Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument. Lord Acton Le vécu des peuples regorge d'évènements effroyables, souvent subis par eux à leur corps défendant, dus pour l'essentiel au hasard d'une rencontre entre une histoire tourmentée et le destin d'un homme qui ne l'est pas moins. Lorsqu'Hitler, pour ne citer qu'une référence, arriva au pouvoir en 1933, il portait déjà en lui, telle une malédiction, un cocktail de stigmates d'échecs personnels consommés mais également de rancœurs, suite à la défaite de son pays lors de la grande guerre et des conditions imposées par le traité de Versailles (1919). Les contradictions du monde capitaliste avec la grande crise économique de 1929, l'échec de la République de Weimar finiront par lui créer le contexte favorable le conduisant à la certitude paranoïaque qu'il est l'homme providentiel à même de mener l'Allemagne et la race arienne à un empire de mille ans. Défit grandiose pour un piètre personnage que cet empire finissant en miettes en avril 1945 dans les décombres de Belin en Ruine.Le sort d'Hitler n'est pas le seul exemple à méditer; bien d'autres ambitions mégalomaniaques d'autocrates tristement illustres, réfugiés dans les poubelles de l'histoire, nous interpellent régulièrement et incitent à méditation. La décennie 1990 a laissé l'Algérie exsangue, suite au corps à corps entre le pouvoir en place depuis l'indépendance et la nébuleuse islamiste qui ambitionnait de lui succéder. C'est finalement le premier qui eut, militairement, le dessus au prix de plus de 200 000 victimes. Après une décennie de tergiversations scabreuses et sanguinolentes, l'establishment n'eut d'autre issue que de s'en remettre à la personne de Bouteflika, pensant que c'est l'homme idoine -- le moins mauvais diront ses mentors --, pour prolonger le sillon à la pérennité d'un système quelque peu ébranlé par la folie intégriste. Arrivant suite à un contexte marqué par l'assassinat d'un président et la démission forcée de son successeur, Bouteflika savait à quoi s'attendre. Un autre aurait refusé mais, lui, remballé comme un mal propre au lendemain du décès de Boumediene, ne pouvait résister à l'envie de prendre une revanche sur le sort. Dès le départ donc, entre ceux qui l'avaient intronisé par dépit, avec le souci de ne lui laisser la bride que dans un espace confiné,et celui qui ne voulait pas être un trois quart de président, il était clair que la scène politique ne sera pas un échange de bons procédés entre gentlemans imbus d'une noble mission mais un échiquier dont les règles du jeu ne seront ni paisibles, ni loyales,ni transparentes. Mais pour lui peu importe, habitué qu'il est aux félonnes luttes du sérail. Quant au pays, lui,il ne pourra qu'en pâtir, car le duel entre le pouvoir réel et le pouvoir formel ne se fera pas entre forces politiques apparentes, sur le terrain des idées, mais entre un mandant ostensible et ses mandataires dissimilés, sur un fond de course à la prébende au détriment de l'intérêt général, avec tout ce qu'elle implique comme coups fourrés, crocs en jambe, pour rester dans l'euphémisme. La population, elle, loin de tous calculs politiciens n'aspirait qu'à la paix et nombre d'Algériens, conquis par la cohérence d'un discours lénifiant,ne demandaient qu'à croire en une résurrection. Pour la première fois, voilà enfin quelqu'un qui n'hésitait pas à s'attaquer, par le verbe, à nombre de tabous intouchables jusque-là : Ecole, Justice, Corruption, Mafia politico-Financière...tout y passe, il suffit de l'élire pour que l'Algérie ait un autre visage. Pour des profanes prêts à planer sur un nuage messianique, une telle logorrhée autour de thèmes aussi racoleurs ne pouvait que séduire. A contrario, pour d'autres plus avertis, tout cela n'était que « cinéma », poudre aux yeux le temps d'une campagne électorale. La suite les confortera car,objectivement, il y avait au moins trois raisons de douter de la sincérité du discours Bouteflikien. Des raisons relevant de « fondamentaux » qu'aucune mise en scène ne saurait escamoter :Il y a d'abord l'ingratitude. En vingt ans durant lesquels il était en exile, jamais Bouteflika n'a prononcé le moindre mot pour défendre l'œuvre et la mémoire de Boumediene, son compagnon de route, qui l'a couvé et fait de lui le plus jeune ministre des affaires étrangères. Il faut se méfier des hommes ingrats, la fourberie leur est concomitante !Il y a ensuite son rejet viscéral de la démocratie en tant qu'ADN héritée du système autoritariste dont il est un pur produit. Il l'a dit, n'y croit pas et confirmé par le fait d'accepter d'être porté