Autant que leurs compatriotes du pays, les émigrés attendent avec une angoisse non dissimulée le rendez-vous électoral du 18 avril. L'émigration algérienne en Europe a les yeux et les oreilles braqués sur l'étrange tranche de vie politique du pays qui part dans tous les sens à l'approche de l'élection présidentielle du 18 avril prochain avec, chez les uns une angoisse, chez les autres une distance désabusée et chez d'autres encore de la colère. Mais quelle que soit l'opinion des uns et des autres, aussi diverses et contradictoires soient-elles, un dénominateur commun réunit nos compatriotes émigrés : la perte de confiance et la peur de lendemains incertains. A chaque occasion de rencontres et de retrouvailles lors de soirées culturelles, de veillées événementielles, dans les cafés et bars, dans la rue et même dans les halls des aéroports pour des départs vers l'Algérie, la question de l'élection présidentielle s'installe dans les discussions et les commentaires se résument plus à des questionnements qu'à des pronostics sur tel ou tel candidat. «Que va-t-il se passer dans les semaines et mois à venir et surtout que se passera-t-il après le 18 avril ?» est l'interrogation principale à laquelle personne ne sait ou n'ose répondre. Tous regardent vers le pays dans l'espoir de comprendre et de se rassurer. Ce qui intrigue en particulier nos compatriotes est, à de très rares exceptions, ce silence observé par les médias étrangers sur le «cas de l'Algérie». Il ne se passe pas un jour où il n'est pas question dans les médias occidentaux d'une actualité électorale quelque part dans le monde : du Venezuela au Congo, de la Guinée Conakry au Sénégal, de la Chine aux Philippines et bien sûr dans l'Europe pays par pays et même aux USA où des candidats et candidates se sont déclarés deux ans avant la prochaine présidentielle. Ça vous donne le temps de voir venir et de comprendre. Curieusement, le cas algérien est zappé sans que personne ne comprenne pourquoi. Le peu d'intérêt accordé à la présidentielle chez nous, voire le silence absolu dans beaucoup de pays européens laissent nos compatriotes dubitatifs: Cela veut-il dire que l'élection est jouée d'avance pour un cinquième mandat à M. Bouteflika» concluent les uns. «Pourquoi disserter sur une élection fermée et décidée d'avance, toujours au profit de M. Bouteflika» expliquent les autres. «Tant que les intérêts des Européens sont préservés, ils ne se mêlent pas de notre cuisine interne» estiment d'autres plus stoïques. Dans l'ensemble, les émigrés vivent un énorme paradoxe : ils s'interrogent eux-mêmes et sur eux-mêmes sur le pourquoi de ce silence autour de la présidentielle et en débattent tout le temps entre eux avec inquiétude. D'ailleurs les émigrés en discutent sans cesse depuis toujours et dans le cas de M. Bouteflika depuis son premier mandat entamé en 1999. C'est-à-dire depuis 20 ans et avec toujours les mêmes interrogations. Restera-t-il encore cette fois-ci ? S'il se représente, il sera «réélu» à coup sûr estiment la majorité des émigrés. Il y a comme une sorte d'impuissance face au cours des événements politiques au pays. Le temps politique s'écoule comme les eaux souterraines, froides et silencieuses que personne ne voit et dont tous s'abreuvent. Parce que à chaque rendez-vous électoral, à fortiori une élection présidentielle, les émigrés ont été nombreux à voter et à renouveler leur confiance à Bouteflika et aux partis politiques dits de l'alliance présidentielle lors des législatives. Ce qui les rapproche «sociologiquement et politiquement» du comportement de leurs compatriotes du pays : ils critiquent le «système» et ses élus, y compris Bouteflika et votent pour les mêmes à chaque élection. Que l'abstention ait été massive ou pas importe peu : seuls les votes exprimés font foi. Qu'il y ait eu fraude ou pas importe encore moins : seuls les votes exprimés légitiment les élus. C'est un constat observé dans tous les pays sous-développés ou ceux dit en «transition» vers la démocratie; tous ces pays en proie aux affres du pouvoir politique et à la recherche de la liberté depuis la nuit des temps. A moins de trois mois du 18 avril, les émigrés attendent avec impatience un signal de leur pays qui les éclaire sur l'enjeu de cette élection. Puis, comme ils votent quelques jours avant les Algériens au pays, ils enverront comme d'habitude à leur tour le «signal» pour en finir avec l'angoisse et les incertitudes jusqu'à dans cinq ans, jusqu'à tous les autres cinq ans.