L'Université d'Oran et audelà, l'université algérienne, vient de perdre un illustre économiste, le Pr Aït Habbouche Abdelmajid, respecté et estimé par tous ceux qui l'ont approché, ses collègues et ses étudiants, comme en témoigne la présence à son enterrement de nombreux collègues, les professeurs Zaïri Belkacem, Tahari Khaled, Ahmed Bouyacoub, Chouam Bouchama, Derbal Abdelkader, Lellou Abderrahmane, Boulenouar Bachir et beaucoup d'autres encore, sans compter sans doute ceux qui n'ont pas appris son décès. Abdelmajid Aït Habbouche, qui fut à la fois un enseignant brillant et un chercheur remarquable, nous a quittés pour toujours. A la douleur poignante d'un ami, d'un professeur aux compétences avérées et reconnues, à l'abnégation sans pareille, est venue s'ajouter l'inquiétude poignante de l'hypothétique relève au sein de nos structures universitaires. Idéologiquement, nous n'étions pas du même bord, tout en étant très proches dans nos analyses et nos perceptions, ce qui renforçait l'estime et la considération mutuelle que nous avions l'un pour l'autre. Pour rappeler brièvement son parcours universitaire, il faut relever que le Pr Aït Habbouche Abdelmajid a accompli son cursus universitaire auprès de l'Université d'Oran où il a obtenu sa licence et son magistère, avant de bénéficier, quelques années plus tard, d'un détachement en France où il a pu préparer un doctorat d'Etat en sciences économiques à Rouen, sous la direction du Pr Maurau, sur « la question de l'investissement privé en Algérie ». Cette thèse, qui demeure d'actualité et d'une lecture toujours recommandée, fut publiée quelque peu tardivement en 2013, aux éditions Dar El Adib, sous forme d'ouvrages en 2 tomes sous le titre «La question de l'investissement privé en Algérie : un essai d'analyse des déterminants des PME à investir». T1, les déterminants macroéconomiques; T2, les déterminants de la demande d'investissement des PME oranaises : effet d'incitation et/ou de capacité ? Ceci étant, ses recherches étaient centrées sur l'entreprise et plus particulièrement la PME. Il s'est focalisé surtout sur l'importance d' «un travail en amont dans le but de créer un contexte propice aux entreprises», en interpellant les trois principaux acteurs qui, selon lui, « sont les centres à même d'apporter l'innovation dans le monde économique, à savoir les pouvoirs publics, les entreprises et les laboratoires de recherche spécialisés dans le domaine ». Il dirigeait le « Laboratoire de recherche appliquée à la firme, l'industrie et le territoire (ARAFIT) » qu'il avait créé en 2010 et qui s'était fixé comme objectifs : - de constituer une base de données sur l'industrie algérienne et notamment l'industrie oranaise à partir d'enquêtes localisées et l'élaboration de diagnostic industriel et territorial (wilaya d'Oran); - de mettre en place et proposer des outils d'analyse (concepts et indicateurs) sur les questions d'innovations industrielles d'attractivité territoriale, de compétitivité et de management territorial; - d'étudier les phénomènes économiques ci-dessus définis afin d'éclairer les politiques publiques (politique de recherche et politique industrielle) dans un souci d'aide à la décision à partir d'analyses formalisées et d'évaluations des impacts de ces politiques publiques. Il s'est beaucoup investi dans la promotion de ce laboratoire en ayant l'ambition d'en faire un réel centre de recherche et d'aide à la formation des jeunes doctorants. C'est ainsi qu'un grand nombre de séminaires ont été donnés par des professeurs invités sur des thématiques très diverses ainsi que sur des aspects pratiques de méthodologie de recherche qui constituent une lacune sérieuse dans la formation des jeunes doctorants. Très dynamique, il avait réussi en peu de temps à établir de sérieux contacts avec des chercheurs étrangers pour instituer des co-tutelles de thèse de doctorat (combien utiles face à la médiocrité ambiante qui caractérise la formation et la direction de recherche dans notre contexte). Auteur de nombreux articles et rapports de recherche, il avait attiré l'attention pour se faire confier des responsabilités d'expertise. Pas une question n'était traitée dans ses articles, sans qu'il fût sûr d'en avoir épuisé toute la documentation (c'est ce qu'il m'a affirmé un jour lors d'une rencontre à Oran). Très rigoureux dans son travail, il n'acceptait pas la médiocrité. Ses étudiants étaient instruits, ceux qui ont travaillé avec lui (ils ne sont pas nombreux, nos étudiants s'orientent vers les encadreurs les moins exigeants) peuvent en témoigner. Malheureusement, il fut stoppé dans sa quête d'émergence dans le monde de la recherche et de la production de savoir utile, par une maladie, une insidieuse polyarthrite qui l'a fortement diminué. Sans le soutien de sa femme Ouahiba (qu'elle trouve ici l'expression d'un hommage sincère), il n'aurait jamais pu se relever. C'est ainsi que même diminué, il sortait, il continuait à marquer ses réflexions, difficilement certes, mais il tenait à ne pas disparaître de l'université. Il était foncièrement sincère et loyal, s'opposant à toute forme de compromission. Tous ceux qui l'ont côtoyé ou croisé dans les nombreux séminaires et colloques auxquels il assistait, admirent en lui ses interventions pertinentes qui éclairaient utilement les questions débattues. En vrai académicien, il maîtrisait l'art de débrouiller les questions obscures. Economiste de talent, il était aussi d'une grande culture, pouvant soutenir avec brio des discussions sur des sujets les plus divers. Originaire de la Kabylie, il demeurait le montagnard combattant contre l'impossible, à l'assaut toujours de la performance. Lorsque le mal envahit son corps, il refusa de s'arrêter de travailler. Pendant des années, il se fit transporter à la faculté où il continua à marquer sa présence; ce n'était certainement pas juste une apparence. La dernière fois où je l'ai rencontré, c'était lors d'une soutenance de doctorat, au début du mois de juillet, à l'Université d'Oran. Il avait insisté pour nous inviter à déjeuner ensemble dans un restaurant de la ville, moi et le Pr Chaïb Bounoua, lui et sa femme. Parlant avec difficulté, il affichait une certaine fierté en nous apprenant qu'« il était toujours le premier de la classe ». Son visage reflétait peut-être les douleurs de la bataille suprême, mais surtout «l'indomptable énergie du lutteur qui n'a pas désarmé». Il restera un exemple de probité intellectuelle, de courage, d'activité et de dévouement, et dans le souvenir de qui, du moins pour ceux qui l'ont côtoyé, son image ne s'effacera pas. Et pour clore cet hommage, je tiens à adresser en mon nom et au nom de tous mes collègues de Tlemcen, en cette douloureuse circonstance, mes sincères condoléances à sa famille, à son épouse, Ouahiba, qui fut pour lui non seulement une épouse dévouée, mais aussi et sans doute surtout une « dévouée compagne, collègue et complice de tous les instants », comme il l'a lui-même qualifiée. A ses filles aussi, Aïda et Soussaou, ses « mouettes » comme il aimait les appeler, qu'elles peuvent être fières de porter son nom. Repose en paix cher ami, que Dieu t'accorde Sa Miséricorde. *Université de Tlemcen