De nombreux intervenants ont examiné pendant deux jours le phénomène de la «harga» mais à défaut de mesures d'urgence, ils ont retenu des recommandations dont la mise en œuvre nécessite beaucoup de temps et de moyens à un moment où les politiques se préparent à mener une campagne électorale en faveur du président sortant. Le Forum national organisé, samedi et dimanche derniers, par le ministère de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire a drainé un nombre important de participants jusqu'à déborder de la salle de réunion du Palais des Nations de «Club des pins». Autre inconvénient de cette affluence, les lieux sont devenus étouffants et beaucoup de présents ont préféré se déconnecter de l'événement pour se connecter à la toile avec leurs mobiles. Le verbiage, la langue de bois et l'opportunisme, eux, étaient bien au rendez-vous. Important couac, la rencontre s'est passée sans les intéressés. Les organisateurs ont mis en place quatre ateliers animés, jusqu'à des heures tardives, par des représentants de tous les horizons exceptés ceux des «harraga» ou leurs familles. Le nombre des deux était très restreint et a été dilué dans cette masse d'intervenants sans rendement effectif. L'idéal aurait été que les organisateurs pensent à ouvrir un atelier pour les harraga' (un autre pour leurs familles) qu'ils auraient encadré par notamment des chercheurs, sociologues de préférence, des médecins psychologues qui auraient « interrogé » leur passé, présent, jusqu'à leurs gestes et leurs mimiques. L'essentiel aurait été de tirer le maximum d'informations d'une population qui ne parle pas mais agit clandestinement et dangereusement pour réaliser un bout d'un rêve de vivre... La «harga», une urgence qui doit attendre Le ministre de l'Intérieur a qualifié le dossier de la «harga» de «l'urgence». D'autres politiques ont dit qu'il a été pendant longtemps « un tabou ». Ce qui est loin de ressembler à la triste réalité dont parlent toutes les franges de la société notamment ces derniers mois où la harga' a donné la mort à plusieurs Algériens. Les cris de désespoir de leurs familles se sont faits stridents à travers le pays. Il est vrai que le forum sur le phénomène est le premier du genre que le gouvernement décide d'organiser. Il n'on pas fait cas (jusqu'à samedi dernier) alors que son ampleur effraye depuis longtemps. Il est de tradition que les pouvoirs publics minimisent des fléaux même si leurs conséquences sont désastreuses pour la société. L'on se rappelle l'époque où les groupes terroristes commençaient à agir sur le terrain. Des gouvernants avaient estimé leur nombre à « quelques révoltés qui vont être liquidés en quelques jours. » C'est à l'exemple du fameux « chahut d'enfants » de 1988, de la violence des stades et des rues de toujours, des logements construits ces dernières années à pied levé, de cursus scolaire, très souvent chahuté par des grèves, dont celle déclarée, depuis lundi dernier dont les meneurs bombent le torse pour avoir arrêté les cours pour « plus de 5 millions d'élèves», des trémies qui débordent d'eaux de pluie sans que les autorités locales ne soient dérangées, des embouteillages qui bloquent toute la capitale sous le regard distrait des services de « l'ordre » (police et gendarmerie), des hôpitaux qui se vident de leurs équipes médicales à 11h du matin, des universités où le plagiat est en flagrant délit, des centres de recherches qui ne croient pas aux sciences sociales alors que la société algérienne peine à trouver ses repères, se noie dans un passé sans lendemains... Des ateliers bondés de monde Disséqué pendant deux jours, le phénomène de la «harga» n'a pas bénéficié de mesures urgentes comme l'exige sa qualification par Nouredine Bedoui. Les ateliers ont débordé de monde. 92 personnes ont animé le premier intitulé « Sensibilisation, communication et cyber-espace : pour une action préventive commune » ; 62 intervenants dans le 2ème sur « l'intégration économique des jeunes : réalités, contraintes et enjeux » ; 70 dans le 3ème « Programmes de jeunesse, de culture et de loisirs : entre réalité et aspirations pour une attractivité meilleure » et enfin 70 autres dans l'atelier 4 sur « Le rôle des organisations de la société civile, dans la prise en charge des jeunes : proximité, médiation et réseautage.» Beaucoup se sont perdu en conjectures, en littérature. Le tout a abouti à de très longues et très nombreuses recommandations dont la mise en œuvre nécessite temps, moyens et profondes réorganisations. Le ministre de l'Intérieur pense en tirer « une nouvelle stratégie basée sur une approche globale et inclusive, qui fera l'objet d'évaluation périodique.» Il veut, en parallèle, « mettre en œuvre un instrument de suivi pour le travail qui sera effectué. » Il chargera les ateliers de « penser une démarche pour la mise en œuvre des recommandations sur le terrain. » Il promet de « faire réviser les lois pénalisant la harga' après introduction de la demande auprès du ministre de la Justice. » Bedoui pense même que certaines recommandations sont pour enrichir la loi sur les collectivités locales qu'il dit être « toujours un projet. » Les réflexions du CNES ignorées par le gouvernement Le rappel des dispositifs pour les jeunes a été repris durant toute la durée du forum, de nombreuses recommandations ont portées sur la création de nouvelles instances pour encadrer les jeunes. Des intervenants ont appelé à la remise en marche du Conseil national économique et social (CNES) qui n'a pas encore été restructuré alors qu'il est constitutionnalisé depuis 2016. Il est sans président depuis plus de deux ans, depuis le décès de Mohamed-Seghir Babes. Le Conseil national de la Jeunesse (CNJ) est resté, aussi, lettre morte alors que le président de la République l'a prévu dans la constitution de 2016 et lui a même désigné s ses membres sans pour autant décider de son installation. Si l'on craint que le CNJ, une fois mis sur pied, s'ajouterait aux structures existantes qui n'agissent que conjoncturellement et en cercles fermés, ce n'est pas le cas du CNES dont la composante a toujours produit des réflexions de pointe et dont les recommandations sont pertinentes et restent toujours d'actualité. L'on sait que ses experts continuent de croire à l'importance des études qu'ils continuent de mener même s'ils savent qu'elles sont ignorées par les pouvoirs publics. Venus en nombre important au forum de Bedoui, les représentants de la société civile, dans leur majeure partie, ont excellé par la langue de bois et les longues interventions dithyrambiques en faveur du président de la République en ces temps électoralistes. Le ministre de l'Intérieur s'est défendu de mélanger rencontre et élection. «Vous pensez vraiment qu'on peut préparer un événement aussi important en 48 heutes ? » a-t-il dit aux journalistes présents à sa conférence de presse de la soirée du dimanche dernier. Il a fait savoir que « nous allons traiter d'autres sujets avant les élections présidentielles, comme la violence dans les stades, l'évaluer et voir comment organiser les événements sportifs avant la prochaine rentrée sportive.» Hier, le ministre de l'Intérieur a rencontré les membres de la Commission de la surveillance des élections, en présence des représentants du ministère de la Justice. Aujourd'hui, mercredi, il annonce une révision exceptionnelle des listes électorales en prévision de la présidentielle, prévue le 18 avril prochain.