La rue algérienne ne se retient plus: elle a décidé, depuis maintenant un peu plus de trois semaines, de s'exprimer, de se prendre en charge et de montrer le vrai chemin à ceux qui ont dorénavant la prétention de la gouverner. Pour le troisième vendredi consécutif de protestation contre le diktat d'un 5ème mandat, les Algériennes et les Algériens sont revenus battre le pavé de l'histoire de leur pays et refusent dorénavant le rôle qu'on tente de leur attribuer, celui d'un peuple sans âme, soumis, sans volonté. Le mur de la peur est tombé avec ces belles images de policiers protégeant les manifestants. Et, quelque part, on peut rendre grâce à cette fatale et dernière erreur du pouvoir de penser que le peuple a été pour toujours chloroformé pour lui fourguer une alternative politique qui a fait l'effet inverse : réveiller enfin ce peuple d'un long sommeil dans lequel il a été plongé par ceux qui se sont érigés en maîtres absolus de la destinée du pays. Imposer un 5ème mandat alors que l'état de santé du chef de l'Etat mérite toutes les attentions et donc qui ne lui permet plus d'exercer ses charges présidentielles, est l'ultime erreur de ceux qui ont pensé qu'ils sont là pour décider à la place des Algériens. Il faut rendre grâce donc à cette cécité du pouvoir pour avoir cru que cette fois-ci encore la rue algérienne allait se taire et accepter des perspectives politiques et sociales déprimantes. Ce que les partis de la majorité présidentielle et les décideurs derrière eux ont oublié, ou n'ont pas su décrypter, est que le refus du 5ème mandat n'est pas né juste après le dépôt du dossier de candidature du président à sa propre succession, mais bien avant. La colère des Algériens a explosé certes au grand jour ce vendredi historique du 22 février, mais elle couvait en réalité depuis le début du 4ème mandat et que les conditions sociales et économiques du pays, avec un appauvrissement rapide de larges couches sociales, la hausse du chômage, le népotisme et une corruption étalée au grand jour des clans proches du pouvoir, ont fini par exacerber. Ce seront les plus intenses frustrations sociales et les refoulements d'un puissant sentiment de colère contre le pouvoir durant toute la période du 4ème mandat, un mandat de plus au regard de l'article 102, d'ailleurs refusé et dénoncé par la société civile, qui sont en réalité derrière ce « non » populaire outré à un 5ème mandat, compris comme un ultime affront. Maintenant que la machine populaire a pris confiance dans sa puissance et son poids politique, il est difficile pour le pouvoir de ne pas en tenir compte. Avec l'ANP et les institutions souveraines de la République comme remparts contre toutes les tentations populistes aventureuses, il est à espérer que ce formidable appel d'air des Algériens pour un changement de système politique et de mode de gouvernance ne soit pas pris en otage par quelques officines, pour ne pas désigner les opportunistes de tous bords arrivés au bon moment et qui veulent surfer sur la formidable vague populaire pour un changement politique radical. Il faut espérer que les attentes citoyennes d'un changement politique qui a tant tardé soient écoutées et prises en compte. A commencer par éviter l'iceberg en trouvant une issue consensuelle à cette décriée élection présidentielle, déjà sur rails puisque les candidats à la candidature ont déposé leur dossier.