Le gouvernement ne renonce pas à ses taxes fiscales très contestées par les Français, il se contente de les suspendre. Une tactique qui n'est pas sans risques. Mercredi, au 19ème jour de mobilisation, le mouvement des « Gilets jaunes » ne semble pas vouloir renoncer ni à ses revendications sociales, ni à la contestation politique du pouvoir présidentiel. La veille, le Premier ministre, Edouard Philippe, avait pourtant annoncé un moratoire sur la plupart des décisions de taxation annoncées précédemment. Moratoire ? Ce n'est pas une suppression des mesures contestées mais leur suspension pendant six mois. Le principal sujet de friction, la hausse prévue le 1er janvier 2019 des taxes carbone sur l'essence, le fioul et le diesel est donc mise au placard pour six mois. Le gouvernement renonce également pour la même durée à la convergence fiscale du diesel et de l'essence, c'est-à-dire à davantage taxer le diesel, jugé plus néfaste pour l'environnement, afin de le rendre plus onéreux que l'essence. Enfin, Edouard Philippe a suspendu une troisième mesure, elle aussi source de crispation: l'augmentation des taxes prévues sur le gazole non routier (GNR) utilisé notamment par les entreprises de travaux publics. Selon le gouvernement, ces hausses auraient dû rapporter trois milliards d'euros sur l'ensemble de l'année 2019 dans les caisses de l'Etat, soit un manque à gagner de 1,5 milliard pour le report de six mois. Autre disposition présentée par le Premier ministre, pas d'augmentation des tarifs dues consommations de gaz et d'électricité cet hiver. Les tarifs régulés des consommations d'énergie des habitations ne bougeront pas jusqu'au 31 mars. Des associations de consommateurs avaient alerté la semaine dernière sur une probable augmentation de 8% à 10% du prix de l'électricité. Selon ces associations, le surcoût pour les consommateurs d'électricité se serait élevé à 1,47 milliard pour la seule année 2019. Le durcissement annoncé des contrôles techniques des véhicules étaient une autre piste du gouvernement. L'objectif était de réduire le volume des véhicules les plus anciens et notamment mettre le plus rapidement possible, hors service du parc automobile, les véhicules diesel qui émettent le plus de particules polluantes. En mai dernier, le dispositif du contrôle technique avait déjà été alourdi avec notamment davantage de points de contrôle et plus de « défaillances » scrutées lors de l'examen du véhicule. Si les nouvelles mesures avaient été appliquées au 1er janvier 2019, les propriétaires de ces voitures, souvent anciennes, que l'on recense très majoritairement dans les classes populaires ou dans les petites classes moyennes, aurait été contraints d'acheter un nouveau véhicule. Ce qui représente un investissement majeur pour la plupart des ménages. Edouard Philippe a donc annoncé la suspension de ces différentes mesures mais non leur suppression. Le Premier ministre a néanmoins affirmé souhaiter « trouver les justes adaptations » de ces différentes mesures pendant cette période de suspension. «Trop peu et trop tard » a été la réaction générale des Gilets jaunes. Il est vrai que ces mêmes mesures annoncées deux semaines plus tôt auraient pu faire baisser la tension sociale. Mais les trois journées de mobilisation sociale chaque samedi, dénommés « Acte I, II,III », a connu une radicalisation du mouvement qui s'est élargi à l'ensemble des revendication des Français face à la dégradations de leur pouvoir d'achat. Ceci explique aussi le soutien d'une grande partie de la population au mouvement des Gilets jaunes : 82% des Français l'approuvaient pleinement la semaine dernière, le pourcentage s'est un peu réduit à 72% après les très vifs incidents qui ont eu lieu la semaine dernière à Paris et dans quelques villes de province. Ce qui reste un soutien populaire sans précédent à un mouvement social en France. En n'apportant aucune réponse aux contestataires pendant trois semaines, il est fort probable qu'Emmanuel Macron avait parié sur un pourrissement du conflit et un renversement de l'opinion publique. De ce point de vue, la radicalisation des manifestations (qui déjà entraîné quatre morts) a dû être vécue comme une aubaine par le gouvernement. Mais, patatras !, le mouvement reste populaire auprès des Français et l'opinion publique désigne le gouvernement, par son incapacité à apporter des réponses sociales, comme le principal responsable des tensions actuelles. Il est très peu probable que les mesures annoncées par Edouard Philippe désamorcent la crise actuelle. Tout d'abord, parce qu'elles ne concernent que la question des carburants de l'automobile, le point de départ d'une mobilisation qui s'est élargi depuis à l'ensemble des questions de la dégradation du niveau de vie des Français. Ensuite, parce que la seule suspension des mesures critiquées accroît fortement les doutes de l'opinion publique sur les volontés du gouvernement à calmer les tensions sociales par des mesures de fond. Par ailleurs, ce même gouvernement s'inquiète également de la généralisation de la contestation : les lycéens se sont joints à la mobilisation sur leurs propres revendications, de même que certaines catégories professionnelles comme les agriculteurs ou les ambulanciers qui vont se joindre aux mobilisations de samedi prochain. Ce mouvement de contestation sociale qui n'a d'équivalent que l'épisode de Mai 68 et qui le rappelle à bien des égards, remet largement en cause la méthode Macron : des mesures rapides, imposées autoritairement par la verticalité du pouvoir présidentiel. Les manifestations actuelles montrent que l'une des toutes premières mesures décrétées par Emmanuel Macron, la suppression de l'ISF, l'impôt sur les grandes fortunes, a été très mal digérée par l'opinion publique et justifie largement l'appellation de Macron comme « Président des riches ». Les contraintes de la Commission européenne Mais, outre son style vivement contesté, le Président de la République française connaît une autre contrainte moins visible celle-là, les impératifs fixés par la Commission européenne. « Pas plus de 3% de déficit public ! ». La Grèce avait été sévèrement sanctionnée pour avoir osé tenter de dépasser cette norme. L'Italie tente de le faire. La fixation dogmatique de cet interdit empêche pourtant de relancer les économies européennes qui stagnent depuis plus d'une décennie. Marcel Gauchet dans « Comprendre le malheur français » (Stock, 2016), cité par Valeurs actuels, explique que le choix d'un euro callé sur le mark, donc trop fort pour l'économie française, joint au libre-échange mondial, à la mobilité des capitaux et des personnes a été et est source de délocalisation, de désindustrialisation, de multiculturalisme et de chômage. « C'est une bombe politique à retardement dont on ne sait quand elle explosera », notait-il, il y a deux ans. On y arrive.