au pouvoir adoubé par l'armée. Il y a enfin une déficience totale d'éthique pour le fait d'accepter de maintenir sa seule candidature après le retrait intelligent des six autres candidats, constatant, preuve à l'appui, que les dés étaient pipés.Ainsi, malgré l'indigence d'un scrutin atrophiant sa légitimité, il se suffisait du fauteuil. Tous ces éléments réunis font du président un être dépourvu de principes autres que ceux devant le conduire au sommet ; un homme de pouvoir certes mais sûrement pas un homme d'Etat. Une conclusion pratique s'impose alors : il fera tout pour la satisfaction d'un égo démesuré à travers l'accomplissement d'un destin personnel revanchard et ce avant tout autre considération. Dans un tel contexte, avec une telle tare, un homme politique consacre l'essentiel de son énergie en compromissions, en surveillance de ses accotements, en magouilles pour le fauteuil, quel qu'en soit le cout. La principale victime en sera la bonne gouvernance. L'avenir le confirmera lorsqu'il ira jusqu'à faire œuvre de parjure en piétinant la constitution pour prolonger sa mandature jusqu'à mourir au poste. Lorsqu'on mesure le désastre, après vingt ans de règne, dans une conjoncture aussi favorable, une manne financière aussi généreuse et tant d'autres atouts, on ne peut se soustraire à la frustration de ne pas comprendre le pourquoi et le comment d'une telle désillusion. Un tel décalage entre les moyens du pays et les résultats acquis, incline à penser,en premier réflexe, que l'on est en présence d'une œuvre de destruction manifeste, volontaire et systématique, de l'entité nationale. Mais la raison dicte qu'aucun homme, aussi pervers soit-il, ne voudrait la destruction de son pays, ne fut-ce que par ce qu'il s'agit aussi de la branche sur laquelle il est assis. Pas plus les puissances étrangères nocives ne peuvent consentir à un effondrement de l'Algérie tant il est vital, pour leurs intérêts, qu'elle restât debout pourvu qu'elle soit docile et se prêtât à une exploitation à distance. Ne reste alors, pour saisir le désastre Bouteflikien, que l'explication par l'hypothèse de la mégalomanie ou l'incompétence. En fait les deux parce que la première conduit inéluctablement à la seconde du fait que le mégalomane, en surestimant ses capacités, se croit délié de la nécessité d'apprendre, de demander conseil, de déléguer ses pouvoirs. Il sait tout, il voit tout, il est infaillible et nul autre que lui n'est à la hauteur de la situation. Tous ces traits, nous les avons enregistrés au quotidien de ce qui nous a été donné de voir durant ces deux décennies Bouteflikiennes. La « classe » politique domestiquée ou réprimée, la presse méprisée et le peuple infantilisé, traité de médiocre, en sont les signes patents. Même l'usage dispendieux et faussement paternaliste de la rente pour maintenir la paix sociale est porteur de perversion, car ils'assimile moins à un élan de générosité qu'à un manque de considération à l'égard des récipiendaires, du fait même de penser qu'il suffit de mettre le prix pour s'acheter toutes les consciences. Quant à l'usage folklorique de l'urne, l'appui sur un islam bigot et sa promotion, les soutiens spontanément provoqués, financés et nourris au « cachir », tous procèdent du même mépris. Des années durant, le pays a « fonctionné » sur la base du « programme du président », la coterie, les partis thuriféraires de l'alliance, dispensés d'avoir le leur, se contentaient d'applaudir les mains tendus vers le boni du ruissèlement. Alors que la tendance universelle est à la multiplication des structures d'études et de réflexion avec l'émergence de centaines de « think tank » pour éclairer opinion et gouvernants, Chez nous, tous les cerveaux rentrèrent en hibernation à l'exception de celui de « fakhamatouhou »dont le rayonnement nous est certifié par l'enfumeur président François Hollande qui lui trouva une certaine « alacrité ». Quant aux partis dits d'opposition,la parole leur a été confisquée avec une scène politique stérilisée par tous types d'interdits dont le verrouillage systématique des espaces d'expression. Les structures de veille, de prospective, d'étude et de prévision, telles que l'Institut de Stratégie Globale, le ministère de la Planification, le Conseil National Economique et Social, cours des comptes etc. furent mises sous le boisseau depuis la décennie noire avec l'assassinat où l'exile d'intellectuels de renom. Bouteflika n'a pas jugé utile de les réhabiliter et même les commissions (Beni Issad, Ben Zeghou, Missoum Sbih) auxquelles il avait confié l'étude de certains dossiers (Justice, Ecole, Réforme de l'Etat...) furent dissoutes sans que leurs conclusions n'aient été publiées ou mises en œuvre. Bouteflika avait une conception de la politique et une méthode de gouvernance dérivant autant de son profil psychologique et/ou psychiatrique que de « l'école » dans laquelle il avait activé aux frontières durant les années de lutte pour l'indépendance. Pour le premier, il appartiendra aux spécialistes de le décrypter. Pour le second, rappelons qu'il s'agit du MALG avec toutes les entourloupes que les historiens lui attribuent ; usine d'espionite, de chantage, de manipulation par excellence, pas toujours en accord avecl'éthique et la morale. Bon élève, il y a apprit l'art de la manigance, des coups fourrés, de monter les uns contre les autres et était capable selon ceux qui l'ont connu de se jouer, par tous moyens, des adversaires les plus retors. Dès lors peut avancer que si c'est cela est tout son savoir-faire, présider ne peut que se terminer en catastrophe.Car, malice, ruse ne sont pas intelligence et ce n'est pas tout à fait ce que l'on attend de la bonne gouvernance. Non ! Gouverner c'est prévoir ce qu'il y a de mieux pour l'intérêt général et la meilleure façon de le faire est de s'entourer non seulement de personnes et structures compétentes capables d'éclairer par l'expérience et les études appropriées mais aussi d'opposants susceptibles d'apporter cette contradiction indispensable à toute démarche rationnelle constructive.La meilleure façon de gouverner est d'activer dans un climat de confiance et de respect de toutes les opinions. Les sauts qualitatifs s'obtiennent dans une saine confrontation d'idées, pas dans le marigot du complotisme, la corruption et la servilité. Hélas ces impératifs ne cadrent pas avec le profil de celui qui est imbu de sa personne au point de ne s'entourer que de soumission, n'acceptant aucune réfutation, s'attribuant l'infaillibilité comme trait de caractère. Un de ses laudateurs attitrés, en transe, affirmera sans rougir que sa présence, même impotent, est une offrande de la grâce divine, ajoutant que les Algériens doivent prendre cela comme bénédiction, à charge pour les ingrats et dubitatifs de faire acte de contrition. Croire que l'on est vénéré à travers son portrait, accepter de « présider » à la destinée d'un pays même à l'état grabataire sans adresser la parole à son peuple, s'accrocher au fauteuil avec un tel acharnement,ne peut que relever du délire comportemental. En fin de compte la rencontre entre Bouteflika et ceux qui l'ont intronisé peut s'assimiler à un mariage de dupes. Il ne pouvait dès lors déboucher sur autre chose que le divorce entre les protagonistes d'une part et entre ceux-ci et le peuple d'autre part. L'expérience vécue sous ce magister doit interpeler la communauté scientifique et inciter les chercheurs au questionnement sous toutes les coutures. Psychiatre et psychologue, historien et sociologue, économiste et politologue...auront à se prononcer pour lever le voile sur un personnage et un système qui auront scarifiéle pays de manière indélébile. Un bilan sans complaisance doit être fait car le cout moral et financier consenti par la communauté nationale est incommensurable. Il devra au moins servir pourque de tels exemples ne se renouvelassent plus jamais. Fort heureusement le sas de l'histoire a fait son œuvre, prenant le mégalomane à son propre piège car l'infatué avec son sentiment « d'infaillibilité » ne pouvait que déboucher sur l'égarement. Egarement donnant lieu à un scénario que ni Bouteflika ni ceux qui l'ont intronisé n'ont pu prévoir : la réaction d'un peuple magnifique, civilisé au plus haut degré, décidé à rompre avec toutes les pratiques et figures qui l'ont conduit à l'impasse. Georges Clémenceau affirmait que « la guerre est une chose trop grave pour être confiée aux militaires ». On pourrait y ajouter que la fonction présidentielle l'est tout autant pour ne pas la subordonner aux désidérata d'une caste. D'avoir néantisé la volonté populaire en soustrayant la présidence au libre choix du peuple, de lui avoir permis de s'offrir des pouvoirs exorbitants en marque les auteurs, devant l'histoire et la mémoire des martyrs, de l'infamant sceau de la forfaiture.Alors plus jamais ça ! Non seulement le peuple doit exprimer son choix en toute connaissance de cause mais il ne doit le faire que pour des mandats présidentiels limités en temps et en pouvoir, de sorte à ce qu'il puisse se rectifier au cas où il se serait trompé, ce qui est son droit C'est tout l'enjeu du « Hirak » et de la transition vers la prochaine république.