui aussi de rester auprès de l'évêque d'Oran, au risque de sa vie. Nous le savons, grâce à un testament spirituel très émouvant retrouvé après sa mort (...). Ce témoignage est une très belle image de cette fraternité jusqu'au cœur de l'épreuve entre des personnes que pourraient opposer la religion, la culture, l'histoire. Et ce témoignage est précieux à un moment où précisément on nous présente la religion, la culture et l'histoire comme autant de ferments de division». L'évêque actuel d'Oran témoigne que «de l'avis de tous, Pierre Claverie était un homme et un pasteur hors du commun, de haute stature intellectuelle et spirituelle, et en même temps extrêmement fraternel et simple. Je suis impressionné par la capacité qui était la sienne de dire des choses qui fâchent sans couper la relation. Il pouvait par exemple avoir des paroles très dures contre telle attitude de l'Eglise ou de l'Algérie sans que son amour de l'Eglise ou de l'Algérie soit en cause». «Il est une phrase de lui qui m'inspire d'une façon particulière: «Nul ne possède la vérité, nul ne possède Dieu, j'ai besoin de la vérité des autres». En tant qu'évêque, dire que sa religion, et donc aussi toute religion, ne donne pas accès à la plénitude de la vérité, c'est audacieux ! Pourtant, dès que l'on a la prétention de détenir la vérité à soi tout seul, alors les conflits de vérité enflamment le monde, et ils divisent à l'infini les croyants, y compris à l'intérieur d'une même religion. Si en revanche, nous acceptons de reconnaître qu'il nous manquera toujours une part de vérité, dont nous avons besoin, et qui est peut-être chez l'autre, alors la différence religieuse peut devenir une richesse et la vérité cherchée ensemble et découverte aussi chez l'autre est restaurée dans sa dimension la plus sacrée. La quête de la vérité se tient sans doute dans cette humilité». Mgr Jean-Paul Vesco s'interroge également sur l'impact ici en Algérie, de cette décision de béatification des 19 hommes et femmes d'église martyrs: «La société algérienne, dit-il, est plurielle et diverse. Surtout, cette histoire de béatification est une découverte absolue. Il est très difficile de savoir comment cette annonce sera perçue. Depuis le début du projet d'introduction d'une cause en béatification, il y a eu de vifs débats au sein de notre Eglise autour de cette question de la perception par la société algérienne. Il y a bien des raisons pour que ces béatifications suscitent des réactions négatives. Il se peut surtout que ce soit un non-évènement. Ce sera en tous les cas une bonne occasion de faire prendre conscience, à l'extérieur de l'Algérie, que les victimes de cette barbarie, et ceux qui l'ont combattue étaient évidemment des Algériens musulmans. C'est toujours vrai aujourd'hui. Nous aurons la réponse à cette question après la célébration des béatifications». Mgr Jean-Paul Vesco confie, en conclusion de son interview, qu'il puise la force spirituelle de résister au ressentiment contre le terrorisme islamiste dans la rencontre avec les personnes, les Algériens. «Mais cette rencontre prend du temps, suppose de se défaire, de part et d'autre, de tant de fausses certitudes, y compris religieuses, pour se rencontrer en humanité. Elle suppose d'endurer au quotidien le dur sentiment de demeurer un étranger incompréhensible pour l'autre, malgré parfois un long compagnonnage de vie (...). Le terrorisme vise à rendre impossible cette rencontre personnelle en vérité car il sait qu'elle est son talon d'Achille».